— Nathalie, c’est moi. Ouvre, je sais que tu es là…

D’un air décidé, Brigitte cognait bruyamment sur la porte depuis plusieurs minutes. Du genre tenace, cette forte personnalité à tendance têtue n’abandonnait jamais de toute façon. De guerre lasse, Nathalie déverrouilla son refuge.

— Ah ! C’est pas trop tôt, je me suis au moins fumé deux phalanges, là ! râla l’invitée en poussant la porte. Sympa pour ta graphiste préférée !

Sans un regard, la maîtresse de maison avait déjà pratiqué un demi-tour vers le salon en traînant des pieds. Autour d’elle, des cadavres de boîtes à pizzas, de canettes de soda et plusieurs dizaines de mouchoirs usagés jonchaient le sol.

— Eh ben, tu ne fais pas semblant quand tu déprimes, toi ! Trois jours qu’on n’a plus de tes nouvelles à l’agence, on s’inquiète, tu sais !

L’intéressée resta muette. Enfoncée dans son canapé, elle se replia en position fœtale, la tête posée sur ses genoux. Brigitte poussa les différents déchets du bout du doigt pour s’asseoir et la dévisagea sévèrement.

— Faut qu’on parle toutes les deux. Tu ne peux pas rester comme ça, ma grande !

Son interlocutrice secoua la tête de gauche à droite, mais Brigitte haussa les épaules, ignorant la négation. Par principe, les amies sont là pour se secouer les puces quand c’était nécessaire, et là, il était urgent d’agir.

— Tu veux pas causer ? C’est pas grave, je vais le faire pour deux. Même si je parle pas aussi bien que toi.

Face au mutisme de la déprimée, elle attaqua sa plaidoirie sans ambages.

— Si je comprends bien – et n’hésite surtout pas à m’arrêter si je me goure – tu as retenté le coup de l’évier bouché !

— Mmmmh, gémit Nathalie en détournant les yeux.

— Je m’en doutais. Et comme d’habitude, ça a foiré !

— Nan ! Il m’a prise dans ses bras, chouina la fautive pour se justifier.

— Quel exploit, madame Picard ! Excuse-moi de te vanner, mais ça n’avance pas d’un pouce ton histoire. Arrête avec tes combines à deux balles ! s’agaça Brigitte.

— Ouais, je sais que c’est nul, mais je vais trouver autre chose.

— Ton manque d’imagination est consternant pour une intello. La com c’est ton boulot, non ! Ch’ais pas moi, tu le chopes par la cravate, tu lui dis que tu l’aimes et tu le ventouses d’un gros smack bien baveux, histoire d’appuyer le propos. Faut être démonstratif avec les mecs. Ils ont la comprenette difficile la première fois qu’ils entendent ces mots-là.

— Je trouverai jamais le courage, tu le sais bien.

— Alors la prochaine fois, tu prévois quoi ? Une panne de frigo, une ampoule à changer !

— Je sais pas… je… je dois réfléchir, laisser passer un peu de temps.

— Non, mais tu plaisantes là ! Tu as vu ta tête de zombie ? Bon, attends deux minutes, vociféra Brigitte, remontée comme un coucou suisse, ça dure depuis trop longtemps. Je monte et je te le ramène par la peau des… trucs, ton gars. Tu lui causes en direct live et on n’en parle plus !

— C’est pas possible… il est parti en stage.

— Ah, je comprends mieux. D’où la grosse déprime ! Tu es vraiment un cas clinique toi. Et il revient quand ton beau brun ?

— Dans dix jours. Il est en formation dans le Sud. Mais je te jure que je vais lui parler. Promis !

— Ben ne traîne pas trop, s’il trouve une meuf plus entreprenante, tu vas finir chez les nonnes, ma vieille !

Deux semaines s’étaient écoulées. Secouée par « miss Haute Tension » comme elle aimait l’appeler, et avec la crainte qu’elle ne débarque à l’improviste pour exécuter son plan, Nathalie reprit sa vie en main, envoya un texto à Stéphane dans la foulée pour s’excuser et décida de passer à l’acte, enfin.