Chapitre 4
CHAPITRE QUATRE
2 FÉVRIER 2017
— Et voilà ! Ce sera ton lit ! affirma Juliette en finissant de déplier le canapé-lit.
Les hommes de cette époque aimaient bien se prendre la tête. Pourquoi ne pas tout simplement implanter les lits dans les murs ? Ils avaient pourtant la technologie à cette époque, non ?
— Merci beaucoup. Ça me touche beaucoup ce que tu fais pour moi.
— Pas de soucis ! C’est normal de s’entraider ! Et puis, je suis sûre que tu as fuis la guerre, n’est-ce pas ?
Mon regard se voilà. En effet, j’avais fui la guerre.
— Oui…
— Et ta famille ? me demanda-t-elle. Ils ont pu fuir aussi ?
— Non, ils sont morts il y a bien longtemps.
— Oh… je suis désolée.
— Ce n’est pas grave, tu ne pouvais pas savoir.
— On nous parle peu de la vie des pauvres gens qui vivent dans les pays en guerre. Je suis sûre que c’est horrible.
— Ça l’est. Tous mes amis sont morts alors que nous avons tous essayés de… fuir ensemble.
— Tu es la seule à t’en être sortit ?
— Oui.
Elle semblait mal à l’aise et véritablement triste pour moi.
— Mais c’est le passé, il faut que j’avance maintenant.
— Oui ! La vie est courte, il faut en profiter !
— En effet.
C’était vrai qu’à cette époque, on cachait encore à la population l’existence des éternels. Même si de plus en plus de monde commençait à se rendre compte que quelque chose clochait.
— Tu as faim ? demanda-t-elle.
— Je suis affamée !
Et je le pensais vraiment. J’avais besoin de reprendre des forces. Mon séjour dans la machine temporelle puis dans la rivière m’avait affaiblie.
Juliette se rendit dans sa petite cuisine qui se trouvait dans la même pièce que son salon. C’était un logement étudiant, mais elle avait quand même sa propre chambre, ce qui était rare selon elle. Elle commença à cuisiner et je l’observais avec admiration. La cuisine traditionnelle à mains nues s’était éteinte à l’aube des années 2400 quand Kilian McDooney avait créé le « faiseur de nourriture ». Cette machine était capable de créer de la nourriture à partir de presque rien ! Il suffisait de la relier au réseau de la ville pour avoir à manger. C’était un peu comme l’eau, au final. Au début, la machine ne pouvait transporter que des aliments liquides ou en purée mais avec le temps et la troisième révolution industrielle, tout avait changé.
— J’espère que tu aimes le saumon !
— Oui !
Je n’avais aucune idée de ce qu’était le saumon. Peut-être un des nombreux animaux qui avait disparu, ou peut-être une plante aromatique.
— Alors, pâtes au saumon, nous voilà ! s’exclama-t-elle avant de rire toute seule.
— Au fait, merci pour les vêtements.
— Je n’allais quand même pas te laisser te trimballer nue ! Tu te serais fait arrêter !
Le repas qu’elle me prépara était véritablement délicieux. Chez moi, la nourriture était génétiquement modifiée ou créée industriellement, l’humanité ayant décimé la plupart de ses ressources. Seuls les plus riches avaient accès à de la véritable nourriture issue de l’agriculture ou de l’élevage. Après tout, il n’y avait pas assez de place sur la Terre pour accueillir ET nourrir toute la population. Enfin, avant la guerre.
— Au fait… on m’a parlé d’une famille… la famille Leroy. Tu connais ?
— Leroy ? Ça ne me dit rien du tout ! Pourquoi tu veux les trouver ?
— Rien de spécial, répondis-je distraitement.
Elle plissa les yeux en me regardant mais n’insista pas.
— OK ! Tu veux aller faire les boutiques cette après-midi ?
— Faire les boutiques ? demandai-je, sans comprendre.
— Oui ! Tu as besoin de fringues, tu es trop grande pour garder les miens. Il faut qu’on t’en achète.
— Je n’ai pas d’argent.
— Je t’avancerai. Tu me rembourseras quand tu auras trouvé un travail.
J’étais vraiment tombée sur une fille incroyable. Tant de gentillesse… C’en était presque louche.
— Allez, essaie ça ! m’ordonna-t-elle.
Elle m’avait trainé dans ce qu’elle appelait « une friperie ». Si j’avais bien compris, on y trouvait des habits qui avaient déjà été utilisés par d’autres et qui n’étaient vraiment pas cher. Je rechignais un peu à l’idée de porter des vêtements qui avaient déjà été porté par d’autres gens mais je gardais ça pour moi. Je ne pouvais quand même pas faire la difficile.
Après une bonne trentaine de minutes pour récupérer tous les vêtements qui devraient m’aller, elle m’avait jeté dans une « cabine d’essayage ». J’eu une pensée nostalgique envers la commode que j’avais avant de rejoindre la coalition : quelle idée de se changer quarante fois alors qu’une application peut adapter le vêtement à ta morphologie sans que tu ais besoin de te changer ? La vie au 21ème siècle était pleine d’inconvénients.
Après être sortis du magasin avec les mains pleines de sacs, Juliette nous acheta une glace et je lui posais des questions sur sa vie. J’aimais apprendre à la connaitre, c’était une fille vraiment adorable. Elle étudiait la littérature et rêvait de devenir auteure.
***
Pendant les quelques jours qui suivirent, je tentais de m’imprégner du monde que je venais de rejoindre. J’y apprenais les coutumes, les modes, les façons de parler… Et en même temps, je n’oubliais pas mon objectif : je devais retrouver la famille de Maxime.
Yann m’avait affirmé qu’il venait de cette époque, à quelques années près. J’étais tombée en 2017, soit l’année où les éternels avaient été révélé. Si j’avais bien compris, Maxime devait avoir entre trente et quarante ans à cette époque. J’étais arrivée quelques années plus tard que prévu, mais avec de la chance, il ne savait probablement pas quelle était la raison de son incroyable jeunesse. Et de toute façon, je préférais mille fois tuer un adulte plutôt qu’un enfant.
— Tu cherches quoi sur mon PC ? me demanda distraitement Juliette en faisant la vaisselle.
— Tu te souviens de la famille dont je t’avais parlé ? J’aimerais les retrouver.
— Comment as-tu connu cette famille ? Pourquoi tu les cherche ?
— C’est… compliqué.
Juliette avait fini par comprendre que je ne partagerais pas grand-chose de mon passé et que j’avais plusieurs secrets qui ne devaient pas être révélés. Mais elle l’acceptait, et je l’en remerciais pour ça.
Laisse-moi faire, je vais te la retrouver ta famille ! Il suffit d’aller sur les pages jaunes.
Elle me prit l’ordinateur des mains et s’installa à côté de moi sur mon lit. Elle tapa « pages jaunes » sur le moteur de recherches et cliqua sur le premier lien qui s’affichait. Ce n’était vraiment pas pratique et ça prenait beaucoup de temps de taper ce qu’on voulait chercher.
Et voilà ! dit-elle en affichant la liste des personnes dont le nom de famille était « Leroy » dans le département. Tu n’as pas un prénom ?
— Maxime ? Peut-être.
— Pas de Maxime… Attend, j’ai une idée ! C’est un jeune, non ?
— Pas spécialement. Trente, trente-cinq ans je pense.
— On va regarder sur Facebook !
Je ne comprenais décidemment pas ce qu’elle trouvait d’intéressant sur ce réseau social mais elle y passait énormément de temps.
— Maxime Leroy ! s’exclama-t-elle, triomphante.
— Tu l’as trouvé ?
Un œil sur la photo qui s’affichait à l’écran et je le reconnu tout de suite. La seule différence avec mon époque, c’était que je ne l’avais jamais vu sourire. Or, sur la photo, il semblait heureux. Difficile de penser qu’un jour, il détruirait l’humanité.
— C’est lui.
Ma voix avait perdu toute joie et Juliette sembla s’en rendre compte.
— Il t’a fait quelque chose ?
Je soupirais.
— C’est compliqué.
— Oui, tout est compliqué avec toi.
Elle avait une voix sérieuse mais je voyais le coin de ses lèvres se retrousser dans un sourire caché.
— Il a brisé le cœur d’une amie. J’ai juste envie de lui dire ce que je pense de son comportement.
Elle rit.
— C’était juste ça ?
— Oui…
Je pris un air blasé.
— Je ne voulais pas que tu me juges par rapport à ça.
— Mais… tu m’as dit que tous tes amis étaient morts en tentant de venir ici.
— Merde…
— C’est une française, je l’ai rencontré quand je suis arrivée ici.
— Ah d’accord !
— Quand il l’a quitté, elle a abandonné ses études et est retournée vivre chez ses parents. Et comme je n’ai ni internet ni le téléphone, impossible pour moi de la joindre.
Et l’oscar de la meilleure actrice/improvisatrice est décerné à ? Éléa ! Applaudissements s’il vous plaît !
Juliette buvait mes paroles.
— Ma pauvre… Ne t’inquiète pas, Emma. Quand tu auras commencé à travailler, tu pourras t’en payer un. En plus, il y a un opérateur qui te propose des forfaits à seulement cinq euros par mois ! Tu pourrais même prendre mon vieux téléphone pour commencer. Il a une belle rayure mais il marche encore.
— En parlant de travailler, ce Franc… il me propose quoi comme travail ?
— C’est tout bête : il possède un magasin de fringues pour mecs. De temps en temps, pendant les soldes, les vacances scolaires, le week-end… il a besoin de quelqu’un pour l’aider à gérer les clients avec lui.
— Ah, c’est de la vente !
— Exactement. En plus, une belle fille comme toi va faire fondre tous les mecs qui vont rentrer dans le magasin !
Je me mis à rire. S’il y avait bien un avantage à la nourriture synthétisée, c’est bien le niveau de calories excessivement bas. Avant d’arriver à cette époque, je ne savais même pas qu’il était possible d’être d’obèse, et le premier que j’avais vu la veille m’avait mis particulièrement mal à l’aise.
— Je ferais de mon mieux alors.
— Je compte sur toi ! Et puis, de toute façon, ce n’est pas un boulot qui demande de grandes compétences. Il te suffit de connaitre parfaitement les produits du magasin. Après, tu complimentes une ou deux fois les garçons aux cabines d’essayage et boum ! Ils achètent !
Je ris de nouveau. Elle avait des mimiques et une façon de parler qui me faisait mourir de rire. Il y avait bien longtemps que je n’avais pas ris comme ça. Au final, malgré les grosses différences de technologie, je pense que j’allais adorer cette époque. Ne serait-ce que parce que la France est en paix.
Dès que Juliette s’absenta pour aller boire un verre en ville avec une de ses amies, je retournais sur Facebook pour trouver le maximum d’informations sur Maxime. J’appris qu’il avait étudié l’économie dans une grande école et qu’il avait fini major de promo (même si je n’avais aucune idée de ce que ça voulait dire). Il avait tout juste vingt-neuf ans, ce qui signifiait qu’il ignorait probablement qu’il était un éternel.
Il travaillait dans une entreprise aéronautique située à plusieurs kilomètres de là où Juliette habitait. En bus, il me fallait une demi-heure de route. C’était parfait, bravo Yann !
Mais je ne pouvais pas encore agir, je devais prendre mon mal en patience, d’autant que rien ne pressait tant que les éternels n’étaient pas découverts.
Quand j’aurais commencé à travailler, je pourrais me payer le ticket de bus. Et je commencerais à enquêter.
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