blanc comme la neige et rouge comme le sang

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Il était une fois, une magicienne nommé Maléfique qui était douce, gentille et généreuse. Sa bonté était telle que la reine des fées lui avait fait don d'un miroir magique qui répondait à toutes les questions et pouvait lire dans le coeurs les désirs secrets de chacun.

Ce dont avait cependant une contrepartie: seule une personne généreuse, désintéressée et dépourvue d'orgueil pouvait s'en servir. Si une personne avait le malheur d'interroger le miroir pour des motifs égoïstes ou pour flatter son propre orgueil, le miroir se vengeait en répondant uniquement à la dernière question posée et aucune autre. Car il est bien connu que les dons des fées utilisent en partie la magie des korrigans, et que ces derniers adorent se moquer des humains cupides, égoïstes ou orgueilleux.

Maléfice étant dépourvue du moindre vice, elle pouvait interroger le miroir sans craintes et chaque nuit, elle lui posait la même question.

— Dis moi, gentil et savant miroir magique, quelle est la personne de ce royaume qui subit la plus grande injustice ou qui souffre de la plus grande tristesse ?

Et chaque nuit, le miroir magique lui exposait le cas d'une personne souffrant injustement, et la brave Maléfique usait de tout son talent pour réparer ces torts.

Or une nuit, alors qu'elle posait la même question que toutes les autres nuits, le miroir lui répondit:

— Il n'y a plus personne qui souffre de la moindre injustice. Les collecteurs d'impôts malhonnêtes, les usuriers impitoyables ont tous été punis et nul ne peut abuser son prochain sans être rapidement châtié, mais il est une personne dans ce royaume qui souffre d'une grande, d'une très grande tristesse, au point qu'elle se laisse dépérir et mourra certainement de chagrin.

— Montre-moi cette personne, demanda Maléfique. Et montre-moi la cause de son chagrin.

Le reflet de la reine se brouilla dans le miroir et une autre image apparut. C'était la chambre de la reine. Elle était en train de faire de la broderie en regardant la neige tomber par la fenêtre, mais peu attentive à son travail, elle se piqua le doigts et une goutte de sang tomba sur le sol. La Reine ne cria pas. Elle resta immobile en regardant cette goutte de sang alors que ses suivantes affolées se précipitèrent à son aide.

— Majesté, Majesté, s'exclamèrent-elles. Est-ce que vous allez bien ?

— Cela fait si longtemps que je suis mariée et je n'ai toujours pas d'enfants, gémit la reine. Comme j'aimerais avoir une fille dont les lèvres seraient rouges comme ce sang et la peau blanche comme la neige qui tombe sur les tours du château. Hélas, je crains bien que cela n'arrive jamais.

La pauvre reine semblait désespérée. La gentille Maléfique décida donc d'exaucer son voeu.Cependant elle savait que créer la vie par magie était impossible, sauf pour les Maîtresses de la Destinée. Or les Maîtresses de la Destinée étaient trois sorcières hideuses et impitoyables qui vivaient dans une sombre caverne ou, selon la volonté du Maître de la Vie et de la Mort, elles tissaient la destinée de chaque être vivant.

Lorsque Maléfique leur fit part du souhait de la Reine, elles se mirent à rire.

— Je suis Clotho, la tisseuse de vie, gloussa la première sorcière. Je tisse le fil de la vie des mortels. Et puisque tu me le demandes, je donnerai la vie à la fille de la reine. Mais il y a un prix à payer. Pour chaque vie offerte, une vie sera prise.

— Je suis Lachésis, la tisseuse des destinées, s'exclama la seconde sorcière. Je déroule le fil de la vie des mortels. Et puisque tu me le demandes, je donnerai à la fille de la reine une peau blanche comme la neige et des lèvres rouges comme le sang. Mais il y a un prix à payer. Celle dont la peau ne sera jamais brunie par le soleil ne supportera jamais l'éclat du soleil sous peine de dépérir. Celle dont les lèvres seront toujours rouges comme le sang aura toujours le désir de tremper ses lèvres dans le sang.

— Je suis Atropos, la tisseuse de mort, ricana la troisième. Lorsque la fille de la reine viendra au monde, je trancherai un autre fil de vie et la dette sera payée.

Maléfique dût accepter ce terrible marché, mais terrifiée par cette rencontre, elle retourna chez elle et s'effondra devant son miroir. Avait-elle vraiment bien fait de conclure un pacte avec ces terribles sorcières ? Elle avait toujours utilisé ses pouvoirs pour des causes justes, mais elle avait un terrible pressentiment.

Le miroir magique lui renvoya l'image d'un femme aux traits tirés, et elle aperçut son premier cheveu blanc...

— Miroir magique, miroir magique, murmura-t-elle machinalement. Il y a peu j'étais la plus belle femme de tout le royaume, mais ce soir j'ai une mine affreuse, n'est-ce pas ?

— Oh non, répondit le miroir d'un ton cynique. Tu es la plus belle de toutes les femmes de ce Royaume, et ta beauté fera longtemps rêver les poètes et les rois.

— Ne serais-tu pas en train de te moquer de moi ? demanda Maléfique.

— Bien sûr, je me moque de toi, répliqua le miroir. Mais je dis toujours la vérité et je réponds à toutes les questions qui me sont posées. N'est-ce pas mon rôle ?

— Mais que va-t-il advenir ?

— Oh, tu resteras la plus belle encore de longues années. Tu es tellement belle qu'un roi demandera ta main et, n'osant refuser, tu deviendras reine.

— Ce n'est pas ce que je te demandes, fit sèchement Maléfique. Que va-t-il advenir de cette malheureuse fillette ?

— Bien sûr que c'est ce que tu me demandes, ricana le miroir. C'est exactement ce que tu veux savoir et tu ne veux rien savoir d'autre... tu es la plus belle et ta beauté fait chavirer les coeurs. Quant à la Princesse Blanche-Neige, puisque c'est ainsi qu'elle sera nommée, elle sera une petite princesse et un jour, elle sera plus belle que toi... mais tu as encore le temps, alors profite bien des années qui te restent.

Et depuis ce jour, le miroir magique ne répondit à aucune question de Maléfique, à l'exception de celles ayant trait à sa beauté.

Quelques mois plus tard, la reine mit au monde une petite fille à la peau blanche et aux lèvres rouges. Elle lui donna le nom de "Blanche-Neige" puis la sorcière Atropos trancha son fil de vie et la reine mourut.

* * * * * *

Blanche-Neige grandit donc au milieu des serviteurs et des nourrices. Elle eut ses premières dents à un mois et demi et il fallut changer plusieurs fois de nourrice car elle avait une fâcheuse tendance à mordre vigoureusement. Mais ce bébé était tellement adorable qu'on lui pardonnait tout.

Le roi cependant ne se remettait pas de la perte de sa première épouse, il sombra peu à peu dans une mélancolie dont les médecins craignaient qu'il ne survive pas longtemps. L'Âme du roi pleurait de douleur chaque nuit, et chaque nuit la pauvre Maléfique était réveillée par ses lamentations. N'y tenant plus, elle consulta ses grimoires pour essayer de comprendre la nature de la maladie du roi et découvrit rapidement que s'il ne retrouvait pas rapidement l'amour, il mourrait de chagrin.

Maléfique se rendit directement au palais et se présenta comme une noble magicienne désireuse d'aider le roi, ce qu'elle était effectivement. Dès que le roi fut en sa présence, il en tomba éperdument amoureux. Il organisa un grand bal en son honneur, tous les jeunes nobles du royaume y assistèrent. Blanche Neige fut évidemment présente, bien qu'elle soit trop petite pour danser. Ce fut d'ailleurs son premier bal.

Maléfique fut présentée à toute la cour, et bien des nobles étrangers avaient fait le déplacement pour l'occasion. Étaient présents le roi Casimir de Pologne, son épouse et ses enfants, Le prince Henri d'Angleterre, le duc de Normandie et son épouse, le prince Vladimir Barasab des principautés d'outre-Danube et son jeune fils qui se prénommait également Vladimir, le duc de Toscane, le duc de Milan, le Prince Electeur de Bavière et le roi de Bohême. Mais alors que le bal n'avait pas encore commencé, le jeune Vladimir poussa un hurlement de douleur qui interrompit la fête. Tous virent qu'il avait la main en sang.

— Elle m'a mordu ! s'exclama-t-il en désignant Blanche-Neige.

— C'est lui qui a commencé, sanglota Blanche Neige. Il a pris ma main et il l'a porté à sa bouche... j'ai eu tellement peur !

Le roi se confondit en excuses et expliqua à ses hôtes que Blanche-Neige ne connaissait pas les usages, sa peau extrêmement sensible au soleil l'empêchait de voyager et de rencontrer les gens vivant hors du château.

Le Prince Vladimir, qui avait reçu une excellente éducation, en fut évidemment surpris mais il n'en laissa rien paraître. Il pardonna  volontiers à Blanche-Neige et s'excusa même de lui avoir fait peur par un geste un peu trop brutal. C'était un personnage raffiné et charmant.

Puis il porta sa main blessée à la bouche et s'exclama qu'il n'avait jamais remarqué que le goût du sang était aussi bon. Tous se mirent à rire et l'incident fut oublié.

* * * * * *

— Cette fille est vraiment bizarre, ricana Mordred.

Firelyne pouffa.

— Pourquoi "bizarre" ? demanda Fradj. Il faut toujours que vous trouviez quelque chose de bizarre à ce que je raconte.

— Et bien, c'est bizarre qu'elle se mette à mordre quelqu'un qui veut simplement lui faire le baise-main. Comme si elle ne savait pas ce que c'est.

— C'est parce qu'elle n'a pas eu de maman pour lui expliquer comment fonctionne les usages du monde, sanglota Fradj en écrasant sur sa joue une larme imaginaire. Je vous avais bien dit que c'était une histoire triste.

— Oui c'est triste, renchérit Firelyne. Surtout qu'en plus, elle est moche !

— Absolument pas ! protesta Fradj, c'est la plus jolie petite fille du Royaume.

— Non, elle est moche ! reprit Firelyne. La peau toute blanche et les lèvres toutes rouges, c'est moche ! D'ailleurs, Gluck le bouffon se maquille exactement comme ça et il dit justement que c'est parce qu'il veut être moche.

— Oui mais... Gluck est moche, même sans maquillage ! Et dans mon histoire, la peau blanche et les lèvres rouges, c'est très joli parce que tout le monde trouve ça très joli. D'ailleurs, si elle n'était pas très jolie, le Prince Vladimir ne serait pas venu lui faire le baise-main dès son entrée au bal.

— Et pourquoi moi j'ai pas pu aller au bal ? protesta encore Firelyne. Le Duc de Galmor en a organisé un pour Noël, et je n'ai pas pu y aller.

La situation devenait tendue... C'est à moi que la question s'adressait. Mais pour mon malheur, Fradj répondit du tac-au-tac, avant que je n'aie le temps de réagir.

— Je ne sais pas, répondit-il, mais Blanche-Neige, elle, a le droit d'y aller... parce que son papa l'aime beaucoup beaucoup et qu'elle est très très jolie.

— Ça veut dire que je suis moche ou que mon papa me déteste ?

— Tu es très jolie, m'exclamai-je d'un ton convaincu. Et je t'aime beaucoup beaucoup. Mais ce n'est pas moi qui choisit les invités, c'est le Duc... et il a pensé que tu étais trop jeune, parce que Blanche-Neige a quand même dix ans. Mais à la première occasion, j'organiserai un bal en ton honneur.

— Et ce sera quand ? demanda-t-elle avec insistance.

— Ce sera pour tes dix-huit ans, répondis-je.

— Pffff ! Les baux, c'est vraiment un truc de fille, gromela Mordred.

Firelyne se mit à compter les années manquantes sur ses doigts, et se rendit compte avec dépit qu'elle n'en avait pas assez.

— Pourquoi elle meurt, la reine ? demanda Mordred.

— Parce que c'est de la magie, répondit Fradj. Quand la magie donne une vie, elle doit reprendre une vie en échange, je l'ai expliqué tout à l'heure.

— C'est idiot, insista Mordred. Elle aurait mieux faire de faire ça normalement.

— Normalement ? demanda Fradj.

— Ben oui, reprit Firelyne, sans magie, comme ça elle ne serait pas morte.

— Ah, vous voulez dire: "comme les abeilles".

— Je ne sais pas comment font les abeilles, répondit Mordred. Mais les étalons font ça normalement, Même que Fred, le garçon d'écurie, m'a conduit à la plaine ou il m'a montré comment ils faisaient.

— Comment ils font, les étalons ? demanda Firelyne.

— Bon ! proclama Fradj d'un ton qui se voulait autoritaire. On va reprendre et si vous êtes sages, je vous expliquerai comment font les abeilles.

— J'ai encore une question, fit Firelyne.

Fradj me lança un regard suppliant.

— Vas-y ma chérie, répondis-je. Pose ta question, mais c'est la dernière hein.

Puis je me replongeai dans ma prise de notes. Je ne savais pas si Fradj avait couché cette histoire sur papier ou s'il l'inventait au fur et à mesure, mais j'avais bien l'intention de ne pas en perdre un iota.

— Si les Maitresses de la Destinées sont là toutes les trois depuis l'éternité, comment tu fais pour savoir laquelle est la plus vieille ?

— Et bien c'est tout simple, répondit Fradj sans la moindre hésitation. Il y en a toujours une qui a l'air plus vieille que les autres, et c'est celle-là la plus vieille.

— Ah ! s'exclama Firelyne, visiblement peu convaincue.

— Bon ! Maintenant je reprend, conclut Fradj.

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