Scène 4 : jour 1 : Ennui mortel

3 minutes de lecture

Rien à me mettre sous la dent, comme je m’y attendais. L’hostilité des gens du chantier s’était avérée réelle. Je n’avais rien obtenu à part une impression de malaise, le mien. Derrière les barrières, la loi du silence régnait, ça commençait à chatouiller. Quel intérêt de m’envoyer paître, alors qu’un quelconque mensonge aurait suffi ?

Plusieurs réponses se livraient un duel à mort dans mon cerveau. Je les regardais se battre et évaluais leurs chances de l’emporter. Je finis par parier sur l’une d’elles, puis me dirigeai vers la morgue.

Construit sous Hausmann pour remplacer une masure des bords de Seine, le bâtiment prenait la forme d’un grand temple grec. Les disparus et les noyés séjournaient dans la galerie, où ils étaient exposés à fin d’identification. Chacun pouvait venir y reconnaître un proche. Cet endroit m’évoquait une salle d’attente pour les morts, un dernier effort avant le repos éternel.

J’entrai comme n’importe quel quidam, mais dès que je voulus accéder aux espaces réservés au personnel, le gardien me joua son numéro de vigile. Je n’étais plus policier et n’avais aucun droit de pénétrer dans ces lieux. Comme par magie, tous ces points de règlement s’évanouissaient dans les limbes quand je sortis quelques pièces. Mes émoluments journaliers fondirent de trois francs. La vie était chère à Paris, la mort tout autant.

Je pris le chemin familier de la salle de dissection dans laquelle Lilien officiait en tant que médecin légiste. Nous avions eu l’occasion de travailler ensemble sur plusieurs affaires et étions liés par le sang, celui des autres.

Dans les couloirs émaillés de blanc, la Seine et les produits chimiques se liguaient pour empuantir l’air sans parvenir à masquer l’odeur de la mort.

Lorsque je le trouvais, Lilien se lavait les mains, son tablier taché de fluides corporels le couvrait encore. Le rouge se mêlait à des couleurs moins glorieuses.

— Je vois que la faucheuse ne chôme pas, lançai-je.

— Elle vient juste de sortir, une course urgente, répondit Lilien en tournant la tête vers moi. Que me vaut le plaisir, Arthur ?

— Je voudrais la description de tes clients mâles, depuis deux semaines.

— On peut dire que ta demande est précise. Au moins, tu connais le sexe de celui que tu cherches, c’est un bon début.

Je tentai de me souvenir du portrait que m’avait présenté Annette le matin même, j’avais tout noté, mais je ne souhaitais pas sortir mon carnet devant Lilien. Comme quoi la fierté peut se cacher dans des détails idiots.

— Il s’appelle Julien Lebrun, châtain foncé, un mètre quatre-vingt, mince, solide comme un ouvrier. Les mains comme des battoirs à force de manier la pelle et la pioche. J’ai une photo.

— C’est curieux.

— Quoi ?

— Tu n’es pas le premier à chercher des gars comme ça.

Lilien s’essuyait avec attention et resta muet, le visage fendu d’un petit sourire en coin, celui qu’il prenait quand il détenait une information que j’ignorais. Il attendait que je le supplie, je ne souhaitais pas céder, mais cela pouvait durer des lustres.

— Bon, d’accord, raconte-moi, finis-je par abandonner alors qu’il jetait son tablier dans un bac près de l’évier.

— Plantieu, du commissariat du dix-huitième est passé il y a environ deux mois. Il m’a demandé si j’avais un gars avec des mains en forme de battoir, exactement comme toi, pelle et pioche.

Je connaissais Plantieu, un inspecteur de seconde zone, pas courageux pour deux sous, pas sérieux non plus, ni honnête d’ailleurs. Je notai le détail avant de reprendre.

— C’est tout ? Pas la peine d’en faire un mystère.

— Carmin, un gendarme de Montreuil, a demandé la même chose.

— Là, tu m’intéresses. Tu leur as dit quoi ?

— J’ai cherché et je n’avais pas de clients qui ressemblaient aux descriptions.

— Ils t’ont dit quoi, eux ?

— Rien, pour en savoir plus, il faudra leur poser la question toi-même.

— Et pour mon gars ?

— Prête-moi la photo et retrouve-moi vers huit heures au « Tambour »

— C’est que… j’ai pas les moyens de t’inviter.

— Alors c’est moi qui régalerai.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire GEO ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0