Chapitre 12
Dix minutes plus tard, je sonnai à la porte d’un appartement. Le ciel s’assombrissait, et j’espérai que Lionel ou Alex était rentré. Mon souhait s’exauça lorsque la porte s’ouvrît et le visage maussade d’Alex apparut dans l’embrasure.
Ses yeux s’arrondirent lorsqu’il me vit, comme si j’étais un fantôme revenu de l’au-delà. Puis son visage afficha du soulagement, et un peu de peur, mais il me laissa entrer. Il s’exclama :
- Edward ! On te croyait perdu pour toujours !
- Lionel est là ? demandai-je.
- Oui oui. Lionel ! cria Alex. Edward est revenu !
- Quoi ? fit la voix incrédule de Lionel. Qu’est-ce que tu as fait pendant tout ce temps ? dit-il une fois qu’il me vit.
- Allons ! Je n’ai pas été absent si longtemps, quand même !
Alex et Lionel me regardèrent avec des grands yeux, comme si je venais de dire la chose la plus stupide de leur existence.
- Si ? demandai-je d’une petite voix.
- Tu.., tu.., tu ne sais pas ? bredouilla Lionel.
- Ça fait deux ans que tu es parti ! annonça Alex d’un trait.
- Quoi ? Deux, deux ans...
Je chancelai soudain, et Lionel me rattrapa avant que je m’effondre au sol. Lionel me conduisit dans leur petit appartement, et me fit asseoir dans un fauteuil. Il demanda d’une voix douce :
- Qu’est-ce qui s’est passé ? Raconte-nous.
- Je me suis réveillé ce midi, allongé au beau milieu d’une forêt, avec un mal de tête épouvantable.
- Où, précisément ?
- Je ne sais pas. Je suis allé dans l’entre-monde, et je suis allé à la base. J’ai fait une petite visite, puis j’ai pris un peu d’argent...
- Où ça ? demanda Lionel, les sourcils froncés.
- Dans la réserve de Claude, où voulez-vous que j’en prenne ?
Alex partit dans un grand éclat de rire. Il dit, entre deux secousses :
- Tu avais depuis le début le code ! Pas mal, gamin, pas mal !
- Pourquoi ne pas l’avoir dit aux autres ? demanda Lionel.
- Je savais que si j’ouvrai la porte, tout de suite, des gars se seraient jeté sur moi, et seraient entré dans la salle pour prendre de l’argent. Bref, je ne vous faisais pas confiance.
- Tu avais totalement raison, approuva Alex.
- Bref, j’ai pris un peu d’argent, puis, pour avoir un point d’approche, je suis allé dans cette ville, acheter un peu de nourriture...
- Tu m’étonnes, ça fait deux ans que tu n’as pas mangé ! rigola Alex, qui se tût après un regard assassin de la part de Lionel.
- Puis je suis allé voir la maison de mon père. J’ai vu votre message, puis le temps que je vous retrouve, me voici.
- Et bien, c’est étrange, tout ça, commenta Lionel.
- Ah oui ! J’ai oublié ! J’ai acquis un nouveau pouvoir. Si je suis près d’un arbre, je peux me téléporter à un autre arbre.
- Est-ce que tu peux le faire plusieurs fois de suite ? demanda Alex. Du moins, est-ce que tu as essayé ?
- Comment as-tu eu ce pouvoir ? demanda Lionel. Et est-ce que ça marche partout ?
- Du calme, du calme. Oui, je peux le faire autant de fois que je veux, et partout. Je pense que le fait d’avoir passé deux ans dans le néant a changé quelques choses dans mon organisme. Mais...
- Je veux faire pareil ! dit Alex.
- Tu veux passer deux ans de ta vie à attendre, avec la sensation de tomber sans discontinuer ?
Alex fit une grimace :
- Effectivement, dit comme ça...
- Et vous ? demandai-je. Comment ça s’est passé ?
- Et bien.., dit Lionel, hésitant. On peut dire qu’Alex n’a pas fait dans la dentelle. Tu es sûr que...
- Oui ! Pendant les trois mois que j’ai passé avec vous, de nombreuses personnes s’amusaient à me faire peur en me racontant des histoires horribles. Donc, j’ai l’habitude.
- Pourquoi tu me regardes comme ça ? protesta Alex en retour du regard que lui lançait Lionel. Je ne lui ai rien dit du tout !
- C’est vrai que pour une fois, tu n’es pas coupable, reconnus-je. C’est bien la première fois.
- Bon, Alex, je te laisse raconter, vu que tu es le principal instigateur de ce qui va suivre.
- Après que Nicolas t’ait laissé tomber, et qu’on t’ait tous regardé tomber, je me suis occupé personnellement de Nicolas. Je lui ai coupé les mains, pour qu’il ne puisse plus jamais pousser quelqu’un.
- Il voulait le laisser comme ça, dit Lionel. Mais on a réussi à le convaincre de l’achever.
- Si tu voulais tellement l’achever, tu n’avais qu’à le tuer toi-même, au lieu de me laissé faire le sale boulot ! Bref. Comme vous m’avez laissé choisir son sort, je l’ai pendu. Au bout d’une semaine, comme ça commençait à sentir, j’ai détaché le corps et je l’ai jeté du haut de la falaise.
- Effectivement, quand tu t’y mets, ce n’est pas joyeux, grimaçai-je. Mais bon, je te comprends.
- Pendant ce temps là, les membres du groupe ont commencé à nous quitter, un par un. Pour différentes raisons, soit parce que Claude était mort, soit face à notre sévérité de nouveaux chefs, soit par le sort que tu as eu.
- Vous pensiez que j’étais mort ? demandai-je.
- Au début non, on croyait que tu allais revenir, dit Lionel.
- C’était horrible, car quand on se penchait vers le néant, on pouvait apercevoir une forme qui tombait lentement, dit Alex.
- Au bout d’un mois, on n’en a tous conclu que tu étais mort. A ce moment, nous n’étions plus que cinq. Avant ça, on a essayé de retrouver les deux hommes qui s’étaient enfuis avec l’argent.
- On les a retrouvés trois jours après. Je les ai tué, dit froidement Alex. C’est un peu eux, la source des soucis.
- Non, c’est moi, dis-je.
- Pourquoi est-ce que ça serait toi ? s’indigna Lionel. Ce n’est la faute de personne, d’accord ?
- Le problème, c’est que lorsque l’on distribuait l’argent aux hommes, ceux ci partaient avec l’argent. Résultat, on s’est vite trouvé à court, dit Alex.
- Sans argent, nous ne pouvions rien faire. On a essayé d’attaquer une banque, mais ça a raté complètement, poursuivit Lionel.
- J’ai encore dû les sauver, commenta Alex.
- On s’est distribué l’argent de notre braquage foireux, puis on est tous parti. On a laissé un message dans la maison de ton père, mais on n’y croyait pas trop. Ça faisait vraiment trop longtemps que tu étais parti.
- Chacun est parti de son côté. J’ai revu depuis deux personnes du groupe. Elles avaient l’air heureuses. Donc... je pense que malgré ton retour, tout ce qu’a fait Claude est mort et enterré.
- Mais regardez-vous ! dis-je. Qu’est-ce que dirait Claude s’il vous voyait ?
- Et allez ! Il nous fait le coup de la culpabilité, dit Alex, levant les yeux au ciel. Et tu crois que ça va marcher ?
- Pourquoi pas ? répondis-je avec un air de défi.
- C’est parti ! Qu’est-ce qu’il nous dirait Claude, hein ? Vous n’avez pas honte ! s’exclama Alex dans une imitation de Claude assez ressemblante. Qu’est-ce vous faites là ! Vous devriez être en train de préparer le prochain plan d’attaque ! C’est inadmissible ! En plus, vous avez grossi !
- Ah bon ? m’étonnai-je.
- Moi, je ne sais pas, mais Lionel, c’est sûr. Tu n’as pas vu comme il mange !
- C’est même pas vrai, protesta ce dernier. C’est plutôt toi qui a grossi, oui ! Forcément, à te goinfrer de sucreries comme un dépressif, c’est facile d’accuser les autres !
- Ce n’était pas le sujet de départ, dit Alex en balayant sa remarque du revers de la main. Reprenons : si Claude vous voyait, il se retournerait dans sa tombe ! Il préfèrerait se tuer une deuxième fois plutôt que de retravailler avec vous !
- Je n’ai jamais dit ça, protestai-je. Je trouve seulement dommage que vous qui étiez au début si enthousiastes, vous abandonniez aussi facilement !
- Et ça y est ! Les reproches, maintenant ! s’exclama Alex.
- Ce n’était en aucun cas un reproche ! protestai-je.
- Et on est sensé réagir comment ? En pleurant, en suppliant de nous faire revenir ? Mais pas du tout ! J’aime ma vie, moi. Je ne vais pas la quitter pour de nouveau tremper dans des histoires de magouilles !
- Ce n’est pas toi hier, qui disait que pour n’importe quoi, tu reviendrait à ta vie d’avant ? ironisa Lionel.
- Tu dois confondre avec quelqu’un d’autre, dit Alex.
- De toute façon, est-ce que j’ai dit que j’allai continuer le boulot de Claude ? Est-ce que j’ai dit que j’allai vous réengager ? Jamais.
- Quoi ? protesta Lionel. Mais moi je n’attendais que ça ! Lorsque je t’ai vu il y a une heure, j’ai tout de suite pensé : Super ! On va refaire des braquages !
- Mais quel lèche-bottes ! soupira Alex.
- Alex, je ne sais pas, et il fait ce qu’il veut...
- Il y a intérêt ! dit celui-ci.
- Mais moi, je reviens avec toi ! Si tu es d’accord, bien sûr.
- Mais je vous ai dit que je ne veux pas reprendre le travail de Claude ! criai-je en me levant brusquement.
Il y eut un silence. Les deux frères me regardaient, étonnés, comme s’ils ne savaient pas que je pouvais crier aussi fort. Le poids de la journée s’abattît sur moi. Je chancelai, et encore une fois, ce fut Lionel qui me rattrapa. Il dit :
- On en reparlera demain, d’accord ? Je vois bien que tu es fatigué. Tu as besoin de dormir.
- Tu m’étonnes ! Ça doit faire deux ans que tu n’as pas dormi, renchérit Alex.
- Est-ce que tu as eu au moins le temps de manger ? s’inquiéta Lionel.
- Mais oui, il l’a dit ! grommela Alex. Tu l’écoutes quand il parle, oui ?
- Assis-toi sur le fauteuil, dit Lionel en m’aidant. Je vais t’amener des coussins et une couverture.
Les deux frères qui une minute auparavant se disputaient étaient maintenant à mon chevet comme deux grands-mères s’inquiétant pour leur petit-fils malade. Alex dut penser exactement la même chose, car il dit :
- On est comme deux grands-mères gâteuses, n’est-ce pas ?
- C’est très drôle, marmonnai-je, à moitié endormi.
Lionel revînt avec une couverture et un coussin. Il mit celui-ci derrière ma tête, puis mît la couverture sur mon corps. Je ne mis pas très longtemps à m’endormir sous le regard inquiet de Lionel, et agacé d’Alex.
Je me réveillai au beau matin dans le fauteuil que je n’avais pas quitté. Mon ventre semblait gargouiller continuellement, comme s’il n’avait pas mangé depuis longtemps - ce qu’il était sans doute le cas.
Alex et Lionel étaient endormis chacun dans un sac de couchage, à même le sol. Je remarquai alors qu’il n’y avait pas de lit dans la pièce. Les deux frères n’avaient-ils pas assez d’argent pour s’acheter un lit ?
Sans bruit, je me levai et cherchai la cuisine des yeux. Elle était dissimulée dans un coin de l’appartement. Elle n’était même pas séparée de la chambre par une porte.
Marchant doucement, je fouillai un peu dans les placards pour trouver un petit déjeuner convenable. Je trouvai une boîte de céréales et une coupelle. Cela me convînt amplement.
Pendant que je mangeais, je m’absorbai dans la contemplation de la ville. En vérité, j’étais plutôt plongé dans mes pensées lorsque les deux frères se réveillèrent. Ils me regardèrent, étonnés, comme s’ils ne se souvenaient plus de moi - ce qui, encore une fois, était probable.
- C’est bon, tu as assez mangé ? ironisa Alex. On peut avoir le paquet de céréales, maintenant ?
Ne répondant pas, je lui balançai le paquet de céréales tandis que Lionel partait se laver. Une fois que les deux eurent mangé et se furent habillés, nous nous réunîmes dans la même position que le jour d’avant.
- C’est quoi, ton plan ? demanda Lionel après un silence.
- Vous aviez raison, hier soir. Je veux continuer l’œuvre de Claude, je ne veux pas la laisser inachevée. Et pour ça, j’ai besoin de cinq personnes, pas plus.
- Tu sais qu’avec Claude, on était au moins une trentaine, objecta Alex.
- Et c’est en partie pour ça que ça a raté. Moins il y a de personnes, mieux c’est.
- Comme tu veux, dit Lionel en haussant les épaules. Tu sais déjà que je suis là.
- Si possible, il faudrait qu’il y ait au moins une personne de chaque groupe. Mon objectif, c’est qu’on soit six : un informaticien, deux surveillants, et trois actionnaires.
- On dirait que nous faisons partie d’une entreprise, ironisa Alex. Actionnaire, informaticien...
- Tu as dit nous, observai-je. Ça voudrait dire que tu te joins à nous ?
- J’ai encore joué mon rôle d’anarchiste, hier soir, avoua Alex. En fait, je voudrais bien vous rejoindre.
- On est déjà trois, dis-je. C’est un bon début. Vous connaissez d’autres personnes qui accepteraient de revenir ?
- Comme je l’avais dit, on était cinq à quitter en dernier le repère, dit Alex. Je pourrais essayer de les convaincre.
- Tu as leur adresse ? demandai-je.
- On se les est tous échangées entre nous, dit Lionel. Au cas où il y aurait du changement.
- Et bien, ce changement, il est arrivé ! Organisez-vous, démissionnez de votre travail, bref, faites le nécessaire. On se retrouve lundi à la base pour en discuter.
- Qu’est-ce que tu vas faire ?
- Je vais aménager de nouveau notre base, dis-je. Pour qu’elle soit un minimum confortable.
Je pris mes affaires, et sortis de l’appartement, non sans avoir adressé un petit signe d’en revoir aux deux frères. Je sortis au dehors et respirai un grand coup. Après deux ans d’absence, c’était une nouvelle vie qui commençait.
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