Seule
Moi, j'aime observer les gens. Je n'ai que ça à faire, remarquez.
J'aime surtout la regarder, elle. Elle est belle, tout en noir, la peau très pâle. Elle a un carré court bouffant et blond qu'elle coiffe à chaque fois qu'elle parcourt la ville à la recherche d'un emploi. Ça se voit. Avec sa pochette, ses enveloppes. Une fois, je l'ai même vue sortir une boîte de trombones de son sac. Qui se balade avec une boîte de trombones se ce n'est pour attacher son C.V. et sa lettre de motivation ? Ou sa lettre de motivation et son C.V. selon le cas. Si le C.V. est en adéquation avec le poste, en général, on le met en premier; à la vue de l'éventuel employeur. Sinon on insiste sur ses motivations, ce qui marche rarement d'ailleurs...
Elle ne se laisse pas abattre, elle continue avec sa pochette de feuilles. Je la vois s'asseoir pas loin de mon banc. Elle médite. Des fois, elle sourit mais le plus souvent elle pleure. Elle n'a pas été rappelée. Alors elle repart, elle continue, elle avance. Tête baissée, abattue maintenant, maussade, mais elle avance.
Le mois dernier, elle n'était pas aussi bien coiffée que d'habitude. Son pantalon était déchiré et elle avait pris un manteau plus léger mais plus long pour essayer de le cacher. Mais il fait froid maintenant et elle grelottait.
Elle ne cherche plus à se cacher quand elle pleure. Les gens la regardent mais ne disent rien. Je pense qu'il ne faudrait pas, elle leur répondrait férocement. Elle sait qu'elle inspire la pitié mais elle l'a rejette. Elle reste fière même si elle devrait s'adoucir et accepter l'aide des autres.
Enfin, je ne sais pas moi, on ne m'aide plus depuis longtemps. Avec mes hardes, on ne me regarde plus qu'avec dégoût.
Aujourd'hui, elle est venue s'asseoir à côté de moi. Sur mon banc. Elle n'est pas repartie.
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