Confiteor
— Bien ma fille, maintenant que tu es enfin dans une tenue décente, je vais te confesser.
Tenue décente ? J’ai l’air complètement ridicule. Si je traverse le village, habillée de la sorte, tout le monde se moquera de moi. En plus, elle gratte et elle pue. J’étais si belle pourtant cette après-midi, et si heureuse.
L’abbé montre son impatience. J’ai du mal à me mettre à genoux pour faire le signe de la croix. Malgré le pansement, le contact avec le sol est douloureux. Je grimace.
— Bénissez-moi mon Père, parce que j’ai péché, récité-je par habitude.
— Dominus sit in corde tuo et in labiis tuis, ut rite confitearis omnia peccata tua. In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. Que le Seigneur soit dans votre cœur et sur vos lèvres, pour que vous confessiez avec soin vos péchés. Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
Je réponds « Amen » et commence à réciter le confiteor :
— Je confesse à Dieu tout-puissant, je reconnais devant…
— En latin !, me coupe l’abbé.
Troublée, je balbutie :
— Confiteor Deo omni…
Je ne me rappelle pas la prière en latin, l’abbé Dumont se contentait de celle en français. Avec lui, les confessions étaient plus agréables, il était si bienveillant. Rien à voir avec l’abbé Laffaire. L’abbé Laffaire, c’est pas une belle affaire, disent les gens en riant, mais moi je n’ai pas envie de rire en ce moment. Il me fait la leçon comme si j’étais en classe :
— Confiteor Deo omnipoténti et vobis, fratres,…
Il attend que je répète et récite la suite, mais je ne m’en souviens plus. Son visage se durcit, il continue :
— quia peccávi nimis cogitatióne, verbo, ópere et omissióne, mea culpa, mea culpa…
L’abbé insiste sur mea culpa. Il crie presque et me fait comprendre de son regard glacial que je dois reprendre en même temps que lui. Apeurée, je bafouille :
— Mea culpa, mea culpa, mea…
Je ne connais pas la suite en latin. Les yeux baissés vers le sol, je n’ose pas relever la tête.
Il termine le confiteor en latin sans que je n’y comprenne rien, il pourrait raconter n’importe quoi, ce serait pareil pour moi.
— Dans l’immédiat, je me contenterais de tes mièvres mea culpa, soupire-t-il. Tu auras intérêt à connaître le confiteor la prochaine fois. D’ailleurs, tu me le copieras cent fois et si tu hésites encore, tu le copieras cent fois de plus, jusqu’à ce que tu le saches par cœur.
Cent fois !
Cent fois, c’est énorme. Pour un truc en latin, qui ne sert jamais en plus. Mais je n’ai pas le choix : en plus d’être l’abbé, c’est le directeur de mon école. Cette punition est trop sévère, surtout que c’est la première fois que je suis punie. Il me fait tellement peur en classe que je suis toujours sage comme une image. Me punir le jour juste avant ma communion ! Ce n’est pas possible, comment peut-il ? Il va gâcher mon dimanche de communion. Je le déteste, jamais l’abbé Dumont n’aurait fait ça.
J’ai les larmes aux yeux, la tête baissée. Si je la redresse, il verra que je pleure. Et je ne veux pas qu’il le voie. Tandis que des larmes coulent sur mes joues, deux pieds viennent se placer devant mes genoux au sol. Je suis seule avec lui dans l’église, il n’y a pas un bruit. Je peux entendre ma respiration, ainsi que les sanglots que j’essaye de retenir.
— Relève-toi ma fille, regarde-moi.
Le ton est brusque, je n’ose pas.
— Regarde-moi ! reprend-il plus sèchement encore.
Mes yeux rougis se plantent dans les siens quand il soulève mon menton avec sa main.
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