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— Hum ? s'étonna le prince.

Il regarda la pyramide qui se trouvait dans ses mains.

— Tombé sur le bouton rouge, dit-il. Un miraculeux hasard.

Il regarda tour à tour la tête de soldat et l'épée. Tous deux étaient parfaitement immobiles.

— Bien, ajouta-t-il en se tournant vers le roi. Il semblerait que nos amis manquent de force d'esprit. Je crois bien qu'il ne reste que nous deux à présent.

Il sourit

— Votre Majesté .

Lucian cligna des yeux et passa sa main sur son visage.

— Je suis... le roi ? constata-t-il avec stupeur.

Le prince hocha la tête et, tout en continuant de sourire de toutes ses dents, se précipita vers l'épée.

— Yagor ! s'écria Lucian en s'élançant à sa poursuite.

— C'est trop tard, Lucian dit le capitaine de la Garde dans la peau du prince.

Il saisit l'épée.

— J'ai gagn...

Encore essoufflé par la course, il tenta de soulever l'arme, mais ses bras maigres et osseux ne purent la décoller du sol. Pris de faiblesse et emporté par son poids, Yagor s'effondra.

Lucian s'approcha de lui.

— Le prince n'est pas agile, hein ? commenta-t-il.

— Je crains que non, bredouilla Yagor. Quel être pitoyable : il ne peut même pas soulever une épée.

— Je vois.

Lucian se baissa pour ramasser l'épée. Il regarda attentivement son adversaire. Puis, il lui donna un violent coup de pied au visage.

— Yagor, dit-il en brandissant l'épée. La boucle est brisée.

Il l'abattit sur la pyramide temporelle. Celle-ci se scinda en deux avant de disparaître en fumée. Il posa ensuite la lame sur le cou de Yagor.

— C'est terminé.

Yagor regarda longuement l'épée et serra les dents.

— Je crois que tu as raison, Lucian, fit-il, un sourire narquois aux lèvres. C'est terminé.

Alors, une explosion retentit. Lucian manqua de tomber en arrière.

— Rendez-vous ! hurla une voix grave et rocailleuse.

De la fumée se propagea dans la salle du trône.

— Qu'est-ce qui se passe ? s'énerva Lucian. Parle ou je...

— Vive la Résistance !

— Mort au Roi Lynx !

Lucian sentit les battements de son cœur s'accélérer. La Résistance. Une dizaine d'hommes arriva dans la salle du trône. Mes compagnons.

Tous étaient armés jusqu'aux dents.

— Eh ! appela-t-il. Je suis ici. Venez m'aider. Je...

— Silence ! ordonna un homme aux yeux verts.

Ce dernier fit signe à ses amis de s'arrêter.

— Roi Lynx, insista-t-il, nous sommes venus ici pour mettre fin à votre règne. Rendez-vous !

— Non attendez ! l'interrompit Lucian. Je suis de votre côté.

— Le gouvernement est notre ennemi, cracha un grand noir dont une cicatrice rosâtre et enflée barrait le front.

— Non, vous ne comprenez pas ! Je ne suis pas le Roi Lynx.

Les membres de la Résistance se turent, interloqués. Puis, ils éclatèrent de rire.

— C'est la meilleure, ça !

— Pas le Roi Lynx ? Ah !

— C'est la vérité, s'emporta Lucian.

Lucian s'essuya le front.

— Je suis membre de la Résistance. J'ai utilisé la pyramide. Écoutez-moi : ce n'est pas mon corps !

L'homme aux yeux verts fit signe à ses compagnons de se taire.

— La pyramide ?

— Oui.

— Alors, c'est vous, chef ? demanda-t-il.

— Oui, je...

Chef ? Lucian se souvenait être membre de la Résistance, et non d'en être le chef. Non. Je suis bien le chef.

— Oui, insista-t-il. C'est moi. Le chef de la Résist...

A ce moment, Yagor, dans le corps du prince, s'esclaffa. Il se tordit au sol, les bras enroulés autour de ses côtes, en proie à un fou rire incontrôlable.

— Qu'est-ce qui t'amuse ? lui demanda Lucian, irrité.

—Lucian ! articula Yagor entre deux éclats de rire.

— Tais-toi !

Il le frappa de nouveau au visage.

— Qu'est-ce qui t'amuse ? répéta-t-il.

— Ce qui... Ce qui m'amuse ? hoqueta la voix qui habitait le prince.

Parvenant à se maîtriser, Yagor se leva.

— Ce qui m'amuse ?

Il se caressa le menton et sourit.

— C'est que le chef de la Résistance, c'est moi !

Lucian ouvrit des yeux ronds.

— Quoi ? s'exclama-t-il.

— Comment ? renchérit l'homme aux yeux verts.

— Yagor, sale rat !

Lucian ne parvenait plus à contenir sa rage. Il saisit son ennemi par le cou.

— Tu profites de la situation.

Il se tourna vers ses compagnons.

— Ne l'écoutez pas ! Je suis le chef de la Résistance : Lucian Marron, fils de Pierre Marron et Marie Marron.

Une nouvelle fois, Yagor ne put se contenir et éclata d'un rire sonore.

— Tais-toi ! s'emporta Lucian en le secouant comme un prunier.

— Taisez-vous tous les deux, les coupa l'homme aux yeux verts. Toi, dans la peau du roi, tu as bien dit que ton nom était Lucian, c'est ça ?

— Oui. C'est ce que j'essaye de vous dire depuis...

— Bien. Et, si j'ai bien compris, le nom de la personne dans la peau du prince est Yagor.

— Exactement.

L'homme aux yeux verts hocha la tête.

— Jacques, ordonna-t-il à l'un de ses hommes. Brandon.

Les deux hommes s'approchèrent de Lucian et Yagor.

— Bien, fit Lucian, soulagé. Faites attention tout de même : il est dan...

Alors, Jacques frappa Lucian au visage.

— Q-Quoi ?

Brandon, quant à lui, l'attrapa par le cou, lui saisit les mains et le ligota.

— Mais qu'est-ce qui vous prend ? Je vous ai dit que j'étais Lucian Marron. Je suis le chef de la Résistance. Je suis...

Horrifié, il vit l'homme aux yeux verts s'approcher de Yagor et le remettre debout.

— Ouroboros, dit-il

— Ouroboros, répondit Yagor en souriant.

L'homme aux yeux verts le prit dans ses bras.

— Nous avons réussi, chef.

Lucian les regarda faire, interloqué.

— Vous avez été parfaits, répondit Yagor. Je n'en attendais pas moins de vous. 

L'émotion du résistant était palpable, si bien que ses yeux se mouillèrent.

— Vous vous trompez ! s'exclama Lucian. Yagor est le capitaine de la Garde du Roi Lynx...

L'homme qui le tenait le saisit par les cheveux et jeta sa tête contre le sol.

— Tu ferais mieux de la fermer.

Alors qu'un filet de sang s'échappait de son crâne, et lui brouillait la vue, Lucian se releva.

— Vous... Vous vous trompez... Vous vous...

Soudain, tout devint clair.

Cette voix... Lentement, il se retourna. L'homme qui le tenait était de grande taille. Une cicatrice boursouflée s'étalait sur son orbite gauche, recouvrant entièrement un œil mort.

— Non, c'est impossible...

Le sang de Lucian se glaça.

— C'était vous... Vous étiez là... Le jour où Elena...

— Comment ? dit le résistant en levant un sourcil.

— Ah, Brandon, tu vas rire, dit Yagor. Tu te souviens de la putain brune de la maison Marron ?

— Elle s'appelait Elena ! hurla Lucian en se débattant.

— Ah oui, répondit Brandon, ignorant l'intervention du garçon. Dans la grange, avec le type aussi vaillant qu'un âne crevé ?

— Exact. Eh bien, ce fameux type se trouve en ce moment même dans le corps du roi.

Brandon regarda tour à tour Lucian et Yagor.

— Vous voulez dire que...

— Oui. Il semblerait que, sur ces entrefaites, notre ami soit devenu capitaine de la Garde Royale.

Un instant, Lucian resta parfaitement immobile. Il y avait une vérité. Une vérité qu'il refusait d'accepter. Pourtant...

— Je... Je...

Il hurla.

—Non ! Non !

— Je t'ai dit de te tai...

— Chut, Brandon, dit Yagor. Laisse notre ami reprendre ses esprits, je pense qu'il en a bien besoin.

— Ce n'est pas vrai ! hurla Lucian. Je ne suis pas... Je suis...

Il frappa violemment le sol.

— C'est vous qui avez tué Elena ! comprit-il. Vous ! La Résistance !

Il trembla.

— Le Roi Lynx a été là pour moi, fit-il, les larmes aux yeux. Mes parents ont toujours été fidèles au trône. Alors... Comment ? Pourquoi ?

— Une boucle supplémentaire, voilà tout.

Yagor s'approcha de Lucian, un sourire carnassier aux lèvres.

— Il y a eu d'abord l'instant où chacun était dans son vrai corps : moi, dans la merveilleuse peau de l'incroyable Yagor et toi, dans la pitoyable carcasse du stupide Lucian Marron. Ensuite, au moment où j'ai activé pour la première fois la pyramide, les choses ont changé. Soit dit en passant Lucian, ton corps est pitoyable. Je me suis senti sale en étant à l'intérieur.

Il leva un index.

— Bien sûr, j'ai dû la jouer finement. Mon long monologue à propos du membre de la Résistance venu bouleverser la quiétude du royaume avec sa petite pyramide a eu son petit effet. Plongé dans une boucle qui se répète, piégé dans la peau d'un inconnu, il est aisé pour un non-initié de perdre ses repères, tu comprends ?

— C'est impossible ! Je ne peux pas y croire...

— J'avoue que ton initiative de nous enfermer dans ce donjon ridicule m'a surpris. Tu t'es avéré moins stupide que tu en avais l'air. Bravo, vraiment. Heureusement que je garde toujours ma petite pyramide sur moi. J'ai pu improviser. Seul le capitaine de la Garde du Roi Lynx connaît le chemin pour sortir du donjon afin de se rendre à la salle du trône. Tu as pris ton temps, il est vrai. Mais ça, je te le pardonne. Tu as été un merveilleux guide. Je te remercie, Lucian.

— Mais... Mais ça n'a aucun sens ! lâcha le garçon en pleurant un peu plus.

— Chef.

La voix venait du dénommé Jacques qui s'était rapproché de Yagor, un petit objet en main.

— Ah, merci.

Yagor prit la chose, la mit dans sa poche et se tourna vers ses compagnons.

— Mes très chers amis : le château appartient désormais à la Résistance ! déclara-t-il. Pillez, violez, tuez. Faites payer au Roi Lynx ce qu'il vous a infligé. Vive la Résistance !

—Vive la Résistance !

— Non... bredouilla Lucian. Ça n'a pas de sens...

Alors que les hommes de la Résistance quittaient la salle du trône, il cria.

— Ça n'a pas de sens !

— Tu n'apprendras donc jamais à te taire, s'énerva Brandon qui était resté au côté de son chef.

— Qu'est-ce qui n'a pas de sens, mon cher Lucian ? demanda Yagor, amusé.

— Tout ce temps, dans le donjon, tu as essayé de m'arrêter. À chaque fois que j'essayais de m'échapper... Tu as essayé de me tuer ! Tout ça n'a aucun sens !

— Lucian, Lucian, Lucian... Si je n'avais pas essayé de t'arrêter, n'aurais-tu pas été un brin suspicieux ? Soyons raisonnable : sans tension, il n'y a pas d'enjeu.

— Tension ? répéta le garçon. Enjeu ?

— Ah. Pardonne-moi. Je me suis un peu trop avancé. Ceci devait compléter mon second argument.

D'un geste, Yagor saisit le couteau qui pendait à la ceinture de Brandon et, sans lui laisser le temps de réagir, lui trancha la gorge. Lucian regarda l'homme tomber au sol, dont les traits se figèrent dans un rictus d'incompréhension.

— Second argument donc, poursuivit Yagor en essuyant le couteau.

Il approcha son visage tout prêt de celui de Lucian, collant son nez au sien.

— Lucian, je me moque éperdument ce qui peut arriver au Roi Lynx, au peuple ou à la Résistance. Faire souffrir est ma vocation. Je suis la douleur éternelle : celle qui commence où elle s'arrête et s'arrête où elle débute. Tu es ma chose, Lucian... Ton malheur est ma joie. Je construis ton espoir... afin de mieux l'écraser.

L'odieux chef de la Résistance sortit alors de sa poche le petit objet que Jacques lui avait donné quelques minutes plus tôt.

— Tu es mon futur...

C'était une pyramide.

— Et je suis ton passé.

Une pyramide noire, incrustée de pierres grises.

— N-Non, balbutia Lucian. Non...

Yagor approcha son doigt du bouton rouge.

— Tu sais Lucian, dit-il, ce n'est pas la première fois que nous avons cette conversation.

*clic*

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