Chapitre 13

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CHAPITRE TREIZE

27 OCTOBRE 2017

Pendant trois jours, nous avons fuis. Mais l’armée française se renforçait et le nombre de contrôles se décuplait. Les français devenaient méfiants vis-à-vis des étrangers.

Un matin, alors que je faisais les courses, une escouade de police fis irruption dans le supermarché.

— Contrôle général ! s’écria l’un des policiers.

— Et merde… Du regard, je scrutais la salle à la recherche d’une autre sortie. Je me dirigeais alors aussi discrètement que possible vers la sortie de secours, mais celle-ci était fermée à clé. L’un des policiers me remarqua alors et s’élança vers moi.

— Là ! Elle essaie de s’échapper ! Attrapez-là !

L’un des policiers dégaina et me tira dessus sans prévenir. Une légère douleur se fit ressentir dans ma cuisse quand la fléchette tranquillisante me toucha et je sentis le produit se répandre. Perdant mes forces petit à petit, je ne pus me défendre lorsque les policiers se jetèrent sur moi pour m’immobiliser. Je perdais connaissance.

***

À mon réveil, j’étais dans une cellule, probablement dans le commissariat du coin. Le soleil n’était pas encore couché, me donnant une bonne idée de l’heure qu’il était.

Dans la pièce d’à côté, j’entendais la conversation téléphonique d’une policière :

— Une bonne journée capitaine, deux éternelles !

— …

— En cellule pour le moment. On attend vos ordres pour le transfert.

— …

— D’accord. À quelle heure ?

— …

— Très bien.

Deux éternels ? Ne me dites pas qu’ils ont trouvé Maxime, priais-je.

— Mademoiselle, appela une voix.

Dans la cellule à côté de la mienne, je vis une autre jeune femme. En regardant aux alentours, je ne vis personne d’autres. Elle devait donc être la seconde éternelle dont la policière parlais. Je soupirais de soulagement. Maxime était en sécurité, mais pour combien de temps ? Il allait paniquer en ne me voyant pas revenir… J’espérais qu’il ne ferait rien de stupide. Je l’avais briefé, au cas où l’un de nous se faisait capturer, alors il savait ce qu’il devait faire. Mais il était parfois imprévisible.

— Vous aussi, vous en êtes une ?

— Oui.

— Vous le saviez ?

— Pas vous ?

Elle prit un air triste.

— Non… je l’ai appris au moment du contrôle.

— Quelle âge as-tu ?

— Dix-neuf ans.

Je baissais les yeux. Il y avait de bonnes façons d’apprendre qu’on est un éternel. Se faire arrêter par la police n’en faisait pas partie.

— Comment vous vous appelez ?

— Emma. Et vous ?

— Fanny. Vous savez ce qu’ils vont faire de nous ? demanda-t-elle d’un air inquiet.

Je ne voulais pas lui répondre, même si j’avais une bonne idée de ce qui nous attendais. Je doutais que l’effrayer lui fasse le moindre bien. Seulement, je ne voulais pas qu’elle se berce de faux espoirs non plus.

— Je ne sais pas… répondis-je. Probablement rien d’agréable.

— Moi, je pense qu’ils vont faire des tests sur nous…

— Ils vont probablement nous faire passer des scanner, analyser notre sang, nous questionner sur nos antécédents… ça ne devrait pas être grand-chose… J’ai entendu certains dire que la France avait réouvert les camps de concentration de la Seconde Guerre Mondiale pour nous accueillir…

Je ne répondis pas. J’avais beau avoir été entrainée comme un soldat pendant des décennies, être une éternelle et avoir un caractère fort… j’étais humaine. Et moi aussi, j’avais peur de ce qui nous attendait. Si ce qu’elle disait était vrai, nous étions dans une sacrée merde.

Quelques heures plus tard, plusieurs personnes pénétrèrent dans la pièce et nous observèrent pendant plusieurs secondes d’un air satisfait.

Un des policiers ouvrit ma cellule et me fit sortir. Il me planta devant celui qui devait être le capitaine, et il alla chercher l’autre fille. Je fis face au capitaine la tête haute, et je le regardais dans les yeux. J’avais beau avoir les mains menottées, je n’avais pas peur de lui. Même en étant capitaine, pour moi il n’était qu’un sous-fifre de plus. Et il était hors de question que je me rende sans combattre si j’avais la moindre chance de m’en sortir. Ils n’étaient pas tant que ça à me faire face.

Le capitaine me toisa pendant plusieurs secondes, et comme beaucoup d’hommes, il ne supporta pas qu’une femme lui tienne tête, d’autant plus que j’étais (selon leurs termes) une criminelle, et que lui représentait la justice. Il ne tarda pas à lever la main sur moi, me giflant si fort que ma lèvre s’ouvrit. Quelques gouttes de sang coulèrent sur mon menton alors que je me redressais, mais ma blessure se refermait déjà.

De nouveau, je le fixais du regard, un air moqueur sur le visage. Sans exagéré, j’avais presque envie de rire tant il me faisait pitié. Tu ne peux pas faire mieux que ça ? Lui dis-je du regard. Comme je m’y attendais, monsieur égo et testostérone ne le supporta pas et tenta de me saisir à la gorge pour imposer son autorité. J’en profitais pour me glisser entre lui et son adjoint. Je frappais l’arrière du genou du capitaine, le faisant tomber à genoux au sol. Je me saisis de l’arme de son adjoint et pointais la tête du capitaine après avoir enlevé le cran de sûreté.

Le doigt sur la gâchette, je contournais le groupe de policier. Chacun avait sa main au niveau de son holster, près à dégainer à la moindre inattention de ma part. Mais je n’avais pas de moment d’inattention.

J’appelai la deuxième éternelle de la pièce à me suivre, et sans quitter les policiers du regard, je rejoins l’entrée du commissariat en marche arrière. Lorsque je franchis la porte d’entrée, je jetais un œil à l’extérieur. Dehors, une dizaine d’autres policiers attendaient, et lorsqu’ils me virent sortir, l’arme au poing, ils dégénèrent tous.

Dans un soupir résigné, je lâchais l’arme au sol. Un pincement aigu se fit sentir dans mon épaule, et en une dizaine de secondes, je perdis de nouveau connaissance.

***

Je revenais à moi à l’arrière de ce qui semblait être une camionnette. J’étais allongées au sol, mes mains menottées étaient attachées à un crochet en métal. Les deux portes battantes du véhicule me faisaient face, et à côté d’elles se trouvait l’autre éternelle, tout aussi immobilisée que moi.

Quel que soit le produit qu’il nous injectait pour nous neutraliser, il n’avait pas été spécialement conçu pour des éternels. Ou tout du moins, il n’avait pas été testé sur eux. Il ne nous endormait pas plus d’une heure ou deux. Même si, quand on y pense, ils n’avaient pas forcément besoin de nous endormir plus longtemps.

Nous roulâmes pendant une éternité, en silence. Lorsque la nuit arriva, je priais pour qu’on s’arrête. Les menottes me faisaient terriblement mal aux poignets, et à chaque mouvement de la camionnette, j’avais l’impression qu’on essayait de m’arracher les mains. Mais nous continuâmes pendant toute la nuit, en ne faisait qu’une seule pause.

Au matin, nous arrivâmes finalement à destination. De l’extérieur, j’avais l’impression de pénétrer dans une grande école. Le bâtiment ressemblait vaguement à Trélon, l’école où j’avais étudié l’économie. J’avais adoré travailler dans cette école. Cette vision aurait pu me réconforter, mais je savais pertinemment qu’ils ne nous amenaient pas ici pour étudier.

Enfin, nous n’allions pas étudier. Eux, si.

Le bâtiment était protégé par un mur haut en briques et l’entrée était gardé. Il nous fallut une dizaine de minutes avant d’être autorisé à entrer. Visiblement, leur système de surveillance était très strict. La porte s’ouvrit devant nous et un homme me poussa à avancer. Je me retins de lui envoyer mon genou dans les parties sensibles. Ce n’était pas le moment de faire la maline.

On nous traina à travers l’immense cour vers le bâtiment central qui semblait vieux comme le monde. Il n’y avait personne aux environs à part nous, aucun bruit. Même le vent ne soufflait pas ce jour-là. C’était un jour nuageux comme on en voit souvent en France.

De tous les pays de l’Europe, notre pays était celui qui avait mené les mesures les plus drastiques envers les éternels après leur découverte. Certes, dans presque tous les pays ils étaient pourchassés, mais il n’y avait presque que chez nous qu’ils étaient enfermés et traités comme… non, même les animaux ont le droit à un meilleur traitement.

Le bâtiment s’avéra être une prison, et on nous enferma dans une cellule avec cinq autres éternels. Dès que les gardes quittèrent la pièce, Fanny se mit à paniquer :

— Qu’est-ce qu’ils vont faire de nous ? demanda-t-elle aux anciens détenus.

— Quelques tests… répondit l’un d’eux.

Il nous montra son bras où une légère croute de sang avait séché. Ce devait être très récent, ce qui expliquait son air fatigué.

— Ils nous prennent pas mal de sang, ajouta-t-il.

— Ils nous ont fait passer un scanner et une IRM, continua un autre.

— Mais ce ne sont pas les examens le plus dur, c’est de rester enfermé tous ensemble dans un quinze mètres carré…

Si ce n’était que ça… Je remarquais qu’au moins, ils avaient un minimum de considération pour nous. Ou alors ils n’avaient pas plus de cinq éternels ici dans l’établissement.

Après plusieurs heures à attendre pendant lesquelles j’étais incapable de dormir malgré ma fatigue, la porte au bout du couloir s’ouvrit. Un homme en costard-cravate fit son entrée, accompagné de trois soldats. Il ne s’agissait pas de policiers comme ceux qui nous avaient amenés ici, je pouvais le voir à leur attitude. Et l’homme qui les dirigeait avait ce regard hautain des gens importants. Probablement l’armée.

Tous mes nouveaux colocataires se recroquevillèrent dans un coin de la cellule. Deux des soldats se saisirent de leur arme et les pointèrent sur nous. Je restais bien immobile, assise dos au mur, à les observer attentivement.

L’un d’eux ouvrit la porte et me fit signe de le suivre. Il n’avait pas hésité une seule seconde, même l’homme pingouin avec son costume n’avait cessé de me fixer depuis qu’il m’avait dans son champ de vision. C’était moi qu’ils voulaient, plus que les autres. Pourquoi ?

Je les suivis sans broncher, même lorsqu’ils me menottèrent de nouveau. De toute façon, mes anciennes blessures avaient guéri. Ils me guidèrent à travers le bâtiment.

— J’ai entendu dire que vous aviez malmené mes hommes, dit le pingouin humain.

— Ce n’est pas de ma faute si vos hommes sont incapables de me battre.

— À mon plus grand étonnement, il ricana.

— Ils m’ont raconté ce qu’il s’était passé, ajouta-t-il. Si vous n’étiez pas une éternelle, je vous engagerais.

— Les éternels ne sont pas si différents des hommes… marmonnai-je.

Il sourit dans sa moustache mais ne répondit pas. Un homme des forces de l’ordre pro éternels ? Voilà qui était une bonne nouvelle. Bon, je m’avançais un peu en affirmant qu’il nous supportait, mais il ne semblait pas nous mépriser ni nous craindre. Pour cette époque, c’était presque un miracle.

Nous émergeâmes dans une petite salle dans les tons mauves, dans laquelle se trouvaient le genre de chaises allongées des médecins, dentistes et autres professionnels de la santé. On m’y installa tranquillement, et un des soldats attacha mes mains pour m’empêcher de m’enfuir. Je me sentis soudainement beaucoup moins en sécurité.

— Nous allons vous faire passer un certain nombre de tests et vous poser plusieurs questions, prévint l’homme pingouin.

— Je n’en attendais pas moins de votre part, Hitler.

Il ne sembla pas du tout apprécier mon humour.

Ils commencèrent par une très longue prise de sang. J’estimais qu’ils avaient retiré autant de sang que lors des collectes de sang auxquelles j’avais eu l’habitude de participer, lorsque j’étais jeune. Bien évidemment, le sang des éternels n’avait aucune conséquence (bénéfique ou néfaste) sur les humains « normaux ». C’était pour ça qu’à mon époque, on poussait les immortels à donner leur sang, car ils pouvaient donner beaucoup plus que les humains.

Sur mon autre bras, ils déposèrent différents produits, certains que je ne sentis même pas, d’autres qui piquaient, brulaient et certains qui me faisaient carrément mal. Et pendant ce temps-là, l’un des soldats me questionnait :

— Comment vous appelez-vous ?

— Emma Camille Courtier.

— Quel âge avez-vous ?

— Vingt-cinq ans, menti-je.

Je ne pouvais pas leur dire quel âge j’avais réellement. Si jamais ils m’interrogeaient sur des faits d’actualité trop vieux, je serais incapable de répondre et ils se rendraient compte que je mentais. J’avais besoin qu’ils croient que j’étais vraiment une éternelle de cette époque.

— Saviez-vous que vous étiez une éternelle avant d’être testée ?

— Oui.

— Comment l’avez-vous su ?

— J’ai été mordue par un chien lorsque j’avais dix-sept ans. Quand j’ai vu que je guérissais un peu trop vite, j’ai su que quelque chose clochait. Je ne pouvais bien sûr pas me douter que j’avais la vie éternelle. Je l’ai appris lorsque madame Martin l’a annoncé à la télé.

— Vous n’êtes pas dans la base de référencement de la France, fit remarquer l’autre soldat, qui tapait tout ce que je disais sur un ordinateur.

Zut… comment j’allais me sortir de là ? Si je leur disais que je venais d’un autre pays, ils me demanderaient comment j’étais arrivée en France. Si je disais que mes parents ne m’avaient pas déclaré, ils me demanderaient leurs noms et trouveraient louches que je ne le sache pas. Mais c’était la seule chose qu’ils ne pourraient pas vérifier. Leurs bases de données n’étaient pas encore remplies de l’ADN et des empreintes de chacun des habitants.

— C’est parce que ma mère était une adolescente violée, expliquai-je. Elle n’a jamais déclaré avoir eu un enfant. Lorsque je suis née, elle m’a déposé au pied d’une maison avec une lettre qui expliquait sa situation. Seulement, le couple qui vivait-là était deux hommes, ce genre de couple n’était pas autorisé à adopter. Et comme ils souhaitaient vraiment avoir un enfant et qu’ils me voyaient comme un cadeau des Dieux, ils m’ont secrètement élevé. Quand je me suis rendu compte que j’étais différente, je me suis enfuie avant qu’ils ne le sachent.

— Comment s’appellent-ils ?

— Je ne peux pas vous le dire. Ils sont innocents et ne mérite pas d’être mêlé à cette histoire.

L’homme insista pendant quelques minutes mais voyant que je refusais de collaborer, il jeta un œil à l’homme pingouin. Celui-ci secoua la tête et le somma de continuer l’interrogatoire.

— Savez-vous si vos parents biologiques étaient des éternels ?

— Je ne les ai jamais rencontrés et je n’ai aucune idée de qui ils sont.

Le soldat me fixa pendant plusieurs secondes pour vérifier si je disais la vérité mais devant mon air le plus innocent possible, il continua. Je vous le dis, j’aurais dû être actrice.

— Possédez-vous d’autres capacités en dehors de la jeunesse éternelle et d’une résistance supérieure ?

— Je suis très belle et intelligente ?

Bon… Devant son air impatient, je compris que faire des blagues était une mauvaise idée. Ils n’avaient vraiment pas d’humour. Je soupirais de lassitude.

— Rien d’autre, corrigeai-je. Ou en tout cas, je ne suis pas au courant. Avant-hier, je n’avais jamais vu aucun autre éternel.

Pendant plusieurs heures encore, ils me firent passer des tonnes de tests et me posèrent des centaines de questions. Ils me parlèrent de mon enfance, de mes pères, de la maison ou j’avis grandi, des personnes que j’avais connues etc. Ils me demandèrent comment je me nourrissais, si j’avais déjà mangé de la chair humaine (ce qui me dégouta et manqua de me faire vomir), si je buvais de l’eau. Ils cherchèrent dans mon passé un élément qui aurait pu déclencher ce qu’ils semblaient considérer comme une maladie.

Du début à la fin, je restais concentrée afin de ne pas me contredire. Je basais la plupart de mes réponses sur ce que j’avais vraiment vécu, pour davantage de réalisme.

Lorsque je retournais enfin dans la cellule, j’étais fatiguée, mes neurones et ma capacité de régénération ayant été testés jusqu’à plus soif. Il y avait néanmoins un point positif : dans cette institution, ils ne semblaient pas dépasser les limites de la moralité. C’était une sacrée chance, mais ce n’était peut-être que le début. Je ne devais pas me réjouir trop vite.

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