Scène 14 : Alone in the dark
Je repris connaissance, les yeux et la bouche pleins de terre humide. Mon crâne me lançait, j’avais l’impression d’avoir croisé le chemin d’un troupeau d’éléphants. Mes oreilles bourdonnaient, comme remplies de coton. J’allais me redresser, mais me retins.
Une lumière électrique éclairait des murs de métal, l’odeur de boue me sautait au nez. Je déglutis et parvins à nouveau à entendre. Des bruits de pelles et de pioches résonnaient contre les cloisons d’acier dans un vacarme rythmique et entêtant. Mon manque de vigilance m'avait amené au fond de ce trou, je me retrouvais maintenant au fond du trou, la figure dans la fange à ressasser mon erreur.
Je n’osais pas bouger, je devais conserver le petit avantage que mon réveil m’avait procuré. Mon ravisseur ne m’avait pas attaché, je sentais le chien de mon revolver qui s’enfonçait cruellement dans mon aisselle. Ce devait être un amateur, négligent ou très sûr de lui. J’étais piégé et ici, personne ne m’entendrait crier.
Deux hommes s’échinaient à creuser devant moi. J’essayais de compter les autres d’après les bruits et en dénombrai au moins quatre, autour de moi, à quelques mètres de distance. Lentement, je tournai la tête.
Une lourde semelle de bois apparut et me plaqua violemment la tête au sol, ma pommette explosa de douleur. La figure écrasée dans la boue, mille étoiles dansèrent devant mes yeux. On me saisit par les bras, me remit sur pieds. Deux hommes me soutenaient. Leurs mains comme des battoirs à force de manier la pelle et la pioche, m’immobilisaient fermement.
Mes deux gardes n’attendirent pas que je reprenne mes esprits. Ils me poussèrent plus avant. Je me sentais encore sonné, mes jambes me soutenaient à peine et la curiosité dominait la peur. Je me demandais si mon vilain défaut me serait fatal.
Des travailleurs, courbés sous la voûte basse de la chambre, creusaient. Certains, aux longs cheveux, au corps maigre et à l’air égaré, excavaient leur propre trou, frénétiquement.
Les deux sbires me menèrent vers le centre du tunnel. Une masse noire occupait la moitié de l’espace. À la lumière des ampoules grillagées qui pendaient du plafond, je distinguais une stèle de pierre sombre. Ses flancs étaient ornés de gravures étranges, des créatures marines que je devinais gigantesques et cruelles. Leurs tentacules semblaient se mouvoir sous la clarté électrique.
Des ossements humains jonchaient le pourtour de cet autel. Le dégoût et la révolte me frappèrent lorsque j’aperçus un des tunneliers se délecter des restes d’un de ses compagnons.
Mes gardiens me retournèrent, me plaquèrent le dos contre la pierre froide. Je sentis son énergie vibrante et magnétique, une force ancienne et oubliée. Si je ne réagissais pas, cette stèle risquait de devenir ma pierre tombale.
Devant moi, Julien s’avança, armé d’une pelle. Sans un mot, il me dévisagea, puis, alors que je le suivais du regard, vint aiguiser son outil sur la roche. Des borborygmes, des sons indistincts, gutturaux provenaient de sa bouche, ils m’évoquaient une langue des anciens âges.
Le cérémonial terminé, on me souleva et me jeta brutalement sur la table. Julien arma son bras, tandis que le gars à ma droite s’écarta pour lui laisser de l’espace. Ma main libre fusa sous ma veste. Je saisis mon revolver et tirai sur l’homme de gauche. Il ne poussa pas un cri. Le bruit assourdissant de la cartouche de onze millimètres avait achevé de me ranimer. La lame de Julien filait vers ma tête. Je fis feu sur lui, son front se teinta d’une pastille rouge. Son outil me heurta de son plat.
Je tombai de l’autel.
Les ouvriers hagards se tournèrent vers moi, un à un, lentement, comme dans une procession. Je devais fuir, trouver un moyen de m’échapper avant que cette foule démente ne me noie et ne m’exécute à coups de pioches.
Je rampai d’abord, puis me levai, juste avant que les mains osseuses de ces êtres ne parviennent à me saisir. L’un d’eux me passa le bras autour du cou. Ses côtes saillantes me cisaillèrent le dos. Je tirai derrière moi, au hasard, la contrainte cessa. Fuir.
La masse inhumaine me bloqua le chemin, j’abattis deux d’entre eux. Alors que j’allais à nouveau faire feu, une des épaves se jeta sur moi, le sixième coup retentit. Ma balle se perdit dans les ténèbres.
Ce fut d’abord un sifflement, le chuintement s’intensifia, suivi d’une brusque détonation. Ce fut le dernier bruit que j’entendis.
L’atmosphère de la chambre de travail, maintenu sous pression dans l’espace confiné, profitait de l’ouverture pour s’échapper, elle entraînait avec elle les menus objets. Autour de moi, les hommes se tordirent de douleur, les uns se tenaient les oreilles, d’autres gigotaient dans leurs excréments. Ma vision se zébrait de lumières curieuses. Des spasmes me parcouraient.
De la boue gorgée d’eau surgit. Des tentacules monstrueux se coulèrent à travers l’écoutille brisée, ils tâtonnèrent un instant avant d’engloutir un des ouvriers. Cette chose pivota vers les rescapés, les happa un par un. Une peur absolue me traversa lorsque je croisai le regard de cet être. Des yeux ternes, sans âme, me fixèrent une seconde durant.
La panique qui me figeait d’abord se transforma en énergie. Je me retournai, les membres et les articulations douloureuses, je me dirigeai vers l’échelle d’évacuation.
De la boue jusqu’aux genoux, éclairé par les lampes, j’avançai difficilement, la vue altérée par les zébrures qui se plaquaient sur mes yeux. Quatre ou cinq ouvriers essayaient de remonter dans un désordre affolé. Mon champ de vision se rétrécissait de seconde en seconde, je devais fuir. Avec des gestes lents et maladroits, je rechargeai mon revolver.
Chaque ombre m’envoyait des signaux de danger immédiat. Je tirai sans entendre les détonations, je vis un puis deux puis trois éclairs. L’un des hommes se retourna vers moi, le regard haineux. Une nouvelle pression sur la détente. Il tomba dans la boue et s’y enfonça comme dans des sables mouvants, en m’observant de ses yeux fous. Quelques instants plus tard, il ne restait rien de lui.
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