Chapitre 26 : Une ancienne colonie britannique

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En ce début 1963, les nouvelles en provenance du Vietnam n’étaient pas bonnes pour le sud du pays, soutenu par des conseillers américains. L’armée du Viêt-Cong remportait victoire sur victoire. Cette situation ressemblait vraiment au dénouement de la guerre d'Indochine que la France avait finalement perdue. Elle avait aussi beaucoup de similitudes avec cette guerre d’Algérie qui, bien que victoire militaire - fin 1961 le FLN était vaincu militairement par l’armée française - avait été une défaite politique d’ampleur, obligeant la France à accorder son indépendance à ce département. Sans être un grand devin, il était tout à fait envisageable, voire probable qu’il en serait de même dans ce pays du Sud-Est asiatique, même s’il n’était pas une colonie américaine proprement dite… D’autant plus que les USA n’étaient là que pour « conseiller » leurs alliés Sud-Vietnamiens.

En janvier également, notre Général Président affirma notre indépendance vis-à-vis des Etats-Unis en refusant de ratifier un accord prévoyant la création d’une force nucléaire multilatérale, proposée par les USA (dont ils prendraient naturellement la direction). Dans le même temps, il incita les autres pays membres de la CEE à refuser, comme la France l’avait fait lors d’une conférence de presse, l’adhésion de la Grande Bretagne. En revanche, il continuait d’œuvrer pour le rapprochement franco-allemand par la signature du traité de l’Elysée avec le chancelier Konrad Adenauer. L’amitié entre nos deux pays devait être un rempart infranchissable à toute nouvelle tentative de conflit intra-européen.



En février, Marie se plaignit de violents maux de tête et dut être rapatriée en métropole. Les médecins militaires d’Algérie n’avaient pas identifié la cause de cette douleur, pas plus que les civils de l’hôpital d’Alger. Après une batterie d’examens au Val de Grâce, ils n’étaient pas plus avancés. Ce dont ils étaient certains, c’est qu’elle n’avait pas de tumeur au cerveau. Son corps avait éliminé naturellement toute la contamination absorbée durant l’essai « Béryl » de 1962. Aucun dégât ne semblait visible dans l’état de la science. Elle repartit pour le Sahara, équipée d’une provision importante d’aspirine et de codéine, un nouveau médicament - enfin nouveau dans l’utilisation publique - qui semblait plutôt efficace pour les céphalées.

En mars, l’essai de la bombe atomique « Emeraude » se passa correctement sans aucun défaut de confinement. Marie se dit que finalement, l’accident de 1962 était sans doute la « faute à pas de chance », un incident comme il peut en arriver et pas une fatalité due à ce type d’essais. Quelque peu rassurée, elle poursuivit sa sensibilisation à la radioprotection auprès des soldats, mais souvent en pure perte. La hiérarchie militaire présente se montrait très peu réceptive aux propos de Marie. Juste après les tirs, il n’était pas rare que des escouades soient envoyés dans l’environnement très proche de l’explosion, faire des manœuvres ou des relevés et ce, sans la moindre protection. Quand ils rentraient et que, discrètement, elle faisait des mesures sur eux, elle était souvent horrifiée des résultats, en particulier après l’essai « Béryl » de l’année précédente. Le succès de l’explosion « Emeraude » l’avait en revanche un peu rassurée quant à la maîtrise du processus. Elle se sentait tellement responsable de la santé de ces pauvres militaires, souvent des appelés du contingent.

L’essai « Améthyste » eut lieu à peine quinze jours plus tard. Celui-ci sembla se passer de la même façon, tout aussi conforme, que le précédent. Là aussi, des soldats sans tenue de protection furent envoyés sur place. Il se mit à pleuvoir abondamment, juste après l'explosion. Dès leur retour, Marie détecta leur contamination : leurs habits étaient couverts de particules radioactives. Ils en avaient aussi dans les cheveux. Mais encore une fois, la hiérarchie militaire ignora les alertes de Marie. Discrètement, elle expliqua quand même à quelques soldats qu’il fallait qu’ils jettent leurs tenues et qu’ils restent très longtemps sous la douche. Elle n’avait pu faire que ça avec ses moyens très limités en tant que civile parmi ces militaires… Cela semblait toutefois « moins pire » que les essais aériens avec les mesures de radioactivité réalisées en hélicoptère, là aussi avec des pilotes, sans information ni protection concernant les risques, dans le champignon post-explosion…



Concernant l'actualité internationale, l’encyclique Terra in pace du pape Jean XXIII fut publiée en avril qui, adressée à tous les hommes de bonne volonté, condamnait la guerre et insistait sur la nécessité de justice sociale pour l’éviter. Ironie du sort, peu de temps après, la « crise bouddhiste » commença au Vietnam : neuf civils furent tués lors d’une marche contre l’interdiction d’arborer le drapeau bouddhiste. Il s'ensuivit de nombreuses autres manifestations mais aussi des immolations par le feu de certains moines.

Au Moyen-Orient, quelques semaines plus tard, lors de cérémonies religieuses, l’ayatollah Khomeiny prononça un discours particulièrement virulent contre les projets de modernisations lancés par le Chah d’Iran. L’arrestation de l’ayatollah deux jours plus tard entraîna des protestations qui dégénèrent en émeutes à Téhéran et dans plusieurs grandes villes du pays. Celles-ci furent réprimées dans le sang par le régime iranien.

Dans le même temps, ce pape progressiste qui avait essayé de faire « bouger les lignes » de l'Église catholique s’éteignit, le 3 juin. Son remplaçant, homme de consensus, élu sous le nom de Paul VI, bien qu’acceptant les innovations issues du concile, se fixa une ligne privilégiant les fondements et les traditions de l'Église catholique.



Nous nous approchions petit à petit de l’été algérien et la température devenait de plus en plus chaude dans la journée à Hammaguir. Un jour de fin juin, alors que nous devions tirer une Véronique AGI dont la tête était remplie de paillettes de sodium afin, encore une fois d’étudier la haute atmosphère, un incident technique électrique dans le blockhaus de « Blandine » nous empêcha de réaliser le tir dans la matinée comme prévu. Par sécurité, la fusée fut basculée en position horizontale et tout le personnel partit se restaurer au mess de la base. Nous avions disposé des toiles tendues entre deux bâtiments de sorte que nous étions à l’ombre et dans un léger courant d’air. Quand nous le pouvions, nous préférions manger dehors plutôt qu’à l’intérieur. Nous étions déjà enfermés de longues heures dans ce blockhaus… Nous entendîmes soudain un grand bruit et notre Véronique passa au-dessus de nos têtes, à quelques mètres en vrombissant. Pour un peu, nos cheveux auraient pu être grillés. D’ailleurs, la toile qui nous isolait du soleil avait commencé à se consumer. Notre fusée alla terminer sa course dans la colline avoisinante. De grandes flammes jaillirent du sol. Ce n’était pas cette fois-ci que nous étudierions la haute atmosphère. Les paillettes de sodium avaient beaucoup moins d’intérêt dans le sable et les rochers du Sahara.

Nous nous rendîmes aussitôt sur place, au niveau du champ de tir et y vîmes un soldat qui se tenait la tête. Il avait trouvé le temps long en montant la garde et plutôt que de s’endormir, il avait décidé de s’entraîner au tir sur des boîtes de conserve. Ce qui partait effectivement d’un bon sentiment. Un soldat ne s’exerce jamais assez au tir, c’est un fait. Malheureusement pour lui, il était dans l’alignement de la canne d’allumage de la fusée et son tir justement l’alluma. Au lieu de partir vers le ciel, comme elle était horizontale, elle faillit décimer toute l’équipe de Véronique. Heureusement, pour nous - et pour la France -, elle nous manqua de quelques mètres. Il avait encore des progrès à faire en tir, ce jeune soldat… Avec de tels gardiens, on n’avait pas besoin d’ennemis ou d’assaillants.

  • Chuis désolé, chuis vraiment désolé… disait-il en se tenant la tête, complètement décomposé.
  • Merde ! Quand même, c’est pas possible d’être aussi con ! fulminais-je.
  • Chuis désolé, chuis désolé…
  • Bon ben ça va, on a compris, dis-je en commençant à me radoucir.

Il était quand même bien jeune, ce soldat, il avait à peine quelques poils au menton. Il me rappelait moi, lors de mes débuts dans le maquis, voulant toujours bien faire mais ne sachant pas toujours comment. À l'époque, j'en avais fait aussi quelques boulettes...Bon, pas des boulettes à quelques millions de francs, quand même... Mais c'était fait de toute façon. Pas la peine de l'enfoncer encore plus, ce pauvre garçon, il s'en voulait déjà tellement.

  • Chuis vraiment désolé, nous dit-il en pleurant.

Pris de pitié, Paulo partit le consoler.

  • C’est bon, lui dit-il, rien de grave.
  • Juste quelques millions de francs en fumée dit Gérard en souriant ironiquement.
  • Quelques millions de francs ? Oh mon Dieu, gémit le soldat.
  • T’en fais pas, ça ne sera pas retenu sur ta solde, railla Paulo.
  • Et puis on avait deux fusées de rab… fis-je pour le rassurer.
  • Mais que va dire mon Capitaine ? fit-il complètement paniqué.
  • Pas d’inquiétude mon gars, on ne lui dira rien, mais à l’avenir, le tir c’est dans le désert, ok ?
  • Oui, oui, Monsieur, promis.

Heureusement, encore une fois, plus de peur que de mal...

Sur le ton de la confidence, Paulo, vint plus tard me parler de son fils ainé, Robert, mon filleul, qui semblait avoir une fascination pour les armes. Il passait des heures, après l’école, à se balader parmi les soldats de la garnison de la base pour voir leurs fusils, les toucher. Celui-ci avait dit à son père que, plus tard, il vivrait dehors, de la chasse. Mais qu’irait-il chasser dans le désert ?



Une nouvelle fois, je fis bien rire Marie avec cette anecdote.

  • Robert, tu sais ce que tu devrais faire ?
  • Non ?

Je ne voyais absolument pas où elle voulait en venir…

  • Tu devrais raconter tout ça... Tout ce que tu me racontes quand on se parle, les anecdotes, l’histoire de cette conquête spatiale.
  • Tu crois que ça va intéresser quelqu’un ?
  • Bien sûr ! Si personne ne l’écrit qui s’en rappellera dans cinquante ans ?
  • Tu as peut-être raison, Marie…
  • Evidemment, Robert, tu le sais bien, non ?

Oui, elle avait toujours raison, ma Marie, toujours… non, presque toujours.

  • Bon, je vais y penser. Je vais commencer par prendre des notes sur le début déjà.
  • Et tu me les liras quand on se retrouvera au téléphone ?
  • Bien sûr. Je n’ai plus de question à me poser sur l’occupation de mes soirées.
  • C’est cadeau, Robert…
  • Merci, Marie…


En août, notre Général fit à nouveau des siennes et annonça aux Américains qu’il ne signerait pas le traité sur l’arrêt des essais nucléaires atmosphériques. Seuls deux grands pays ne signèrent pas ce fameux traité de Moscou : la Chine et la France.

Début octobre, nous vîmes notre garnison se renforcer considérablement, malgré les accords d’Evian. Quelques jours plus tard, débuta ce qui fut appelé par la suite la « guerre des sables ». En effet la frontière algéro-marocaine étant contestée, de nombreux incidents entre les armées des deux pays eurent lieu durant tout le mois d’octobre. Nous étions tout proches des lieux d’affrontement. Les combats finirent par cesser le 5 novembre et l’Organisation de l’Unité Africaine se mit au travail avec les deux voisins pour obtenir un traité et un tracé définitif de cette frontière.



Cette année 1963 se termina par un drame : l’assassinat du président JF Kennedy à Dallas. Ce président jeune, dynamique, représentait un espoir pour la jeunesse américaine et pour les noirs aux USA. Son chemin avait été arrêté par une balle dans la tête, dans la plus grande ville du Texas. Nous étions tous abasourdis : qu’on puisse assassiner le président des Etats-Unis dans son propre pays nous semblait tout simplement inconcevable.

Ce décès violent occulta complètement le décès d’un auteur de science-fiction légendaire : Aldous Huxley, le même jour, ce 22 novembre 1963. Son livre, Le meilleur des Mondes avait semé un certain effroi lors de sa parution. Il racontait une dystopie, avec un monde uniformisé, faisant froid dans le dos. Son auteur voulait alerter sur les dérives de notre civilisation (en 1932 quand son livre fut publié). Le public réserva un accueil plutôt mitigé à cette parution, en particulier en Irlande et en Australie où la parution fut interdite pour atteinte à la religion et pornographie. Bref, un géant de la littérature de science-fiction dont le décès passa totalement inaperçu en cette fin 1963.



Le successeur de JF Kennedy, son vice-président Lyndon Johnson, commença à engager son pays plus directement au Vietnam. En fin d’année, plus de 25000 « conseillers » américains étaient stationnés sur place. Les Marines ne tarderaient pas à suivre, ainsi que le reste de l’armée, pour s’enliser dans un des conflits majeurs de la seconde moitié du vingtième siècle. L’un des derniers soubresauts des puissances coloniales occidentales, même si les Etats-Unis n’avaient jamais possédé de colonies en tant que telles, étant eux-mêmes une ancienne colonie britannique.

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