Le portrait
Ermina s'inclina dans ce qu'elle pensait être une révérence appliquée. " Que fais-tu là ?
- Je vous offre une visite, jeune reine, sur l'insistance de la bonne fée Cheslé.
- Comment es-tu montée jusqu'ici ?
- A la force de mes jambes, jeune reine, sur l'indication de ladite fée.
- Jeune reine ? De qui parles-tu donc ?
- Mais de vous. Etes-vous donc ignorante de votre position ?
- Non, non. Je suis couchée, vois-tu, et malade.
- Jeune reine, de ce que je sais, votre maladie est provoquée par la perte.
- Que sais-tu des maladies de la perte ?
- Je sais que ma mère en a souffert.
- Qu'avait-elle alors perdu ?
- Sa peau de loup, et au travers d'elle la protection de son instinct sauvage.
- Mais moi, qu'aurais-je perdu ? Je ne possède rien.
- La fée serpent a parlé d'attributs. Cela vous évoque-t-il quelque chose ?
- Ma foi, non. "
Un silence circonspect les enveloppa un instant, avant qu'Aphalée ne reprenne mollement : " Je possède un portrait de ma mère, reine avant moi... Où est-il ? "
Ermina posa son regard à la ronde, détaillant la pièce. Dans un coin, une coiffeuse de belle facture prenait la poussière, de même qu'une imposante garde-robe, un siège et un lutrin. Sur le mur opposé au lit, une épaisse tapisserie représentant le château voilait l'unique fenêtre. Son oeil attiré par une tenture de velours noir, Ermina contourna les baldaquins. " Qu'y a-t-il par là, demanda Aphalée.
- Si vous permettez, jeune reine, c'est ce que nous allons voir.
- Montre-moi. "
Peau de Loup dévoila un panneau de bois peint. Une femme trônant en majesté lui adressait un regard plein d'assurance.
- Si vous permettez, jeune reine, je vous le laisse voir.
- Montre-moi. "
Avec précaution, Ermina décrocha le tableau pour le poser à ses pieds. Aphalée saisit la veilleuse sur sa tablette et redécouvrit le portrait de sa mère. La lumière se fit plus intense et une lueur se mit à briller, faiblement, dans les yeux de la jeune fille : " C'est elle. C'est cela. Regarde. " Elle pointa tour à tour sur le panneau : " Le sceptre, l'orbe, les clés, le livre et la couronne. Les attributs souverains. Où sont-ils ? Ils me reviennent de droit ! "
L'émotion l'emporta dans une quinte de toux violente. Ermina mis le portrait de côté, et s'autorisa à frictionner sa comparse dans une diatribe de recommandations. Une fois calmée, Aphalée reprit doucement : " Me voilà bien faible et prise au piège. Mais je vois clair, maintenant. Je vois clair dans le jeu de mes courtisans. Que peut la bonne fée qui t'a amenée jusqu'à moi ?
- Las, elle ne peut rien, jeune reine. Son pouvoir est ici limité.
- Et toi ? Que peux-tu ? Es-tu bien de ce monde, peau de loup ? Si c'est bien le cas, et que mon imagination ne se joue point de moi, alors je t'en conjure, aide-moi. "
Ermina ne dit rien. Elle repensait à la quête de la peau de loup de sa mère. Elle revoyait la solitude, les difficultés, les plaies que cela pourrait lui causer. Pourrait-elle traverser les mêmes tourments au service qu'une reine qui lui était inconnue ? " Je te promets, ajouta Aphalée, de t'accorder autant de faveur que d'attribut que tu pourras me ramener.
- Quelles faveurs puis-je attendre de vous ?
- Ce sera à toi de me le dire. "
L'aube ne tarderait pas. Ermina devait partir sur-le-champ, ou s'attendre à être prise par la garde. " Laissez-moi une journée de réflexion, s'il vous plait. Je reviendrai vous voir la nuit prochaine, avec ma réponse, et avec les faveurs que j'attendrai de vous.
- Qu'il en soit ainsi. "
Aphalée serra les mains d'Ermina. Le voile de désespoir s'était partiellement levé de son visage, et elle esquissait presque un sourire. Peau de Loup rangea le portrait, et se glissa dehors. Cheslé l'attendait, enroulée sur elle-même dans l'herbe : " Alors ? Que décides-tu ?
- Je déciderai lorsque j'aurai vu ce royaume de mes yeux. Montre-moi. "
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