VII
Quand je me suis réveillée, la blancheur de la pièce dans laquelle j'étais m'agressa les yeux. Ma vue redevenait normale. J'étais en vie, dans une chambre d'hôpital. Je m'étais donc loupée. Mon père et mon frère étaient présents dans la salle. A peine avais-je ouvert les yeux que les deux hommes étaient à mon chevet. Les yeux rivés sur moi.
-Ad’ ? Mais??? Répétait mon frère en boucle. Je me rappelais tout ce qui s'était passé plus tôt dans la journée. Même me donner la mort, je n'avais pas réussi. L'envie de vivre s'éteint, mon regard est morne. Je fis abstraction des multiples questions que me posaient mon père. Je continuais à regarder un point fixe, quelque part du côté de la fenêtre, un point au milieu de ce ciel bleu orangé qui montrait qu’une journée s'était écoulée. Ce ciel, l'infini, un autre monde, différent peut-être. Mon regard se vide, cette idée de m'être ratée me torture. Cette envie de mourir me suivait depuis le début, il était impossible que cela ne se produise pas un jour. Me donner la mort, ma disparition aurait ébranlé mes proches, je me serais montré égoïste envers eux, mais ils auraient, un beau jour, fait leur deuil. Ils auraient survécus et auraient finalement continuer à vivre. Cela n'a pas fonctionné et je m'en désole profondément. La mort, synonyme de de paix, et je maudirais du plus profond de mon âme celui qui m'a ôté l'envie fondamentale de vivre. Cet homme que je haïs, que dis-je, ce monstre. L'envie de vomir me prend. Je convulse, mon père a tout juste le temps de comprendre ce qui ce passe qu'il attrape un bol et le met sous mon nez. Mon corps ne supporte pas cette image, cette réalité. Une fois avoir vidé mon sac, ma tête s'affale dans mon oreiller. Je reprends mon souffle, les yeux fixés au plafond. Mon regard se pose sur mon ventre. Cette atrocité... Le fruit de ce viol grandit en moi et cela me révulse. Je suis brisée. Alors me voilà, allongée dans un lit d’hôpital, mon père me caressant la tête pour apaiser une douleur qui ne guérira jamais… Je suis morte le jour où il m’a touchée. Je suis morte.
L’hôpital m'a gardé encore en observation. Mon père a veillé sur moi toute la nuit. Comme toute les autres nuits, des flash de cette atroce journée reviennent dans les quelques heures où j’arrive à fermer l’œil. Je me réveille en sursaut avant de me recoucher. Et cela de nombreuses fois. Le lendemain matin, j'étais encore au lit, éveillée. Mes cicatrices n’ont pas du tout cicatrisées mais les infirmiers ont jugé bon de m'enlever la seringue par laquelle le sang de la poche suspendue passait pour combler le manque de sang suite à l'hémorragie à laquelle j’avais survécu. J’avais des bandeaux aux poignets qui faisaient plus penser à des menottes qu’autres choses. Je me suis enfermé dans cette souffrance, j’en ai perdu la clef. Mon frère était rentré dormir à la maison et mon père était à côté de moi lorsqu'une infirmière est rentrée dans la chambre.
-Monsieur Thomas je présume ? Enchanté, je m’appelle Rose, je suis la psychologue de l’hôpital. Elle se tourna vers moi. Je suis ici pour parler avec toi, Adèle. Et elle se retourna vers mon père. Seule à seule. Il comprit et partit de la chambre sans ronchonner. La psychologue s’avança. Elle était rousse avec beaucoup de grains de beauté sur le visage. Plutôt petite et avec quelques formes qui lui allaient bien. Derrière ses lunettes se cachaient deux yeux marrons clairs presque châtains. Elle avait un large sourire et de fines lèvres. Il y avait quelque chose en elle qui pétillait. Elle avait l’air gentille.
-Bonjour Adèle, moi c’est Rose. Elle me tendit la main mais je l'ai refusé. Aucun contact, je ne supporte aucun contact. Ok, pas grave. Dit-elle prenant place sur le fauteuil à côté du lit, en face de moi. Elle se mit en tailleur sur ce fauteuil. Elle avait apporté un dossier sur lequel mon nom apparaissait en gras. Thomas Adèle. La femme se servit un verre d’eau et regarda dans la même direction que moi : vers la fenêtre. Je sais que ce que tu as vécus laisse des traces profondes, très profondes, elle se retourne vers moi, il faut juste faire le bon choix, choisir de panser ces plaies, choisir de vivre, choisir de ne pas laisser ceux qui t’ont fait du mal détruiront ta vie. Regarde, toi aussi je suis sûre que tu peux y arriver. Où juste essayer.
- Je n’y arriverai pas… j’attends son enfant… Lui dis-je, les yeux vides, en me mettant à dos contre elle. Je suis comme prise dans un cercle vicieux, je ne peux plus me regarder, pas avec ça… Je la regardais dans les yeux. J’ai ce truc dans mon ventre qui grandit et je ne peux pas l’arrêter. Je n’y arriverait pas.
-Tu as gardé toute cette douleur six mois ? Elle a trouvé la réponse rien qu’en lisant dans mes yeux Oui, oui j’ai tout gardé pour moi. La honte, la peur, je ne sais plus trop ce qui m’y a poussé… Elle reprit. Tu peux m’expliquer ce qu’il s’est passé pour que tu en arrive là ou est-ce que c’est encore un peu trop tôt ? Je ne répondais pas. Sans réponse elle continua. Etais-tu consentante ? Non je ne l’étais pas. J’aurais voulu hurler que non mais je ne l’ai pas fait. Je n’ai rien dit. Encore une fois je m’enfermais dans mon mutisme. Un mutisme pour me protéger. Je répondais par ce mutisme. Tout étais sous-entendus.
-Bon, tu n’as pas envie de parler aujourd’hui. Tant pis. Je comprends que se soit difficile. Mais un jour, il faudra parler. Elle est si douce. Je ne connais pas cette personne mais c’est une bonne âme. Il n’en reste pas moins que je suis enceinte et que je ne sais pas quoi faire de moi. Avant de partir, cette dame m’a murmuré à l’oreille de ne jamais baisser les bras. ‘’Tu es vivante, alors vas-y vis !’’ a-t-elle dit. Je pense qu’elle a croisé mon père dans le couloir. Pour la première fois de ma vie, je l’ai entendu pleurer dans le couloir. Jamais encore je ne l’avais entendu. La porte de la chambre s’est ouverte. Un homme désespéré est entré.
-Tu ne veux toujours pas parler ? Dit-il en séchant ces larmes. C’est pas grave pour l’instant mais, un jour, je voudrais savoir comment tout ça est arrivé… Tu, tu me diras quand tu seras prête à me dire, oui? La fatigue revenait et effectivement. Sa main sur ma joue, il me sourit.
On m’a encore gardé une journée et les médecins m'autorisèrent à partir le lendemain. Le lendemain matin, j’étais enfin debout. Me lever signifiait reprendre le cours de ma vie. Ainsi, à neuf heures je m’étais débarrassée des vêtements d’hôpital. Mon frère avait ramené des vêtements propres de la maison. Ceux que je portais lorsque je suis arrivée ici étaient imbibés de sang séché, ils étaient pliés dans le sac aussi ramené par Gérôme. Il avait aussi récupéré mon sac de cours au lycée le soir de mon entrée ici. Apparemment, lui aussi était taché de sang. Ce que j’ai fait était impulsif. Sous l’emprise de mes émotions je ne maîtrisais plus. J’ai voulu mettre fin à mes jours, j’aurais décidé d’abandonner, comme ma mère. Je n’ai aucune envie de prendre exemple sur elle. Pour l’instant je souffre juste de cette injustice, mais il viendra un jour où ça ira mieux. Avant de partir, la psychologue est venue nous voir mon père et moi. Elle nous a donné les coordonnées d’une consœur à rencontrer expressément. Mes avants-bras étaient enroulés dans des bandages, je m'étais sérieusement amoché le bras gauche mais par précaution, les médecins avaient aussi soigné mes récentes plaies au bras droit. Il fallait, chez moi, changer mes pansements matin et soir, je ne m'étais pas coupé les veines assez profondément pour me vider de mon sang mais elles étaient quand même un peu endommagées. Les médecins m’ont prévenu qu’il serait difficile de plier certains doigts de la main gauche pendant un temps. La question ne se posait même pas, j’avais déjà mal en bougeant le bras. Mais je ne suis pas du genre à me plaindre, j’intériorise, comme d’habitude. Mon père a pris mon sac dans une sorte de silence ou de gêne, je ne sais pas vraiment. En tout cas, c’était une atmosphère assez bizarre. On s’est regardé et on est partis de la chambre. Nous sommes allées à l’accueil pour que mon père signe quelques papiers et nous sommes enfin partis de l’hôpital. Mon frère était au volant de la voiture, il nous attendait, dès qu’on est arrivés, il s’est installé sur le siège avant. Il a toujours adoré être à l’avant et moi, j’ai toujours préféré être à l’arrière, là où l’on pouvait moins me voir. Une atmosphère particulière se dégagea sur le trajet du retour. Je regardais toujours par la fenêtre les voitures qui défilaient sous mes yeux. Instinctivement, je ne m’en étais pas aperçu, j’avais posé la main sur le bas de mon ventre. Je ne m’en étais pas rendu compte de tout le trajet. Mon frère, très discret, jetait des coups d’œil à mon état. Je faisais évidemment semblant de ne pas le voir. Il m’avait à peine parlé durant mon hospitalisation. Je sentais de la colère en lui, contre qui ? Je ne sais pas. Une fois rentrés, mon père m’a sommé d’aller me coucher. Il était environ onze heures du matin et je n’avais pas sommeil. Je me suis tout de même allongée dans mon lit. J’avais réellement pris conscience de ma situation. J’étais enceinte. J’en ai profité pour méditer sur le sort de l’enfant. C’est vrai, cet enfant est issu d’un viol, je n’ai que seize ans, je haïs l’homme qui m’a fait ça, en toute logique, je devrais détester cet enfant aussi. Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que ce n’est pas de sa faute. Il n’y est pour rien dans tout ça. Parce que ce n’est qu’un bébé, parce qu’il est là, parce qu’il grandit en moi, je ne peux tout simplement pas faire comme si de rien était. Ce n’est pas juste pour lui, il n’a rien demandé. Et en même temps, il ne fait que me rappeler cette horrible journée tout le temps, tous les jours, toutes les minutes, toutes les secondes. Que faire ? Mon téléphone vibre. Ca faisait un moment que je ne l'avais pas entendu. D’un trait, comme ça, j’ai eu un flash. Il y avait un garçon aux cheveux longs avec moi, tout était flou, lui aussi. Je ne pourrais jamais le reconnaître. Un autre flash éblouit ma mémoire, une petite femme paniqué. Je ne sais pas, je ne me rappelle plus de rien. Tout s’est comme évaporé. J’ai checké mon compte Instagram, il y avait deux messages. Le premier, de Vincent. Ça y est, je me souviens, c’était lui. Vincent, l’autre insociable de la classe. Le bricoleur, toujours à faire de l’origami ou du collage en cours... Je n’en revenais pas. J’ai ouvert le message et je l’ai lu : ‘’Je ne sais pas par où commencer mais bon, c’était juste pour savoir si tu allais bien. C’est surement débile de demander ça mais tu es toujours vivante ?’’. J’étais assez gêné mais Vincent est un bon garçon, grand blond, il porte très souvent cette blouse de chimie, pourquoi je ne sais pas, lui aussi est seul, assez fort en physique, il prend rarement avec lui un sac de cours, ne prend aucune note, je me demande comment il fait pour les évaluations mais bon. Enfin bon, inutile de vous dire que je ne savais pas quoi répondre. Il a vu mon état, peu de personne le savent et il fallait que ça tombe sur lui. Encore un mauvais coup du sort. En attendant de trouver une réponse, je suis allée voir les messages du groupe de la classe auxquelles on m’avait intégré sans rien me dire. A peu près toute la classe y est. Évidemment, ils en ont parlé. ‘’ A votre avis c’est qui ?’’, ‘’ on sait que c’est une fille’’, ‘’tentative de suicide je pense’’, ‘’ Y avait deux filles absentes ce jour là’’, ‘’ Emma et Adèle’’, ‘’était là en anglais’’, ‘’Vincent sais qqchose’’, ‘’ Allez Vincent quoi !’’… J’étais profondément soulagée que Vincent n’ai rien dit. Je suis revenu sur le message de Vincent. Un petit point vert signalait qu’il était en ligne. Je cherchais mes mots. Finalement, je lui ai répondu: ''Merci Vincent de n’avoir rien dit sur le groupe.’’. J’étais gênée, mal à l’aise et très et très honteuse. J’ai éteint mon téléphone tellement j’avais honte de moi-même mais celui-ci s’est remis à vibrer : message de Vincent. Un dialogue prenait place, par politesse ou par malaise, je ne sais pas, j’ai lu son message : ‘’tkt pas, c’est normal, on a tous connu des hauts et des bas, mais toi ça va ? Tu n’a pas répondu à ma première question. Enfin j’imagine, vu ce qui s’est passé, que ça ne va pas si bien’’. A la suite de quoi je répondais : ‘’ Oui, c’est vrai. Ca ne va pas si bien’’. Je me suis dit que je n’avais pas le droit de le laisser en plan, il m’a quand même sauvé la vie. On a continué à chatter. Il n’a pas demandé pourquoi. Cela m’arrange je crois, je pense qu’il a dû comprendre… ‘’Désolé, je suis un peu fatiguée, mais c’est gentil de prendre de mes nouvelles, merci:)‘’. C’est comme ça que j’ai mis fin à cette discussion, ou du moins pour aujourd’hui. Ça m’a fait un peu oublié le plus gros problème et c’était assez réconfortant, je dois dire. Le sommeil est venu me chercher peu après pour m’emmener loin d’ici. Je pense que ça m’a fait du bien.
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