Chapitre 10 : Elle avait toujours raison
Quelques jours plus tard, Josiane vint me trouver dans mon bureau :
- Bonjour Josiane, comment allez-vous ?
- Bonjour Robert. Ça va mieux, nettement mieux.
- J’en suis ravi, fis-je avec un sourire.
- Votre soutien m’a fait du bien. Avec ce que vous avez dit à l’équipe, je me suis vraiment sentie reconnue comme victime et ça m’a apaisée.
- Ce n’était pas le seul but. Je voulais aussi que ce qui vous est arrivé ne soit qu’un événement unique et qu’il ne puisse pas se reproduire, pour aucune d’entre vous.
Ah non, pas deux fois dans mon équipe. J’avais décidé de le dire haut et fort : plus jamais ça ici !
- Merci Robert.
- C’est normal, c’est mon rôle...
- …
- Vous aviez quelque chose d’autre à me dire ou me demander ?
- Oui, quand vous m’avez parlé, ce jour-là, vous m’aviez dit que vous viendriez avec moi si je voulais déposer plainte…
- Oui, bien sûr !
- Vous voudriez bien qu’on y aille aujourd’hui ? J’ai bien réfléchi et j’en ai pas mal parlé avec des copines et aussi avec Paulo. Ce serait pour moi le moyen de passer définitivement à autre chose.
- Bien. Nous y allons ?
Allez, haut les cœurs, je lui ai proposé, et je m’y suis engagé auprès de Marie. Comme on dit : quand faut y aller, faut y aller.
- Tout de suite ?
- Ben oui, pourquoi attendre ?
- Euh… oui, vous avez raison. Je prends ma veste et je vous rejoins.
Je pris une des voitures de l’équipe et fis monter Josiane devant, à côté de moi. Nous nous rendîmes à la gendarmerie de Gignac, à quelques kilomètres du Cardonnet. Lors de notre arrivée, une certaine agitation régnait. Avec l’ouverture de la chasse, les premiers accidents étaient survenus : lors d’une battue au sanglier, il y avait eu deux blessés et un mort. La saison commençait bien. La moitié de la brigade était sur cette enquête.
Au bout de quelques minutes, un gendarme vint nous demander la raison de notre présence dans leurs locaux.
- Nous venons déposer plainte.
- Déposer plainte et à quel sujet ?
- Plainte pour tentative de viol, agression sexuelle…
- C’est vous l’agresseur ?
- Non, non ! C’est cette jeune femme qui a été agressée et moi je viens juste l’accompagner.
Franchement, si j’avais été l’agresseur, serais-je venu de moi-même à la gendarmerie ? Ça commençait bien…
- Allez-y, entrez dans ce bureau, je vais vous chercher un OPJ.
- Un OPJ ?
- Oui, un Officier de Police Judiciaire, quelqu’un habilité à recevoir des dépôts de plainte.
- Merci, fis-je en faisant entrer Josiane dans le bureau qu’on nous avait désigné.
Il nous fallut attendre encore dix bonnes minutes avant que l’un de ces fameux OPJ vienne nous rejoindre. Il s’agissait d’un adjudant ou adjudant-chef, difficile de savoir avec les couleurs inversées par rapport à l’armée en général.
- Bonjour messieurs-dames, que puis-je pour vous ? Adjudant Malabert pour vous servir.
- Bonjour Adjudant, nous voudrions porter plainte.
- Ah... Et plainte pour quoi ?
- Plainte pour viol, tentative de viol, pour agression sexuelle.
- Viol, tentative ou agression sexuelle ? Ce n’est pas pareil, vous savez…. Est-ce qu’il y a eu pénétration de quelque sorte que ce soit ?
Je me tournais vers Josiane qui venait de piquer un fard. Il faisait dans la dentelle ce fameux OPJ…
- N… Non, non, pas de pénétration…
- Bien agression sexuelle donc.
- Oui, c’est cela répondis-je.
- Alors reprenons, vous êtes qui tous les deux ? Déclinez votre identité je vous prie, Nom, prénom, fonction, adresse et tout le toutim.
Il nous fallut présenter nos identités dans le détail ainsi que notre rôle dans le projet Véronique. Une fois cela fait, nous pûmes préciser les raisons de la plainte de Josiane :
- Après l’essai réussi du 12 septembre…
- C’est le 12 septembre que les faits se sont déroulés ?
- Oui, c’est cela, répondis-je.
- Et vous ne venez que maintenant ?
- Ecoutez, il a fallu du temps pour qu’elle s’en remette et se décide à venir porter plainte.
- Mais quand même, ça fait plus de cinq jours…
- Il y a un délai de prescription ?
- Oui, mais de quelques années.
- Donc cinq jours, ce n’est pas grave.
Il commençait à m’énerver, celui-ci. Je ne le sentais pas vraiment convaincu du bien-fondé de ce dépôt de plainte. Quel besoin de pinailler pour cinq jours ?
- Certes, mais les preuves…
- De quelles preuves parlez-vous ?
- Je ne sais pas… Des témoignages, des habits déchirés, des traces de coups…
Durant tout ce temps, Josiane était restée silencieuse, comme tétanisée par la teneur de l’entretien. Comme si elle était coupable et devait se justifier de tout. Je sentais que la pression montait en elle. Pour essayer de la soutenir, je mis les pieds dans le plat avec le gendarme :
- Ecoutez, vous allez la prendre, notre plainte ou pas ?
- Bien sûr que je vais la prendre mais je vous explique le contexte, sans preuve, sans témoin, ça va être difficile de faire quoi que ce soit… Mais je vous écoute, je vais noter tous les éléments.
Je lui racontai alors ce qui s’était passé : l’essai réussi du 12, la fête qui s’en était suivie. Josiane prit ensuite le relais, difficilement, en cherchant ses mots. Je sentais bien que pour elle, revivre ces instants était particulièrement douloureux. Le gendarme demandait des détails qui me semblaient hors de propos, déplacés et qui ne faisaient que plonger la pauvre jeune femme dans l’embarras. Il insista particulièrement sur la longueur de la jupe. Je fus obligé de rétorquer qu’une jupe courte ne voulait pas dire qu’on était en chaleur comme un animal. Malgré tout, je n’étais vraiment pas certain d’avoir convaincu notre interlocuteur sur ce sujet.
Ensuite, je repris la parole et expliquai quel avait été mon rôle dans la gestion de l’événement : comment j’avais demandé à Jules de démissionner – comment je l’avais viré en fait -, comment je m’étais adressé à l’ensemble de l’équipe.
À la fin de mes explications, le gendarme prit la parole :
- Donc tout est réglé ?
- Pardon ?
- Ben oui, la p’tite dame n’a finalement pas été violée, vous avez viré l’agresseur et prévenu toute votre équipe, tout est bien qui finit bien, non ?
- Et le traumatisme de l’agression ?
- Elle est jeune, elle s’en remettra, pas vrai ma p’tite dame ?
J’étais sidéré par l’attitude de ce gendarme, par sa désinvolture…
- Et l’agresseur ?
- Quoi l’agresseur ? Il a reconnu les faits et du coup vous l’avez renvoyé, fin de l’histoire, non ?
- Mais, et notre plainte ?
- Oh rassurez-vous, je vais bien la transmettre à monsieur le Procureur de la République, à Montpellier mais je vous fiche mon billet qu’il va la classer sans suite.
- …
- Vous avez fait tout ce que vous aviez à faire. On s’occupe du reste…
Tu parles, cette plainte allait sombrer aux oubliettes. Tout ça pour ça…
Sur le chemin vers notre voiture, Josiane me prit le bras et me remercia :
- Merci d’avoir été là et ne vous en faites pas, Robert, ça va bien.
- Vraiment Josiane ?
- Oui, oui, je vais pouvoir passer à autre chose maintenant. Je sais bien que Jules ne risque rien mais au moins, j’ai été reconnue comme victime dans cette histoire.
Et pourtant, cet abruti de gendarme avait insisté lourdement sur le fait qu’une jupe courte, quand même, avec des jeunes hommes célibataires… Il fallait vraiment que les mentalités évoluent sur ce sujet.
Sur la route du retour, Josiane semblait aller de mieux en mieux. Elle plaisanta même sur la chasse et la gendarmerie. À notre retour, nous fûmes accueillis par Paulo. Josiane s’approcha de lui et se jeta dans ses bras. Il les referma sur elle avec un geste d’une infinie tendresse. Elle blottit sa tête dans le cou de mon ami. Je les laissai tranquille, repartant dans mon bureau.
Il avait dû lui parler et lui avouer son amour, Paulo… J’étais heureux pour lui et pour elle. Malgré son sale caractère, mon ami était un homme bien.
Lors de mon coup de téléphone suivant avec Marie, je lui racontai ce dépôt de plainte et l’attitude du gendarme qui nous avait reçus. Sa réaction ne se fit pas attendre :
- Rappelle-toi Robert, toi aussi, au début, tu trouvais que sa jupe était trop courte.
- …
Elle avait touché un point sensible. En effet, au départ, je n’avais pas été plus intelligent que ce gendarme, en effet, mais j’avais évolué, moi !
- Mais tu as compris que le problème n’était pas là.
- Non, chacun peut bien s’habiller comme il veut, ou comme elle veut…
- Exactement et puis tu sais, cette mentalité finira peut-être par changer quand il y aura des femmes gendarmes ?
- Tu plaisantes ? Ça n’arrivera jamais ça…
- Tu n’en sais rien Robert.
- Eh ben, ça ne sera pas facile pour une femme dans une brigade de gendarmerie…
- Qui sait si un jour tu n’auras pas des femmes en position de commander une brigade ?
- Tu y crois vraiment ?
- Tout est possible Robert, il suffit de s’en donner les moyens… Regarde là où je suis…
- Oui, c’est vrai Marie mais toi, tu es exceptionnelle.
- Je ne suis pas la seule, tu verras dans le futur…
Elle avait raison…. Elle avait toujours raison.
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