Chapitre 4 : Premier matin (2/2)
— Celle-ci, reprit-il, est d’une telle beauté, d’une telle finesse… que je me demande si je suis digne de le porter.
Lem’tili se jeta alors à son cou et lui, en retour, l’entoura de ses bras, sa doudoune de cadeau toujours en main.
— C’était juste le plus beau compliment que tu pouvais me faire ! lui susurra-t-elle à l’oreille.
Puis, se reculant d’une coudée sans lâcher sa nuque, elle plongea ses yeux dans les siens avant d’ordonner :
— Et tu le porteras, car je le veux !
Une moue mutine se dessina sur ses traits. Une autre version de sa femme qui ne pouvait laisser Lem’nar de marbre.
— À vos ordres, maîtresse…
Elle se dégagea avec douceur et lui rétorqua coquinement qu’il n’obtiendrait rien de plus en jouant sur sa corde dominatrice. Ce n’était certes pas le but recherché par le marchand, mais cela l’amusa de constater comment, une fois de plus, sa douce savait tirer parti de ses faiblesses.
Elle se recula ensuite pour de bon sur le divan, s’y tint bien droite et referma ses jambes qu’elle cacha derrière les replis de sa robe. Elle y joignit ses mains à plat sur les genoux et dessina sur ses lèvres fines un léger sourire qu’elle agrémenta d’un regard aguicheur. Comme une fille bien sage attendant quelques récompenses. Son mari répondit à cette attente explicite par son propre cadeau qu’il lui présenta.
Elle prit grand soin d’en défaire les nœuds grossiers avec lenteur, pour faire durer tant son plaisir que le suspens. Lorsqu’enfin la boîte noire, de la taille d’un poing, fut dégagée, elle ouvrit et sa bouche et ses yeux en grand.
— C’est… magnifique !
Lem’nar bomba involontairement le torse, observant son aimée admirer la finesse de l’œuvre. Ces traits ouvragés, qu’ils fussent creusés dans le bois ou qu’ils en ressortissent par de fines bandes enchâssées d’essence plus claire, rivalisaient de complexité avec son nouveau pull. Le couvercle était vierge de toute ciselure, mais des motifs de feu y avaient été peints qui représentaient l’amour porté à sa douce. La laque, enduite avec dextérité, renvoyait à Lem’tili son reflet ébouriffé.
Lorsqu’elle retourna la boîte pour en admirer le revers, elle y entendit un bruit étouffé. La remettant à plat, elle leva son regard vers Lem’nar et :
— Nar… ce chef-d’œuvre n’est pas réellement mon cadeau, c’est cela ?
L’homme lui répondit d’un hochement d’épaule complice.
Le couvercle de l’ouvrage était simplement enchâssé sur sa base. Elle y appliqua une première traction, sans succès, avant de bander les muscles tant les parties étaient bien ajustées l’une à l’autre. La boîte céda enfin dans un bruit de succion. Le contenu en apparut… et ce fut au tour de Lem’tili d’avoir son sourire dissipé par la surprise.
Un serpent d’or dormait dans une cavité recouverte de velours sombre. Il se composait de dizaines d’anneaux aux formes tortueuses emboîtées les uns aux autres comme autant d’écailles. Son corps, d’une longueur à peine suffisante pour en faire un collier, s’achevait de part et d’autre par un fermoir à serrure minuscule. Au moment de l’extraire, la tête de l’animal endormi, ensevelie jusque-là sous ce dernier, se dévoila enfin à la lumière.
Lem’tili sentit aussitôt son sang lui empourprer les joues. La courte mais robuste chaîne, témoignant déjà à elle seule de la maîtrise de l’orfèvre qui l’avait conçue, soutenait une harmonie de tiges d’or recourbées en sarabande spiralée. L’ensemble formait une petite cage ovoïde aux barreaux tourbillonnants. L’oiseau qui en était prisonnier se débattait en tintements insonores à chaque mouvement de main de sa nouvelle propriétaire. Une pierre aux faces triangulaires d’un noir profond, captive de sa gangue luxueuse, qui contrastait avec celle-ci comme les flammes tranchent sur les briques souillées de la cheminée. À l’instar de Lem’nar qui, des saisons plus tôt, n’avait pu décrocher les yeux de l’éclat insolite qu’il avait tenu dans sa paume, sa femme resta rivée sur lui alors qu’elle le faisait danser dans l’espace exigu qui lui était réservé.
Elle ne s’aperçut donc pas du second entortillement, argentée celui-là, dans le fond de la boîte. Son mari s’en saisit et l’extirpa avec précaution. Il s’agissait d’une chaînette d’argent au bout de laquelle pendait une petite clé de la taille d’une phalange, qu’il présenta aux côtés de la chaîne d’or que Lem’tili gardait suspendue face à elle. Lorsque le regard de la belle fut attiré par la minuscule clé dorée, elle remarqua également le sourire affectueux de son homme caché derrière. Elle le lui rendit et, au comble de l’extase, sans mot dire, elle reposa le serpent articulé pour dégager les cheveux de sa nuque qu’elle offrit sans détour. Lem’nar ramassa le cadeau, en entoura avec tendresse le cou de son aimée et en assura le fermoir à l’aide de la clé.
Elle laissa ensuite retomber sa chevelure et se replaça face à son mari. Lui sut alors que son choix avait été le bon. La pierre captive se balançait maintenant sous la salière dénudée de sa moitié. Sur l’instant, il ne put dire si c’était la finesse et la noblesse du bijou qui enjolivait sa femme, ou l’inverse.
Après être parvenu à se détacher de cette gorge dévêtue jusqu’aux épaules, il se laissa à son tour nouer la chaînette à la clé autour de son propre cou. Cela fait, Lem’tili se leva pour aller s’admirer dans un œil de sorcières qui ornait l’un des murs. Elle y contempla la perfection de ce cadeau qui lui seyait si bien et, ne sachant trop quels mots prononcer en remerciements, elle déguisa son contentement en une remarque espiègle :
— Tu savais tout le soin que j’avais apporté au pull de cette année et tu as voulu me battre au jeu, c’est ça ?
— Je dirais simplement que, pour nos dix années de mariage, nous nous sommes mutuellement bien inspirés…
Toujours face à son reflet qu’elle faisait varier sous différents angles, elle se sentit apaisée, sans trop savoir pourquoi, de voir cette pierre dansante posée en diadème de sa poitrine. Comme si cette partie de son corps l’avait attendue toute sa vie, la petite cage roulant à la naissance de ses seins lui évoquait un véritable œuf dans son nid.
— Cette gemme noire… qu’est-ce que c’est ?
Lem’nar avait prévu la question depuis longtemps et l’éluda d’une façon que sa femme ne pouvait qu’accepter :
— Rien de plus que le témoignage de mon amour pour ma tendre moitié…
Cette réponse eut l’effet escompté, Lem’tili ne revenant pas à la charge. Elle n’en avait pas besoin, du reste : ce que la pierre représentait prévalait sur ce qu’elle avait été avant d’être emmurée d’or.
— Je pense… non, je suis sûr de ne jamais l’enlever.
— Le voudrais-tu même que tu ne pourrais le faire sans moi, rétorqua le marchand en faisant balancer la clé dorée au bout de ses doigts.
Sa femme délaissa le miroir et vint s’asseoir sur ses genoux. Elle l’enlaça et replongea ses yeux dans les siens.
— Je t’aime, lui dit-elle avec une franchise féminine à faire fondre un eunuque.
La contrepartie lui parvint en un doux baiser qu’elle garda aussi longtemps que son souffle le lui permit. Elle était heureuse. Non pas à cause de la valeur du présent, non plus pour le savoir dater d’avant la veille, mais parce que, malgré les années, elle sentait posé sur ses lèvres le même amour qui avait vu naître leur couple.
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