Ma soeur de coeur
La jeune brune a beau se débattre de toutes ses forces, elle ne parvient pas à vaincre le courant. Elle s'efforce de garder la tête hors de l'eau pour pouvoir respirer, mais j'ai conscience qu'au moment où ses muscles l'abandonneront, elle se noiera ! Il faut vite la sortir de là !
Je sens mon coeur battre à tout rompre, tandis que Katharina et moi suivons Danke en courant, mais ce n'est pas à cause de l'effort que je fais : c'est l'inquiétude qui me tord les boyaux et me noue la gorge. J'ai peur pour Angela !
Mon berger allemand augmente sa vitesse et dépasse la pauvre fille pour monter sur un vieux tronc d'arbre qui forme un pont au-dessus de la rivière. Au moment où l'adolescente arrive à son niveau, il se penche et attrape sa queue de cheval entre ses dents. Il tire ensuite dessus pour tenter de la sortir de l'eau. Nous accélérons le pas pour les rejoindre, dans le but d'aider mon chien, mais nous avons à peine le temps de poser nos pieds sur le bois que l'animal glisse sur la surface humide et perd l'équilibre.
- Danke ! m'écrié-je.
Il parvient heureusement à se rattraper de justesse, mais la surprise lui a fait lâcher prise. Le courant emporte donc à nouveau ma camarade de classe. En constatant qu'il a failli, mon animal de compagnie n'hésite pas une seule seconde : il saute à son tour dans l'eau !
- Danke ! m'exclamé-je en retournant au pas de course sur la terre ferme pour les suivre.
- Oh, non ! Si on ne les sort pas rapidement de l'eau. . .
- Je sais ! Ils se noieront ! complété-je, les larmes aux yeux.
- Il n'y a pas que ça ! rétorque l'elfe en secouant la tête. Il y a une grande chute d'eau non loin d'ici. Je ne pense pas qu'ils y survivront. . .
Mes yeux verts s'écarquillent d'horreur à l'entente de cette annonce ! Il faut qu'on se dépêche !
Pendant ce temps, mon cher compagnon est parvenu à nager jusqu'à celle qu'il veut sauver. Il mord son imperméable et agite ses pattes dans le but de les ramener jusqu'à la rive, mais même pour lui, le courant est trop puissant !
Nous entendons bientôt le bruit fracassant de la chute et ne tardons pas à l'apercevoir.
- Si on ne les sort pas de là dans les secondes qui suivent, on les perdra tous les deux ! crié-je à Katharina, d'une voix tremblante de sanglots.
- J'ai une idée, déclare-t-elle. Tiens-toi prêt !
Elle attrape ma main et effectue un grand bond jusqu'à atteindre le bord de la falaise, puis pose ses mains sur le sol pour en faire jaillir une longue liane. Elle l'arrache ensuite et tire dessus pour s'assurer qu'elle est bien solide. Une fois que c'est fait, elle m'en donne l'un des bouts, attrape fermement l'autre dans sa main et me lance :
- On compte sur toi, Ludwig !
Sur ces mots, elle franchit les quelques pas qui la séparent du vide et saute au moment exact où nos deux compagnons tombent !
Je lâche un cri de panique ! Je vois la liane se dérouler à toute vitesse, indiquant que l'elfe est toujours en chute libre ! Ce n'est qu'alors que je réalise : elle compte sur cette liane pour la retenir avant qu'elle ne tombe dans l'eau. Elle compte sur moi pour tous les sauver !
Je regarde autour de moi, puis me précipite vers le premier rocher que je vois. Je n'ai pas le temps d'enrouler mon bout de liane autour : je sens qu'elle m'entraine en direction de la chute !
Je suis heureusement arrêté par l'énorme pierre, contre laquelle je me cogne. J'entends aussitôt la voix cristalline de la gardienne de la forêt me crier :
- Je les tiens, Ludwig ! Tu peux nous remonter !
Je pousse un soupir de soulagement et je sens des larmes de joie me monter aux yeux, mais je n'ai pas le temps de pleurer : il faut que je les aide. J'appuie mes pieds contre le rocher et tire de toutes mes forces sur la plante. Qu'ils sont lourds ! Je serre les dents et redouble d'efforts. Tous mes muscles sont tendus et me font horriblement mal, mais j'ignore la douleur, ne pensant qu'à les sortir de ce pétrin.
Il me faut encore plusieurs longues minutes d'efforts, mais je parviens à les remonter sur la falaise. Je lâche aussitôt la liane et me précipite dans leur direction. Danke secoue son pelage trempé, tandis qu'Angela éclate en sanglots. Je m'agenouille devant elle et lui demande, inquiet :
- Est-ce que ça va ? Tu t'es fait mal ?
Elle secoue la tête, sans cesser de pleurer. Touché par ses larmes et heureux de la voir saine et sauve, je la prends dans mes bras et la serre fort contre moi, en lui murmurant d'une voix rassurante :
- Tou va bien. C'est fini, maintenant.
- Je suis désolée ! lâche-t-elle entre deux sanglots. Je vous ai causé des ennuis ! Vous vous êtes tous mis en danger pour me sauver !
- Ah, ça, tu peux l'être ! dis-je sur un ton plus sévère en l'écartant de moi pour la regarder avec des yeux furieux. Katharina nous avait mis en garde, mais tu n'en as fait qu'à ta tête, comme d'habitude !
- Je vous demande pardon ! s'exclame-t-elle en pleurant de plus belle. Je ne voulais pas que ça arrive ! Je ne pensais pas à mal, je vous assure ! Je ne voulais pas tous nous mettre en danger !
Attendri par ses larmes, je la serre à nouveau contre moi, en la rassurant :
- Calme-toi. C'est passé, maintenant, mais à l'avenir, promets-nous de nous écouter.
Elle se contente de hocher la tête, mais ça me suffit. Je suis heureux que tout le monde aille bien. C'est tout ce qui compte à mes yeux.
- J'ai l'impression de revoir la petite Alissa dans les bras de sa grande soeur, nous avoue Katharina en riant.
Je repense au moment où ma camarade de classe a pris sa cadette dans ses bras pour la rassurer et la gronder à la fois, comme je viens de le faire. Elle semblait tout aussi soulagée que moi de la retrouver saine et sauve.
Oh, mais oui ! C'est évident ! Comment ne l'ai-je pas compris plus tôt ? Si je ne vois Angela ni comme une camarade, ni comme une amie, ni comme une compagne, c'est parce que je la vois comme une petite soeur !
J'ai l'impression qu'un poids vient de s'envoler. Je comprends enfin mes sentiments vis-à-vis de cette adolescente et je m'en sens encore plus soulagé !
Je suis tiré de mes pensées par mon cher chien, qui, jaloux de l'attention que je porte à la jeune brune, se jette sur moi pour me couvrir de salive. Je proteste, en riant :
- Hé ! Calme-toi ! Je suis tout aussi heureux de te retrouver sain et sauf !
Je le prends à son tour dans mes bras pour le serrer contre moi. Il lâche un aboiement de satisfaction, faisant rire toutes les personnes présentes.
Je me remets ensuite debout et ôte ma veste pour la passer autour des épaules de ma soeur de coeur, en lui disant d'une voix douce :
- Nous ferions mieux de rentrer, maintenant. Tu dois vite te changer et te mettre au chaud, si tu ne veux pas prendre froid.
Elle acquiesce.
- Je vais vous raccompagner jusqu'à l'entrée de la forêt, nous informe Katharina.
Nous nous mettons donc tous les quatre en route.
- Dîtes : on pourra revenir demain pour faire griller ces marrons ? nous demande Angela. J'en ai toujours envie, moi !
- D'accord, accepte l'elfe en riant.
Je souris. Je ne me suis jamais senti aussi heureux de toute ma vie ! J'ai enfin trouvé ma place dans cet endroit, aux côtés de ceux que j'aime. J'ai une famille, une maison, des amis et une passion qui n'attend que le retour de l'hiver pour m'accueillir à bras ouverts.
Je pensais qu'en quittant Berlin, je perdrai les amis que je m'y suis fait, mais je me suis trompé : quelle que soit la distance qui nous sépare, nos amis sont toujours avec nous, dans nos coeurs, où ils continuent à nous soutenir grâce aux souvenirs qu'ils nous ont offert. . . et grâce au téléphone qui est une invention bien pratique !
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