Vite, Émilie, plus vite.

L’église ferme à six heures ce soir et il est déjà six heures moins le quart. Je suis en retard, car j’ai passé l’après-midi avec Romain. J’avais une surprise pour lui. Demain, je fais ma communion, alors, je voulais lui montrer comment je suis belle dans ma robe de communiante. Mon aube me va comme un gant. Maman l’a cousue sur mesure spécialement pour moi. Romain m’a trouvée irrésistible dans ma robe blanche et pour le prouver, il m’a embrassée sur la bouche. Je sais qu’il en rêvait depuis longtemps, moi aussi d’ailleurs. Maintenant, c’est mon amoureux.

Active-toi ma vieille, sinon tu ne seras jamais à l’église à l’heure, comme dirait maman. Je ne suis pas vieille pourtant, je n’ai que 12 ans.

Ce n’est pas facile de courir avec ma belle aube blanche, surtout que je ne veux pas la salir. Et pour ne rien arranger, j’ai envie de faire pipi. Je dois absolument m’arrêter ou alors je finirais par me faire dessus.

Je repère un endroit à l’écart du chemin, derrière des buissons. Ici, personne ne me verra. Je soulève ma robe, mais ce n’est pas pratique. Je l’enlève donc complètement, pour qu’elle ne touche pas le sol et pour éviter de la tacher. Déjà que maman ne voulait pas que je la porte avant demain, si je la salis…

Oh non !

J’ai fait un accroc en bas de la robe, maman va me gronder si elle s’en aperçoit. Je replie ma robe avec précaution et peux enfin me soulager. À présent, je serai plus tranquille pour courir.

Il est six heures moins dix, je dois foncer pour arriver avant la fermeture de l’église. J’hésite à remettre ma robe. Avec, je suis habillée et très jolie, mais sans, je courrais plus vite. Je risquerais aussi moins de l’abîmer, et vu que je l’ai déjà accrochée tout à l’heure…

Personne aux alentours. C’est décidé, je ne la remets pas. Je me rhabillerai avant d’entrer dans l’église.

Au bout du chemin, je vois le village avec son clocher qui dépasse du toit des maisons. Les aiguilles de l’horloge indiquent qu’il ne me reste que huit minutes. Un grand pré descend jusqu’au village, je choisis de le traverser pour prendre un raccourci. À la réflexion, j’ai bien fait de ne pas enfiler ma robe, c’est plus simple de passer sous les barbelés. Ensuite, les hautes herbes cacheront ma tenue et dans le champ, j’ai peu de risques de croiser quelqu’un.

Je dévale la pente en courant. Je me sens comme Laura Ingalls dans La petite maison dans la prairie. Je suis entourée de belles fleurs, des bleuets, des coquelicots, des mauves et des marguerites, les mêmes que celles que j’aurai demain dans ma couronne de communiante. Ce sera vraiment un grand jour.

Aïe, il y a des ronces aussi ! Elles me griffent les jambes et les cuisses. Je les sens sur ma peau nue. Ma robe n’aurait pas du tout aimé.

Les épines me piquent, mais j’accélère quand même. L’abbé souhaite que tous les enfants se confessent une dernière fois avant la cérémonie. Il a bien insisté sur ce point. C’est obligatoire, sinon pas de communion.

Je dois absolument être à l’église avant six heures. Je ne voudrais pas rater le plus beau jour de ma vie.