Scène 2 : jour 1 : au boulot
Mademoiselle Riou et moi avions passé l’heure suivante à parler de Julien, de ses habitudes, de son comportement. Elle m’avait remis une photo. Ils posaient ensemble, beaux comme des anges dans leurs vêtements de fête.
Les deux jeunes gens vivaient séparés. Entre les heures de boulot et les trajets, ils ne se voyaient que le dimanche. Julien lui rédigeait une lettre chaque jour. Deux mois auparavant, ses courriers devinrent moins fréquents. Lorsque je lui demandai si elle lui écrivait, elle me répondit que Julien n’avait pas d’adresse, il créchait dans un campement à l’est de la ville. Il s’épargnait le prix d’un loyer, afin d’économiser en vue du mariage. Je le comprenais, un ouvrier gagnait peu et les logements coûtaient les yeux de la tête.
Paris grossissait moins vite que sa population. Les travailleurs venaient ici et trouvaient un emploi comme maçon, ou terrassier. Ils contribuaient à la construction de nouveaux immeubles, mais étaient le plus souvent réduits à occuper des baraquements de fortune, à la limite de la capitale.
Je connaissais ces zones anarchiques dans lesquelles les autorités ne s’aventuraient guère. On y voyait la police d’un mauvais œil, mais curieusement une certaine paix régnait. Tout étranger y était vite repéré et devait affronter la solidarité du peuple qui y logeait. Évidemment, les mêmes crimes s’y déroulaient que partout en ville, mais en général commis par les habitants eux-mêmes.
Toute enquête sur une personne disparue commence par se rendre chez elle, par chercher une lettre ou une indication sur les raisons de ce départ. On interroge la concierge ou un voisin. Dans le cas de Julien, son logement précaire compliquait dangereusement la tâche.
Après avoir acheté des vêtements usés et pas très propres dans une friperie, je pris le chemin des quartiers est. Je laissai mon vélo et finis ma route à pied. Midi approchait quand j’arrivai. À perte de vue, de mauvaises cabanes de toiles et de planches occupaient les portes de Paris. Elles formaient un entrelacs de ruelles et d’allées boueuses. Les odeurs de pisse et d’ordures me sautèrent au visage, ici et là des nuages de fumée grimpaient vers le ciel.
Des gamins crasseux et dépenaillés jouaient avec des bouts de bois ou de ferraille, je sentais leurs regards se poser sur moi, je devais me décider. Je m’avançai vers un des gosses. Je choisis le plus grand. Il avait à peine douze ans, mais son air bravache me rappelait la dureté de la vie au-delà des faubourgs de la ville.
— Dis-moi, tu connais Julien Lebrun ? demandai-je en prenant un accent populo.
— Qu’est-ce que tu lui veux ? répondit le gamin.
— Pas tes affaires. Dis-moi où il crèche et tu gagnes cinq centimes.
Je sortis une pièce de ma poche, une vraie fortune dans ce coin pourri. Les yeux du môme s’arrondirent en la voyant.
— À ton service, Milord, j’te conduis, mais pas à moins de dix centimes.
— Cinq aller, cinq retour. Si tu m’fais une entourloupe, tu dis adieu à la jolie Marianne et mon godillot ira saluer ton p’tit cul tout maigre.
— Compte sur moi, Milord.
Je le suivis au travers des ruelles boueuses du quartier de fortune. Nous ne croisâmes que des femmes et des enfants. Les hommes bossaient et ne rentraient qu’en fin de journée. Les habitantes me jetaient des regards suspicieux, certaines me montraient ostensiblement le gourdin qui m’attendait si je faisais le mariole. Pas de doute, je me sentais bienvenu ici.
Arrivé en marge du village, près d’un terrain vague, le titi tendit la main vers une cabane à moitié effondrée.
— C’est là, vous trouverez rien, on a pas vu Juju depuis au moins dix jours.
— Et comme y revenait pas, vous avez pris ce qu’il a laissé, répondis-je en franchissant l’entrée de la masure.
— Y’avait plus grand-chose.
Après le soleil de midi, la cahute me paraissait sombre et crasseuse. Le plancher, assemblage de vieilles caisses posées sur le sol, s’ouvrait sur une sorte de fosse. Elle s’enfonçait à peu près d’un mètre cinquante, un bourgeois bien gras ou un prolo les bras écartés y auraient tenu sans peine. Je ressortis et jetai un regard inquisiteur sur le gamin.
— Il semble que vous avez cherché. Tu sais qui a fouillé chez Julien ?
— C’est lui, il tournait pas rond le gonze. Ces derniers temps, il rentrait direct, pas un b’jour, pas un b’soir, et puis il creusait avec ses mains. Il devenait dingue à mon avis.
Je ressortis à l’air libre, le gamin avait perdu un peu de son insolence. J’avais l’impression qu’il n’était pas rassuré.
— Depuis quand tu l’as pas vu, tu m’as dit ?
— Depuis deux semaines à peu près.
— Et tu m’dis qu’il revenait creuser ici.
— Oui m’sieur.
— Il parlait avec quelqu’un, dans le quartier ?
— Pas depuis quelque temps.
— Raccompagne-moi, t’as bien gagné ta Marianne.
Je ressortis du campement, les fringues pleines de puces et avec un peu moins d’argent qu’en rentrant. Je n’avais pas appris grand-chose et ce que je savais désormais me laissait perplexe. Julien travaillait toute la journée dans un tunnel et quand il venait l’heure de se reposer, il continuait de creuser. Une vraie vocation.
Mademoiselle Riou et moi avions passé l’heure suivante à parler de Julien, de ses habitudes, de son comportement. Elle m’avait remis une photo. Ils posaient ensemble, beaux comme des anges dans leurs vêtements de fête.
Le jeune couple faisait bien entendu foyer séparé, entre les heures de boulot et les trajets, ils ne se voyaient que le dimanche. Julien lui rédigeait une lettre chaque jour. Deux mois auparavant, ses courriers devinrent moins fréquents. Lorsque je lui demandai si elle lui écrivait, elle me répondit que Julien n’avait pas d’adresse, il vivait dans un campement à l’est de la ville. Il s’épargnait le prix d’un loyer, afin d’économiser en vue de son mariage avec Annette. Je le comprenais, un ouvrier gagnait peu et les logements coûtaient les yeux de la tête.
Paris grossissait moins vite que sa population. Les travailleurs venaient ici et trouvaient un emploi comme maçon, ou terrassier. Ils contribuaient à la construction de nouveaux immeubles, mais étaient le plus souvent réduits à occuper des baraquements de fortune, à la limite de la capitale.
Je connaissais ces zones anarchiques dans lesquelles les autorités ne s’aventuraient guère. On y voyait la police d’un mauvais œil, mais curieusement une certaine paix régnait. Tout étranger y était vite repéré et devait affronter la solidarité du peuple qui y logeait. Évidemment, les mêmes crimes s’y déroulaient que partout en ville, amis en général, commis par les habitants eux-mêmes.
Toute enquête sur une personne disparue commence par se rendre chez elle, par chercher une lettre ou une indication sur les raisons de ce départ. On interroge la concierge ou un voisin. Dans le cas de Julien, son logement précaire compliquait dangereusement la tâche.
Après avoir acheté des vêtements usés et pas très propres dans une friperie, je pris le chemin des quartiers est. Je laissai mon vélo et finis ma route à pied. Midi approchait quand j’arrivai. À perte de vue, de mauvaises cabanes de toiles et de planches occupaient les portes de Paris. Elles formaient un entrelacs de ruelles et d’allées boueuses. Les odeurs de pisse et d’ordures me sautèrent au visage, ici et là des nuages de fumée grimpaient vers le ciel.
Des gamins crasseux et dépenaillés jouaient avec des bouts de bois ou de ferraille, je sentais leurs regards se poser sur moi, je devais me décider. Je m’avançai vers un des gosses. Je choisis le plus grand. Il avait à peine douze ans, mais son air bravache me rappelait la dureté de la vie au-delà des faubourgs de la ville.
— Dis-moi, tu connais Julien Lebrun ? demandai-je en prenant un accent populo.
— Qu’est-ce que tu lui veux ? répondit le gamin.
— Pas tes affaires. Dis-moi où il crèche et tu gagnes cinq centimes.
Je sortis une pièce de ma poche, une vraie fortune dans ce coin pourri. Les yeux du môme s’arrondirent en la voyant.
— À ton service, Milord, j’te conduis, mais pas à moins de dix centimes.
— Une pièce aller, une retour. Si tu m’fais une entourloupe, tu dis adieu à la jolie Marianne et mon godillot ira saluer ton p’tit cul tout maigre.
— Compte sur moi, Milord.
Je le suivis au travers des ruelles boueuses du quartier de fortune. Nous ne croisâmes que des femmes et des enfants. Les hommes bossaient et ne rentraient qu’en fin de journée. Les habitantes me jetaient des regards suspicieux, certaines me montraient ostensiblement le gourdin qui m’attendait si je faisais le mariole. Pas de doute, je me sentais bienvenu ici.
Arrivé en marge du village, près d’un terrain vague, le titi tendit la main vers une cabane à moitié effondrée.
— C’est là, vous trouverez rien, on a pas vu Juju depuis au moins dix jours.
— Et comme y revenait pas, vous avez pris ce qu’il a laissé, répondis-je en franchissant l’entrée de la masure.
— Y’avait plus grand-chose.
Après le soleil de midi, la cahute me paraissait sombre et crasseuse. Le plancher, assemblage de vieilles caisses posées sur le sol, s’ouvrait sur une sorte de fosse. Elle s’enfonçait à peu près d’un mètre cinquante, un bourgeois bien gras ou un prolo les bras écartés y auraient tenu sans peine.
— Pourtant, il semble que vous avez cherché. Tu sais qui a fouillé chez Julien ?
— C’est lui, il tournait pas rond le gonze. Ces derniers temps, il rentrait direct, pas un b’jour, pas un b’soir, et puis il creusait avec ses mains. Il devenait dingue à mon avis.
Je ressortis à l’air libre, le gamin avait perdu un peu de son insolence. J’avais l’impression qu’il n’était pas rassuré.
— Depuis quand tu l’as pas vu, tu m’as dit ?
— Depuis deux semaines à peu près.
— Et tu m’dis qu’il revenait creuser ici.
— Oui m’sieur.
— Il parlait avec quelqu’un, dans le quartier ?
— Pas depuis quelque temps.
— Raccompagne-moi, t’as bien gagné ta Marianne.
Je ressortis du campement, les fringues pleines de puces et avec un peu moins d’argent qu’en rentrant. Je n’avais pas appris grand-chose et ce que je savais désormais me laissait perplexe. Julien travaillait toute la journée dans un tunnel et quand il venait l’heure de se reposer, il continuait de creuser. Une vraie vocation.
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