On était liés, liés par le sang.

Le vent fouettait mon visage telle une caresse enivrante, revivifiante. Ce plaisir, je l'avais oublié, ôté de mon quotidien depuis que je les avais quittés. La vie m'avait offert un nouveau départ, un aller vers un bonheur que je pensais nécessaire, mais la voie empruntée n'était qu'une ruelle étroite et étouffante. Ce soir-là, écrasé par la popeline de ma chemise étriquée, étouffé par le nœud trop serré de ma bienséance, je déviais du chemin emprunté. Rien de prémédité. Juste un besoin intrinsèque de bifurquer vers des paysages qui me correspondaient, ceux qui autrefois défilaient devant moi, m'accompagnaient dans ma quête de liberté. J'avais délivré la folie que j'avais soigneusement enfermée en tirant sur ce vieux drapeau poussiéreux, emblème de mon passé qui recouvrait ma précieuse camarade, Angéline. Mes doigts l'effleurèrent, impatients. Elle n'avait pas changé. Pas un défaut après toutes ces années. Le contact rétabli, j'hésitai un instant à la chevaucher comme avant, lorsque nous ne faisions qu'un, elle et moi. Ah ! Les vieilles habitudes....

Dans un souffle d'impatience, je me posais sur ses courbes délicates, ressentant le moindre de ses soubresaults. Son corps, tel un brasier, était enfin prêt à ronronner.

Un dernier regard vers mes vêtements délaissés sur le sol, ceux d'un employé modèle qui avait décidé de s'offrir un voyage, un long voyage vers l'inconnu aux côtés d'Angéline. Aucun regret.

On était liés, liés par le sang. Le sang de ceux qui répondent toujours présents, ceux qui vous soutiennent dans les bons comme les mauvais moments. Le sang de mes camarades, "les Hells Angels".

De nouveau à ma place, affranchi de cette vie bien trop rangée, je pouvais enfin respirer. Je rompis le contact avec Angéline, fit glisser le marche-pied et contemplait ma liberté.

Musique proposée : https://www.youtube.com/watch?v=D88ZxsgLyro