Pierre le Chasseur
L'après midi touchait à sa fin. La reine Maléfique se rendit aux cachots ou un geôlier à moitié endormi sursauta à son arrivée.
— Votre Majesté ? s'exclama-t-il en se redressant. J'ignorais que vous alliez venir, sinon j'aurais...
— Vous auriez quoi ? répliqua la reine. Vous vous seriez lavé ? Je ne voudrais pas vous imposer une telle corvée. J'ai juste besoin d'un renseignement: Y a-t-il un assassin dans vos cachots ?
— Non Majesté ! Les assassins sont pendus dès qu'ils sont pris sur le fait. Il n'y a dans les prisons que de pauvres bougres... des voleurs à la tire, quelques vagabonds, deux contrebandiers qui faisaient partie d'une bande et un braconnier.
— Vos contrebandiers, ils se sont défendus quand on les a pris ?
— On les a pris pendant leur sommeil, ils venaient de passer la frontière et se cachaient des douaniers.
La reine eut un haussement d'épaules de déception.
— Et votre braconnier ?
— Ah celui là, je n'aimerais pas le rencontrer la nuit dans une rue déserte... les forestiers ont dû se mettre à cinq pour le maîtriser. S'il n'était pas enchaîné, je ne sais pas comment je ferais pour les repas... enfin, quand on l'aura garrotté, je dormirai mieux.
— Parfait, parfait ! répondit la reine d'un ton sinistre. Sortez-le de sa cellule et conduisez-le dans mon laboratoire.
— Dans votre... ?
— Oui ! rugit la reine. Dans mon laboratoire ! Vous savez ou il se trouve, non ? Dans la petite pièce à l'autre bout du couloir qui mène aux prisons. Et dépêche-toi !
* * * * * *
Installée devant son miroir, la reine ne se donna pas la peine de se retourner lorsque le prisonnier entra. C'était un homme de forte corpulence, aux longs cheveux et au visage hirsute. Certainement pas le genre d'homme qui aurait braconné juste pour ne pas mourir de faim.
— Comment t'appelles-tu, l'homme ?
— Pierre, madame.
— Et sais-tu qui je suis, Pierre ? demanda la reine en observant dans son miroir le reflet de son visiteur.
— Oui madame ! répondit le prisonnier d'un ton neutre. Vous êtes la reine Maléfique. Et dans tout le pays, tout le monde dit que vous êtes effectivement maléfique et que vos sortilèges sont la cause de tous les maux du royaume.
— Et tu crois à ce que les gens racontent ?
— Je crois ce que je peux voir et quand j'entends des rumeurs, j'ouvre les yeux pour y voir plus clair. Est-ce la vérité Madame ? Vos sortilèges sont-ils la cause des maux du pays ?
— Oui ! répondit le miroir. C'est vrai pour les sortilèges. Mais la Reine Maléfique est la plus belle femme du Royaume. Comme je le lui répète chaque fois qu'elle vient m'interroger... Et elle vient m'interroger tous les jours.
— Ah! fit le braconnier pensif. La beauté est une chose importante pour certaines personnes... J'avoue en ce qui me concerne que ce n'est pas ma première préoccupation.
— La propreté non plus, si j'en juge par l'odeur, persifla la reine.
— Je dois mon état actuel à vos cachots, Madame. Ils sont moins soignés que vos appartements.
— Pourquoi ne m'appelles-tu pas "Majesté" ?
— Selon vos lois, que je n'approuve pas, j'ai commis un crime et je vais mourir pour cela. M'agenouiller devant vous n'y changera rien. Je suis un chasseur, et non un voleur de giblier. Personne n'a le droit d'empêcher les hommes de chasser pour vivre. Du reste, vous n'êtes pas ma Reine. Mon seul souverain et le Tzar Yvan.
— Tu viens donc de fort loin, fit pensivement la reine. Et tu es un bon chasseur ? Mon geôlier m'assure que tu es en tout cas un redoutable combattant.
— J'ai capturé mon premier loup à l'âge de dix ans. Et je n'avais pour toute arme qu'une corde et un bâton.
— Dois je te croire ? murmura la Reine.
— Vous le devez, Majesté ! répondit le miroir.
— Et bien, Pierre le chasseur de loups, je vais te faire une proposition. Tu vas me rendre un petit service et, en échange, tu conserveras la vie, tu récupèreras ta liberté et j'y ajouterai un coffret rempli d'or et de joyaux. Ce service n'est pas très moral... Je serais même tenté de dire qu'il s'agit d'un crime. Mais si tu refuses, tu ne verras même pas le soleil se lever. Qu'est ce que tu en penses ?
L'homme s'inclina.
— J'en pense que je suis à votre service, Majesté !
* * * * * *
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