Le tueur des ténèbres
Je n’en peux plus ! Je suis à bout de forces...
Peut-être, la mort est-elle Ma solution ? Mon salut ? Ma seule porte de sortie ?
Depuis comment de temps suis-je enfermée entre les quatre murs de cette étroite pièce, où règne en maître l’obscurité ?
Je ne sais pas comment, ni quand, je me suis réveillée, ici, dans cet endroit sinistre.
J'ai d’abord paniqué, me souviens-je ! Un désaroi brulant s'est emparé de mon âme. Jamais de ma vie, je n’ai autant hurlé, crié, alerté, prié…imploré… qu’on me réponde, qu’on vienne me chercher, qu’on me sorte de là… qu’on me sauve !
Mon corps porte les stigmates de mes épisodes de frayeur. Il est entièrement ankylosé. Le résultat des coups successifs portés avec mes mains, mes pieds ou mes épaules sur les murs et la porte.
Où suis-je ? Je ne sais pas !
Que fais-je ici ? Je ne sais pas !
Qui m’a emmené dans ce lieu maudit ? JE NE SAIS PAS !
Je n’en peux plus de ces ténèbres ! Je veux revoir la lumière, même si ce moment ne doit durer qu’un court instant. En tâtonnant le sol lisse et froid, j’avance ma main jusqu’au recoin, tel un aveugle qui appréhende ses mouvements.
- Aïe ! fais-je lorsque je sens la pointe du couteau s’immiscer dans ma chair.
La douleur n’est pas si forte, pourtant, je me mets à pleurer jusqu’à être violement secouée par mes sanglots.
Qu’ai-je fais pour mériter ce calvaire ?
Je porte mon doigt meurtri aux lèvres. Un goût acerbe de fer se répand dans ma bouche, me soulevant le cœur. Au moins, la plaie semble superficielle.
Plus prudemment, je tends mon autre main vers le recoin. Lorsque je saisis la petite boîte en carton, elle manque de m’échapper des doigts. Je la rattrape in extrémis.
J’ai soif !
J’ai faim !
J’ai peur !
Je suis à bout de forces !
À bout de nerfs …
- QU’EST-CE QUE TU VEUX ? HEIN ? hurlé-je en direction de la caméra, dont le clignotement du petit voyant rouge me rend folle. Qu’attends-tu de moi ?
Qu’attend mon kidnappeur pour se dévoiler ou m’indiquer ses intentions ?
- Tu veux que je crève ! affirmé-je en m’adressant au fuseau rouge. Mais tu es trop lâche pour le faire toi-même ! Tu attends patiemment devant ton écran que je me suicide ! C’est ça, HEIN !
C’est forcément cette raison ! Je ne sais pas depuis quand je suis là, mais j’ai eu suffisamment de temps pour y réfléchir.
Non ! Je ne me trompe pas ! Sinon, pourquoi mon bourreau m'emprisonnerait-il dans ce lieu, sans se manifester ? Et pourquoi me fournir un couteau acéré, des allumettes et un caméscope ?
Un caméscope ! Que cherche mon geôlier ? À ce que je filme mon suicide ? Ou à ce que je fasse mes adieux devant l’objectif, avant de passer à l’acte ?
Je m’appuie sur le mur glacial et humide, et ouvre consciencieusement la petite boîte. Du bout des doigts, je repère le côté rugueux et y craque une allumette. Le crépitement de l’étincelle laisse place à l’apparition de la lumineuse !
La flamme a pour effet d’endolorir mes yeux, je fronce les sourcils. Néanmoins, sa chaleur réchauffe l’intérieur de mon être. Pour une courte durée, je le sais trop bien !
Je jette un œil dans le petit carton. Il n’en contient plus que deux ! Les larmes reprennent leur chemin le long de mes joues.
Plus que quelques secondes avant que la flamme ne s’éteigne. Déjà !
Autour de moi, il n’y a rien, excepté les deux mètres carrés, tout au plus, de cette sordide pièce. Ma respiration s’accélère, comme si voir ma réalité me rendait claustrophobe. Sans la regarder, je sais que la lourde porte vérouillée en acier, à ma gauche, est la seule issue possible.
La flamme vacille et se rapproche de mon index. Mon répit va bientôt disparaître avec elle. Je sens à peine la brûlure sur ma peau lorsque vient le moment fatidique.
Puis, de nouveau, les ténèbres !
Je ne me contiens plus. C'est trop dure ! Tel un démon qui s'immisce dans l'âme et le corps d'un innocent, la folie reprend le dessus sur ma conscience.
De ma gorge sortent des hurlements rauques, que je ne me connais pas ! Je crie aussi fort et aussi longtemps que mes poumons me le permettent. Mes mains frappent les murs avec frénésie. Je suis anesthésiée par la douleur.
- MONTRE-TOI ! crié-je en dévisageant le point clignotant au plafond. FINISSONS-EN !
Et enfin, épuisée par mon agitation psychotique, je m’effondre sur le sol.
J’ai soif !
J’ai faim !
J’ai peur !
J’ai froid !
Il m’a brisé ! Il… L’inconnu qui a volé ma raison, mon avenir, ma vie !
Pourquoi ?
Je ne le saurais peut-être jamais…
Il faut que ce cauchemar cesse ! Je n’en peux plus.
Je prends l’ultime décision. Radicale, mais libératrice ! Je vais quitter cet enfer de la plus cruelle des façons !
Paradoxalement, un sentiment de soulagement me traverse et m’apaise.
Je m’empare du caméscope et appuis sur tous les boutons pour enclencher l’appareil. Enfin, je reprends la boîte d’allumettes et le couteau, avant de m’installer le plus confortablement possible en tailleur sur le sol.
Consciencieusement, je m’essuie le visage à l’aide de mes manches pouilleuses. Le résultat ne doit pas être faramineux, mais au moins j’aurais tenté de conserver ma dignité devant l’objectif.
Je craque une allumette... moins une... et active l’enregistreur :
« Papa, Maman, j’ai peu de temps et je ne sais pas si vous verrez ses images. Je ne sais pas ce qui m’arrive, mais … ».
La flamme s’est éteinte. Je m’empare de la dernière allumette réprimant un sanglot. Je sais qu’après celle-là, plus jamais je ne verrais la lumière !
« Sachez que je vous aime et que je suis désolée de vous laisser et faire … ce que je m’apprête à faire. Vous avez été les meilleurs parents que je puisse espérer avoir, merci pour ça ».
J’éteins le caméscope en laissant mes larmes coulées. J’essaie de chasser de mon imagination la scène de mon bourreau se délectant du visionnage de mon acte définitif.
Puis, dans un dernier élan de courage, je saisis le manche du couteau et le porte à mon poignet. Je sens se poser la lame tranchante de l’objet.
Je suis décidée ! À trois...
Un !
Deux….
TROIS !
- Eeehhh, COUPER ! "Le tueur des ténèbres", acte un, scène deux, est dans la boîte !
- Rallumez les projecteurs ! s'écrie un régisseur.
Je me relève du décor, un sourire déssiné sur les lèvres. Le réalisateur n’a pas coupé la scène une seule fois durant ma prestation. C'est un très bon signe pour la débutante que je suis.
Une assistante me tend une bouteille d'eau et me félicite pour la qualité de mon interprétation. Je suis fière de moi ! J'ai suivi son conseil à la lettre : "ne joue pas ton rôle, deviens ton personnage".
- Tu as été parfaite ! s'exclame le réalisateur. Je ne regrette pas de t’avoir fait confiance pour interpréter la première victime du « tueur ». Bravo !
Je le remercie chaleureusement, en contenant mon excitation. Pourtant, à l’intérieur de moi, je suis animée par un feu d’artifice de joie !
Ma carrière d’actrice démarre dans les meilleurs auspices !
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