Au fond de la sacristie

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C’était une arme destinée à vous blesser. Elle lacérait la peau. Elle provoquait des zébrures boursouflées bleues et violettes qui mettaient trois semaines à disparaître, et, durant ces trois semaines, vous sentiez constamment votre cœur battre tout le long de ces blessures. (Extrait de Moi, boy, récit autobiographique de l’enfance de Roald Dahl)

— NON !!!!!!

L’abbé a rattrapé la robe quand je lui ai jetée. Il la tient dans ses mains et est furieux. Je m’attends à ce qu’il me force à la remettre. Pas question, je préfère encore rester en sous-vêtements !

Il laisse tomber la robe et se précipite vers moi. Surprise par sa vitesse, je me retrouve suspendue, les bras en l’air, sur la pointe des pieds, arrivant à peine à toucher le sol. D’une seule main, il serre mes poignets et les écrase. Ainsi soulevée, je ne peux me débattre :

— Aïe ! Vous me faites mal.

Il ne répond rien et me transporte sans ménagement. Il a une telle force qu’il me déplace aussi facilement que si j’étais une poupée de chiffons.

Je n’ai pas d’autre choix que de le suivre. Il m’emmène dans un coin de la sacristie avant de me lâcher. Sans rien pour me retenir, je m’écroule contre le mur. Une fois à terre, je masse mes poignets endoloris. Avec sa puissance, il aurait pu me les broyer.

— Je vais être obligé de te donner une leçon.

Je suis affolée par ce qu’il entend par là. Je le vois ouvrir un buffet et en sortir une fine canne avec une poignée recourbée.

Te donner une leçon ? Une canne ? Ce n’est pas possible, il ne va quand même pas me battre !

Il observe attentivement la canne et fait glisser ses doigts le long de son manche. Son regard passe d’elle à moi. C’est bel et bien ce que je pensais, il veut s’en servir contre moi. Je suis couchée au sol, dans un coin de la pièce, terrorisée, massant mes poignets qu’il a écrasés d’une seule de ses mains.

Ses yeux se plantent dans les miens. Je sais qu’il ressent ma peur, il est furieux et me le fait comprendre d’un simple coup d’œil. Il a la poignée de la canne dans une main et lui fait faire des va-et-vient. Il appuie son bout arrondi dans la paume de son autre main et exerce une pression pour la plier. Il le fait avec lenteur, sachant que j’épie chacun de ses gestes.

J’ai lu des histoires où des maîtres d’école donnaient des coups de canne ou de baguette à leurs élèves. C’était horrible, mais je pensais alors que les enfants l’avaient mérité, qu’ils étaient méchants avec les autres. Cela n’arrivait jamais à des enfants sages. Et maman m’a assuré que c’était du passé, que cela ne se fait plus depuis longtemps.

Je suis recroquevillée et me fais la plus petite possible. Je voudrais disparaître dans un trou de souris. L’abbé effectue des mouvements circulaires, secs et rapides avec sa canne. Il ne semble pas se soucier de moi. J’en profite pour masser mes poignets tant que j’en ai l’occasion. La canne tourne, fait des cercles dans un sens puis dans l’autre, s’arrête net. Le seul son dans la sacristie est le sien, cinglant, quand elle fend l’air, comme si elle le coupait en deux parties.

Je n’aime pas ce bruit. J’imagine la canne claquer contre ma peau et me raidis. J’essaie de me persuader que l’abbé cherche juste à me faire peur, que je ne mérite pas une telle punition. Je lui ai crié dessus deux fois et je lui ai jeté à la figure sa vilaine robe, ma tenue de pénitente comme il dit, mais c’est parce qu’il m’avait poussée à bout et…. Non, il est furieux, il ne souhaite pas uniquement me faire peur.

La canne s’abat contre le buffet. Je sursaute, le bruit a claqué comme un coup de pistolet. La canne en main, l’abbé se dirige maintenant vers moi. Il ne m’a pas oubliée. Il est proche, son ombre me recouvre. Je suis assise dans le coin de la pièce, contre le mur. Je ne peux plus reculer ni me sauver. D’ailleurs, j’ai trop peur pour faire le moindre mouvement.

— Lève-toi !

Je le regarde avec des yeux suppliants, blanche comme un cierge.

— Non, je… je…

— Lève-toi !

— Je ne mé… mé…

— Que bafouilles-tu ?

Avec effort, je murmure d’une voix plaintive :

— Je ne mérite pas…

Ma voix est à peine audible, mais il l’a parfaitement entendue.

— C’est à Dieu de décider ce que tu mérites.

— Non, Dieu ne voudrait pas…

— C’est à moi d’en juger. Lève-toi !

Je reste au sol, tremblante de peur.

— LÈVE-TOI !

Il a crié. Je ne peux pas bouger, je suis paralysée. Il perd patience et m’attrape de nouveau par les poignets pour me soulever. Je me force à me tenir debout pour qu’il me lâche et arrête d’écraser mes poignets.

— Retourne-toi !

Je me tourne, les mains à hauteur de ma tête, les paumes collées au mur pour me maintenir. L’abbé me pousse avec sa canne pour que je me place dans une position qui lui convienne. Dans ma tête, je demande à Dieu que l’abbé ne me frappe pas, je lui demande de prévenir maman pour qu’elle vienne me chercher.

Mais ni Dieu ni maman n’entendent mes prières.

Crac ! Coup de fusil. Je reçois un premier coup de canne sur les fesses. Pendant trois à quatre secondes, je ne sens rien. Puis brusquement, une horrible douleur se propage.

C’est à ce moment précis que le second coup s’abat sur mes fesses. Je ferme les yeux et pose le front contre le mur pour ne pas tomber. Je ressens comme une terrible brûlure qui devient de plus en plus forte. Quelques secondes après, je prends un troisième coup.

J’ai les poings crispés, je pousse le mur avec mon front. Mes fesses sont comme un énorme brasier. Plusieurs secondes plus tard, quatrième coup. Je serre les dents, me mords les lèvres, j’ai le goût du sang dans la bouche. J’ai l’impression d’être assise sur un feu. L’abbé me parle alors de ma mauvaise conduite, de tous mes péchés. Je ne veux pas l’entendre. Je sais tout le mal qu’il pense de moi, mon esprit essaie d’être ailleurs.

J’ai droit à un cinquième coup sur mes fesses tremblantes alors que je croyais qu’il en avait fini. Va-t-il m’en donner d’autres ? Je ne vais pas pouvoir supporter la douleur. Mon Dieu, emmenez-moi loin d’ici, loin de ce monstre. Ses sermons, ses reproches sont injustes. Je ne suis pas celle qu’il croit.

Nouveau coup de canne. Des milliers d’allumettes brûlent mon derrière. Je n’ai rien fait de ce dont il m’accuse, je suis innocente. Je paie pour quelqu’un d’autre. Recevoir ses coups en même temps que ses reproches est abominable. Je ne pourrais plus jamais m’asseoir. Cet abbé est cruel, comment Dieu peut-il laisser faire ça ?

Je hurle comme un animal qu’on égorge au coup de canne suivant. Des clous chauffés à blanc s’enfoncent dans mes fesses. Je ne tiens plus sur mes jambes, tombe par terre et ne me relève pas. Mon esprit quitte mon corps qui n’est plus que feu et douleur.

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