1. Kin, uinal

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Un bosquet de fougères s’écria, en maya yucatèque :

« Par le Grand Serpent à Plumes ! »

Le vieux chamane remonta son froc et sortit des fourrés. Il clopina vers le village tout proche.

« Les gars ! » hurla-t-il « Réveillez-vous ! Je viens de comprendre un truc de ouf, le monde suit des cycles ! »

Le village était encore endormi si bien que l’assistance ne fut guère réceptive. Après avoir poussé une gueulante, il réunit tout le monde au centre de la clairière.

« Je viens d’avoir une illumination quand j’suis parti méditer. Ta gueule toi, je méditais ! Écoutez bien ça… Des cycles perpétuels mènent le monde. »

Il fit une pause pour ménager son effet. Ça faisait partie des astuces que tout bon chamane devait connaitre. Sans ça, personne ne croirait un mot de ses conneries. Il était trop vieux pour trouver un autre village assez crédule pour l’écouter. D’un geste théâtral, il désigna le ciel.

« Regardez comment chaque jour le soleil apparait puis disparait. Regardez comment la lune revient au zénith, tous les trente jours. Regardez comment nos femmes perdent du sang au terme de ce même laps de temps. Des cycles, j’vous dis ! »

L’assistance fit un « Ooooh ! » émerveillé.

Bien. Il les avait dans la poche.

« Nous allons créer un calendrier ! Nous pourrons en déduire les grandes phases du monde, sur des millénaires ! Je sais pas encore ce qu’est un millénaire, mais je m’en fous ! Allez, au lieu de rien faire on va s’occuper de ça ! »

Grâce au pouvoir de persuasion du sorcier, ils se mirent au travail, et ne firent que ça de la journée. Au crépuscule, les bases de leur calendrier mystique étaient posées. Constitué de plusieurs cycles de temps imbriqués, la plupart longs de vingt unités. Les Mayas comptaient avec tous leurs doigts.

L’unité de base était le kin, le jour. Le uinal faisait vingt kin. Le tun fut fixé à dix-huit uinal par un villageois s’étant fait bouffer deux doigts par un écureuil agressif. Le katun fut décrété à trente tun par un autre qui avait l’esprit de contradiction et voulait emmerder le monde. L’avant-dernier cycle, le baktun, faisait vingt katun.

Il était temps d’établir la durée de l’ultime cycle, et la charge en revenait au vieux sorcier. Mais la journée avait été longue, et il n’avait cessé de picoler pour maintenir l’illumination – l’accès à la bibine étant le but final de toute cette mascarade.

« Dix !–hips – Où qu’y sont ? Oh que c’est bizarre. Onze… Et les aut’ doigts ? Ah !–hips – J’avais pas vu, cachés dans les poils… Douze, et l’dernier, treize !–burp– »

Le vieux chamane tenta de se lever mais son estomac lui rappela l’existence de la gravité. Il se contenta de déplier un doigt noueux pour annoncer la découverte :

« Le Grand Cycle fera treize… euh… treize.–hips – Et ce cycle-là il sera balaize, car je vois pleiiin d’étoiles ! Et la terre, ooh la terre elle va dans tous les sens hihi !–hips – Et ça booouuuge ! »

Avant qu’on puisse lui demander quel nom il donnait à ce cycle fatal, le vieux s’effondra dans un coma éthylique.

L’assistance était médusée. Le chamane avait dit : « La terre elle va dans tous les sens hihi !–hips– », ce que la tradition orale conservera. Malgré l’air enjoué du sorcier, cette vision ne signifiait qu’une chose. Des tremblements de terre catastrophiques, un ciel renversé, les étoiles dans tous les sens : la grosse flippe.

Rien de moins que la fin du monde.

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