4
— Vous voyez ? insista Yagor en secouant la tête du garde entre ses mains. Voici ce que l'on appelle un acte méprisable.
Vivant... Je suis...
— Quoi qu'ait fait cet homme, il était soldat. C'était l'un de nos camarades... vivant ?
— Ah bon, il n'est pas mort ? demanda l'autre Lucian, surpris.
Lucian le dévisagea.
— Quoi ? répondit-il. Mais... Réfléchir puis agir : c'est primordial.
La deuxième partie de sa phrase lui était venue sans qu'il y réfléchisse.
Mais alors, ça veut dire que...
— Bien sûr, parfois, des mesures draconiennes s'imposent... Je suis Yagor !
— Enchanté ! fit le garde de petite taille en tendant la main. Moi, c'est Robert.
— Donc il n'est pas vraiment mort le type ? insista l'alter-ego de Lucian. C'est un mannequin, c'est ça ?
— Négatif. Il est bel et bien décédé, fit une voix sombre. J'en sais quelque chose : c'est moi qui l'ai tué.
Le sang de Lucian se glaça. Lentement, il se tourna en direction de la personne qui venait de parler.
— Bonjour Lucian, fit le vrai Yagor dans la peau du garde moustachu. J'espère que tu apprécies mon lamentable corps. Cela fait combien de fois maintenant alors ? Trois fois, n'est ce pas ? Le temps passe vite quand il se répète.
— C-Comment, bégaya Lucian. Comment sais-tu...
— Je te prie de m'excuser : je n'étais pas été franc avec toi. En réalité, j'étais conscient de tes mésaventures depuis le début. J'ai simplement joué le jeu les deux fois précédentes. C'était amusant. Pardon, je suis un brin puéril. C'est assez pitoyable, non ?
Yagor sifflota. Puis, il brandit son épée.
— Non ! cria Lucian. Vous autres, arrêtez cet homme !
— Arrêter un camarade ? répondit le garde obèse. Mais...
— Ce... Ce n'est pas un camarade, bredouilla-t-il. C'est un espion de la Résistance. Arrêtez-le : c'est un ord...
Lucian n'eut pas le temps de finir sa phrase. D'un geste souple, Yagor trancha les têtes de deux soldats à côté de lui.
— Oups, dit-il. Ça doit faire mal.
Il lança son épée sur le côté. Celle-ci vint consécutivement transpercer le cou de trois autres soldats. L'autre Lucian, le garde obèse et un garde aux yeux ronds avec un faciès de rat, copieusement embrochés, n'eurent pas le temps d'émettre un son et furent emportés par l'élan de l'arme qui alla se ficher dans un mur.
Il ne restait à présent plus rien de la Garde Royale. Rien mis à part Lucian, Yagor et Robert qui avait réussi à éviter le coup meurtrier grâce à sa petite taille.
— Bon, fit Yagor en s'approchant de Lucian. Excuse cette pitoyable intervention. Maintenant que nous sommes au calme, discutons.
Lucian approcha une main tremblante de son épée.
— Tu les as tué... fit-il. Tous... De sang froid...
— Pour être franc, ce fut tellement brutal que je n'y ai ressenti aucun plaisir, ricana son adversaire. Du gâchis, vraiment.
La colère envahit Lucian. Il saisit son épée.
— Tu vas payer ! cria-t-il en levant son arme avant de s'élancer vers son ennemi.
— Un peu de calme, mon ami.
Yagor se déplaça légèrement sur le côté, évitant tranquillement l'attaque de son adversaire.
— Là c'est le moment où j'aurais pu dire quelque chose comme : "Eh oui ! Il faut de l'entraînement pour bien savoir utiliser mon corps."
— Tais-toi !
Lucian jeta son épée de toutes ses forces sur Yagor qui l'arrêta d'un simple geste.
— Tu vois ? dit ce dernier. L'important c'est ce que l'on a dans la tête.
Abasourdi, Lucian le regarda briser puis émietter l'arme entre ses mains.
— Peu importe le corps dans lequel je me trouve si je garde en tête ce que je suis. C'est un peu comme... Oh tiens, pile à l'heure, dit-il soudain.
Yagor se retourna et saisit par le cou le petit garde qui s'était discrètement faufilé derrière lui, son épée en main.
— Désolé, Lucian. Si tu pensais que ce petit bonhomme avait survécu pour te sauver, c'est raté.
Lucian serra le poing.
— Relâche-le !
Yagor l'ignora, posant son autre main sur la tête du petit soldat.
— Regarde ça, c'est amusant, dit-il en pressant le crâne du pauvre homme. C'est ce qu'on appelle l'effet pastèque.
— Ca... Capitaine, balbutia Robert à l'adresse de Lucian alors que ses yeux sortaient de ses orbites. Ou qui que vous soyez. Arrêtez-le. Il... il a ... il a volé mon cor...
Le poing du capitaine se fit aussi impitoyable qu'un étau et, après les craquements sinistres d'un crâne qui se brise, un horrible bruit de chair comprimée résonna dans la pièce.
— Tu avais exactement six secondes pour essayer de m'arrêter, dit Yagor en jetant ce qui restait du soldat au sol. Les émotions ralentissent tes réflexes. Tu rends ce corps encore plus pitoyable qu'il ne l'est déjà.
Lucian se jeta sur son ennemi.
— Tu vas...
— ... payer ? Encore ?
Yagor saisit Lucian par le cou avant même que celui-ci ne le touche.
— Franchement, ça devient répétitif, dit-il en soulevant le jeune homme. Je tue quelqu'un, tu te fâches, je te blesse, tu es au bord de la mort et... Hop ! On recommence tout.
Lucian hoqueta de douleur. Il avait du mal à respirer.
— Comme je le disais, nous sommes prisonniers d'une boucle qui se répète.
Il jeta Lucian sur le côté. Celui-ci roula pendant quelques secondes sur lui-même avant de s'arrêter.
— Enserrés par un serpent qui se mord la queue, notre futur est notre passé et notre passé notre futur.
Lucian reprit lentement son souffle. Il tourna la tête et vit son ancien - et véritable - corps. La pyramide.
— Alors à quoi bon tergiverser...
Il approcha sa main de celle de son alter-ego.
— Puisque tout va, de toute façon...
Il saisit l'objet et...
— Bientôt recommencer ?
... leva la tête. Yagor était juste au-dessus de lui. Sur son visage s'affichait un affreux rictus.
— Bien sûr, murmura ce dernier en se baissant, je serai mieux dans un corps moins ridicule.
Il approcha sa main du bouton rouge de la pyramide.
— Non ! s'écria Lucian.
À son tour, il avança son index vers l'interrupteur. Les deux hommes appuyèrent sur le bouton en même temps.
*clic*
-FLASH-
Annotations