Chapitre 53 : Une énigme au fond des abysses

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 Le dernier de ces cyclopes à mille pattes s’effondra, une flèche enfoncée profondément dans l’œil. Pour la énième fois, Deön avait décoché sa missive directement dans le cortex nerveux du monstre et tout le monde avait survécu aux assauts répétés des bestioles géantes. 

 La lumière du jour s’engouffra timidement dans l’embouchure au fond du tunnel putride. 

 – Bon, je pense que c’est le dernier rampant que nous aurons à affronter dans ces cavernes ! s’exclama le chasseur.

 – Tu veux dire que le berceau est enfin devant nous ? questionna Gojïn, s’affairant à s’extirper des mandibules d’un des assaillants – Heureusement, elles avaient percuté un large rocher d’émeraude avant de pouvoir se refermer sur le corps du milicien. Ce dernier en avait profité pour perforer de sa lance l’œil de l’arthropode–. 

 – Je dis juste que ces insectes ne vivent pas à l’extérieur des cavernes et, justement, on sort enfin de ce bourbier.

 – Nom d’un voleur de volïs ! On en a affronté combien de ces monstres ? demanda Bojän, qui comptait les cadavres sans faire attention aux annonces du chef d’escouade.

 – Depuis que nous avons rencontré le premier, je crois qu’on en a occis vingt au total, exposa la capitaine Morgän.

 Elle marchait au pas le long d’une énorme carcasse de chitine et d’émeraude. 

 Deön observa l’attitude fière et victorieuse des miliciens d’un air blasé. « Oui enfin, c’est surtout moi qui m’en suis débarrassé. Si on avait compté sur Lonka... », sans finir sa phrase, il pointa du doigt un renfoncement entre deux amas de stalagmites. Repliée sur elle-même, Lonka grelottait et jurait. « Plus jamais... Je hais ces horribles choses... plus jamais », elle tentait de s’apaiser par un mouvement de balancier, faisant gigoter ses tentacules tronqués. 

 – De toute façon, il ne peut rien nous arriver avec le meilleur chasseur de tous les temps, s’esclaffa Gojïn qui marchait à présent sur l’exosquelette de son gibier – Il avait pris soin d’arracher sa lance de l’œil, qui suintait maintenant d’une sève jaunâtre –.

 On avait pris le temps de soigner Dän au cours de l’expédition et l’hémorragie avait cessé – Une large bande cisaillée dans un drap de fortune l’entourait à la taille –, mais, silencieux et en retrait, le grand homme montrait grise mine. « Ça va aller ? », Bojän s’enquit de son état en l’observant claudiquer vers la tête du cortège. « Je regrette d’avoir à être protégé depuis ce matin... », rétorqua le milicien, prunelles en peine. 

 Bojän acquiesça et laissa le champion des Jeux le dépasser. Il se tourna ensuite vers Lonka, recluse dans la pénombre sans que personne ne vienne la relever. Le milicien à la peau ébène s’approcha et posa sa main chaude sur son épaule. Elle n’osait plus lever les yeux vers un de ses compagnons, honteuse.

 Le milicien Biaz s’agenouilla, se mit face à son visage rougi et dit :

 – Allez, Lonka nous y sommes presque, en plus nous avons besoin de toi pour nous guider.

 Elle fit quelques balanciers de plus, puis répondit :

 – De toute façon, je ne les entends même plus ces voix, je suis un gros boulet... bonne à rien depuis le début...

 Alors que Gojïn se rapprochait à son tour, Deön écoutait les palabres et commençait à s’impatienter. « Qui vote pour qu’on la laisse ici ? », le chasseur leva la main en posant sa question. Gojïn eut du mal à contenir son rire, mais à l’instar des autres survivants de l’escouade, il ne suivit pas son chef dans cette décision. 

 – Il me semble que tu nous as dit que nous avions besoin d’elle une fois dans le berceau, alors hors de question d’abandonner notre “chance”, rétorqua Irina.

 Lonka leva la tête et fit ses yeux ronds à la capitaine Morgän. Son ton autoritaire la ramena à l’urgence de la situation. 

 – Très bien, mais dans ce cas faites quelque chose, portez-la ou traînez-la, car je vous rappelle qu’une bande de joyeux barbares est à nos trousses ! s’exclama Deön.

 Bojän voulut aider Lonka à se relever, mais cette dernière repoussa sa main et se redressa dans la foulée. Cette fois, son visage était crispé d’agacement. Les bras croisés, elle marcha d’un pas vif vers la sortie. Bojän et Gojïn se dévisagèrent. Chacun se demanda si elle réagissait par regain de forme ou par colère. « Par-fait », insista Deön lorsque la fille ballotta ses extensions fendues à sa rencontre. Sans un regard, elle le dépassa et prit la tête du cortège.

 Amusé, le reste du groupe la suivit. 

***

 – Donc c’est ça le plancher des abysses ? demanda Gojïn.

 Les rayons du soleil peinaient à percer la dense canopée qui formait un matelas de feuillage au-dessus de leur tête. La terre percluse de crevasses sinuait entre des blocs de rochers sertis de ces innombrables émeraudes qui commençaient à lasser le regard des aventuriers. L’aspect des lieux se rapprochait des cavernes, à la différence que les houx remplaçaient les stalagmites, que les sommets ombragés des conifères remplaçaient les parois d’un tunnel.

 L’escouade marcha d’un pas soutenu dans cette zone dense et escarpée. Deön et Lonka ouvraient la voie, sans s’échanger un regard. Irina soutenait Dän qui claudiquait le plus vite qu’il pouvait en queue de cortège.

 Au milieu, Gojïn et Bojän restaient à l'affût d’une faune et d’une flore possiblement menaçantes. Ici se développaient des plantes protégées par les ronces et semblables à de grosses poches couleurs ozkola qui n’inspiraient aucunement confiance. Ici se cachaient des bestioles grouillantes sous la masse des rochers, des arachnides tissant leur large toile entre deux pousses de houx. 

 La capitaine leva la voix pour attirer l’attention du chef d’escouade :

– Au fait, Deön. Une fois dans ce berceau, qu’est-ce qu’on va devoir faire pour “réactiver l’île” ?

– C’est une bonne question, concéda Deön sans se détourner de sa route. De base, les Hantz se trouvent au centre du berceau, mais un berceau, ça peut être très grand et très éreintant à parcourir. Les voix qu’entendent Lonka peuvent nous y conduire, j’ai déjà vu des êtres comme elle à l’œuvre...

 Lonka tendit une oreille attentive, faisant mine de continuer ses observations sur cette nature chimérique. La troupe restait vigilante, mais le discours de Deön attira l’attention de tous. 

– Cependant... continua-t-il. Si les voix ne souhaitent pas la guider, il faudra s’enfoncer le plus loin possible dans les catacombes jusqu’à trouver le cortex.

 – Le quoi ? reprit Irina.

– Le cortex est la zone qui entoure le centre du berceau. Normalement, il est éclairé, donc une fois en vue, on ne pourra pas le rater. 

 – C’est quand la dernière fois que tu as visité un berceau ?

 – Je ne sais pas, tu n’étais pas née en tout cas – Irina fronça les sourcils à cette remarque –. Tous les berceaux sont différents, mais normalement, ils contiennent tous les mêmes éléments : des catacombes, aussi immenses qu’obscures ; le cortex, où vous verrez plein de fresques si vous survivez jusque-là et la salle des machines, où nous pourrons activer le Navire-Monde. En dessous se trouvent les terriers où les Hantz résident, mais si tout se passe bien, nous éviterons cet écueil. 

 – Et les... “Hantz”, justement... Ils feront quoi une fois que nous entrerons dans le berceau ? demanda Bojän, déjà inquiet d’entrevoir le dernier périple qui les attend au fond de ces abysses.

 – Oh bah ça...

 Deön se tut, un sourire en coin. Bojän déglutit et Gojïn afficha une mine dégoûtée. Irina et Dän gardaient leur regard grave. 

 Lonka restait quant à elle déterminée : la peureuse naufragée voulait laisser place à l’aventurière confirmée, elle l’enfant de Nygönta et l’aspirante des explorateurs de Nyön. Ils vont voir si je n’peux pas les guider !

Pour se rassurer et garder sa volonté intacte à travers cette flore grouillante de farouches immondices, elle se remémora les enseignements du grand Banaji : les araignées fuyaient les humains autant que les humains les fuyaient ; les plantes carnivores ne mangeaient que ce qui était plus petit qu’elles ; les corps chauds en mouvement n’attiraient que les mouches et les moustiques, une bonne combinaison enduite de boue protégeait des piqûres ; il fallait juste faire attention à l’endroit où on posait le pied et toujours avoir une bonne machette à portée de main.

 Il ne lui manquait qu’une machette.  

 Une lueur l’attira finalement.

Rampant sur un rocher entre deux excroissances d’un vert brillant, un corps translucide se planquait sous une coquille longue et effilée. Lonka s’approcha et suivit le mollusque du regard. Ce dernier s’arrêta, puis se tourna à son tour vers elle. Il dévoila son exosquelette visqueux, surmonté d’un œil rouge qui toisa la fille avec insistance.

 Cet œil rouge lui rappelait quelque chose.

« Lonka, bouge de... », avant que Deön n’eut le temps de finir, une onde vibrante jaillit de l’œil. Lonka tomba à la renverse, mais le mollusque s’approcha du rebord pour continuer son offensive. Ondulant et verdoyant, le laser scanna son visage. Paralysée de stupeur, Lonka se laissa faire. Dans une fronde rageuse, Deön envoya valdinguer de son bras la bestiole derrière le rocher. « Décidément, t’en rates pas une, toi ! », fustigea-t-il.   

 Bojïn et Gojïn accoururent.

 – C’était quoi ça ?! demanda ce dernier en inspectant la mine sidérée de Lonka.

 – Nom d’un glazon ! Ce n’était pas beau à voir, ajouta Bojän.

– Je crois que c’est un hàntzona à coque[1] – Devant la mine incrédule des deux miliciens, Deön roula des yeux –. En gros un croisement entre un “hant” et un cryptoradar. 

 – Un quoi ?!! s’exclamèrent Bojän et Gojïn de concert.

 – Un hant chargé de surveiller les déplacements étrangers, entre autres. 

 – Wouah, alors c’est ça un hant ?

 – Une sorte, oui. Et ça signifie que le berceau n’est plus très loin. 

 « Dogerez Pulcherra, Goèn ag fono il goèn al gono ». Que quoi ?! Va au fond et prend à gauche ? Lonka se redressa d’un bon : « Les gars, ils m’ont parlé ! ». Les quatre miliciens la regardèrent, circonspects. Elle se pencha sur le rocher, à la recherche du petit hant. Elle roula des yeux lorsqu’elle vit ce dernier se faire avaler par une plante carnivore. La pauvre chimère glissait sur les parois corrosives de la monstruosité. 

 Lonka inspecta alors les alentours et fit quelques pas vers le sentier obscur.

 – Tu peux nous en dire plus ? questionna la capitaine Morgän.

 – Ils... Ils viennent de me donner la direction.

 – Ah... En fait, ce sont tes amis ? interrogea Gojïn, taquin.

 – Je ne sais pas, mais ils me donnent les mêmes indications que lorsque j’ai visité le donjon à Nygönta. Je sais que c’est la bonne direction !

 – Bon, bah suivons-la, conclut Deön en prenant sa suite. 

 « Une fois au fond du chemin, on doit tourner à gauche », l’escouade s’exécuta. Guidée par les voix chimériques, Lonka menait avec abnégation sa troupe dans le ventre des abysses. « À droite, juste ici », l’escouade bifurqua sur un terrain obstrué par les tiges de houx. Le sentier descendait et une structure commençait à s’esquisser dans la pénombre. « Là, entre les deux rochers, ça devrait tourner », les oiseaux du tonnerre s’acheminèrent sur la pente escarpée et onduleuse. Le soleil s’invitait dans le quadrillage formé par la flore. « Là, c’est là !! », en tête, Lonka s’arrêta à la fin du détour et pointa sa réussite du doigt.

 Deön, Gojïn, Bojän, Irina et Dän la rejoignirent un à un, s’arrêtèrent et observèrent la découverte.

 Un gigantesque portail, façonné en arc de cercle, résidait dans une végétation dense. Derrière lui, des pylônes creusés tels des tentacules mécaniques montaient en s’incrustant dans la roche du pic. 

 L’escouade foulait bel et bien la base de l’antenne montagneuse. « C’était prévu, ça ? », demanda Gojïn face à ce rempart silencieux. 

 Personne ne répondit.

 Deön analysait les multiples détails du lieu : Le portail était strié de trois traits symétriques – Un à la verticale, deux en diagonale de chaque côté – et au sommet s’incrustaient des cercles avec des symboles. « Bojän, va voir ce qu’il y a inscrit sur les ronds là-bas », demanda-t-il en les pointant du doigt. Bojän s’exécuta, devançant le reste du groupe. 

 Devant le portail était monté un socle duquel partaient dix-huit graduations sur un quart de cercle doré. On avait bâti la structure telle un pendule sortant de terre. On dirait un cadran solaire, pensa le chasseur. 

 Enfin, de chaque côté du cadran géant, deux totems faisaient face au portail. 

 L’endroit avait tout l’air d’un autel cérémonial. 

 Deön dévala les dernières rocailles du sentier, dépassa les totems et s’avança sur le cadran géant pour se présenter devant le socle. Témoins de la démarche confiante du chef d’escouade, le reste de la troupe se décida à le suivre.

 – On dirait des signes de mains ! s’exclama Bojän, qui inspectait les symboles au sommet des stries du portail. 

 – C’est-à-dire ? interrogea le chasseur en continuant d’observer le socle – Lonka s’approcha de lui tout en contemplant la structure –.

 – Sur le rond du milieu, la main est tournée, paume vers nous. Sur les ronds des côtés les mains sont tendues sur la gauche et sur la droite. Qu’est-ce que ça veut dire ?

 – J’essaie de m’en rappeler – Deön trifouillait dans sa mémoire. Il avait déjà vu la cérémonie d’ouverture pour un portail du genre, mais ça datait d’une soixantaine de terravolutions maintenant –. En tout cas, il y a une serrure ici.

 Le chef d’escouade sortit de son chemisier la clé du No Gata, sous les yeux perplexes de Lonka. L’embouchure était totalement différente de celle du berceau de Nygönta. Sans attendre, Deön inséra la clé et la tourna. 

 Une détonation résonna. 

 Dans l’instant d’après, des centaines de points lumineux apparurent çà et là le long de la structure. « Actalèn’lez », bruissa les voix dans la tête de Lonka. 

 – Ils... Ils nous demandent de nous « annoncer ».

 – Qui ça ? demanda Irina.

 – Bah... Les Hantz, j’imagine.

 Pendant que l’escouade observait les variations du décor entre stupeur et ébahissement, Deön redoublait de réflexion. 

 – Bordel... Je ne me rappelle plus comment on fait, exposa-t-il finalement, désarçonné. 

 – Tu veux dire que nous ne pouvons pas rentrer comme ça ?! s’écria Gojïn, regardant instinctivement derrière lui si les barbares n’étaient pas déjà là.

 – Réfléchissons, à quoi sert ce demi-cadran au sol et ces totems ? se questionna la capitaine.

 – Heu... Pour les totems, je ne sais pas, mais pour le cadran j’ai une petite idée, dit Bojän depuis la base du portail, attirant les regards circonspects de ses pairs. Regardez les rayons du soleil, ils nous indiquent la grada qu’il est sur le cadran.

 Les membres de l’escouade baissèrent les yeux au cadran. La ligne d’ombre s’étalait sur la quatorzième graduation. Elle n’était plus si loin de s’évader au-delà du pendule doré :

 – Je crois comprendre... insinua Deön, la mine de plus en plus sombre.

 – Plaît-il ?! tonna sèchement la capitaine.

– Je comprends que nous avons jusqu’à la fin de la dix-huitième graduation pour trouver la réponse à cette énigme.

 Un vent de panique souffla sur l’escouade des oiseaux du tonnerre.

***

 La ligne d’ombre pointait aux abords de la dix-huitième graduation. Ce n’était pas la fin de la journée, mais bientôt celle de l’énigme. 

Ils pensaient avoir tout essayé, notamment mimer les signes de mains inscrits sur le portail à différentes positions. Ils espéraient avoir trouvé la bonne solution en se plaçant à trois devant le socle et les totems avec les signes adéquats : un laser rougeoyant sortit alors du cercle au milieu du portail pour les scanner. Mais la lourde roche qui les séparait du berceau ne s’ouvrit point. 

Gojïn restait assis sur un rocher près du sentier, boudeur et tête au poing. Il attendait, résigné, l’arrivée des barbares.

Bojän et Irina faisaient le tour de la structure en espérant trouver un détail qui leur avait échappé. Lonka s’était même hissé en haut du portail pour inspecter les pylônes derrière. Dän observait quant à lui chaque totem.

Deön avait les mains posées sur le socle. Il avait tourné la clé bon nombre de fois, éteignant et rallumant les scintillements de l’hôtel, sans que rien d’autre ne se passe. Lumières de nouveau éteintes, il toisait à présent la porte de pierre avec une prunelle sévère. « Bordel... Tout ça pour ça... ».

– Les gars, j’ai trouvé quelque chose ! s’exclama Dän de sa grosse voix – Tout le monde tourna les yeux vers lui dans un mouvement d’espoir –. Il y a des cavités dans les totems !

Lonka sauta du portail. Gojïn se redressa et accourut, tout comme Deön. Bojän et Irina s’avancèrent à leur tour. 

Sur le totem de gauche, Dän leur pointa le trou dissimulé sous les feuilles et la mousse. Chacun se baissa pour tenter d’en observer le fond obscur. Puis chacun fit de même pour l’autre totem.

 Les deux trous étaient orientés vers le socle.

 – J’ai un plan ! s’exclama Deön. Lonka, positionne-toi devant le socle et lève la main, paume vers le portail. Dän, insère ta main dans le totem de gauche selon le symbole à gauche. Gojïn...

 – Pourquoi moi ?!

 – On a plus le temps là ! gronda Irina.

– Espèce d’abruti de milicien blondinet, va foutre ta main dans l’autre totem et assure-toi que ce soit dans le bon sens, tempêta à son tour Deön.

 Tout le monde s’exécuta, avec plus ou moins d’enthousiasme. 

Une fois les trois annonceurs en place, Deön tourna la clé avec vigueur. Les lumières semblaient plus brillantes que jamais et le laser sortit une nouvelle fois pour scanner les visiteurs.

 Et puis, plus rien.

« Bon, allez, c’est foutu, ras le cul de ces énigmes à la con ! », fustigea Deön en rebroussant chemin. 

 « Banarèm Humarionz », énonça les voix dans la tête de Lonka.

 – Deön, attends ! s’exclama aussitôt cette dernière.

 – Quoi ?!? fustigea ce dernier en se retournant, furibard.

 – Les voix me disent... « Seulement les humarions ». On... Je pense que nous avons trouvé la solution, il faut juste...

 – Qu’elle soit appliquée par des humarions, continua Irina. 

 Les membres de l’escouade se dévisagèrent une nouvelle fois. « Ça tombe bien, il n’y en a que deux connus, ici », les bras croisés, Deön s’avança au milieu de la troupe quand soudain, il s’arrêta net.

 Lonka et Gojïn perçurent les mêmes bruits. Des individus s’approchaient. 

 Les Avazen n’étaient plus si loin, alors que la ligne d’ombre pointait vers le milieu de la dix-huitième graduation.

– Pas de temps à perdre ! Lonka, remets-toi en position, ordonna Deön avant de réfléchir un instant. Je vais me mettre au totem de gauche et, chacun d’entre vous – Son regard balaya les autres membres de l’escouade –, vous allez vous relayer entre le socle et le totem de droite, jusqu’à trouver le troisième humarion, s’il y en a un. 

 – Mais je suis un humain moi...

 – Fais-le !!! cria l’escouade de concert. 

 Gojïn reprit son poste, de même que Lonka. Une fois sa main dans la cavité du totem, Deön fit signe à Bojän de tourner la clé. Les lumières se rallumèrent et le scanner jaillit de nouveau.

 Puis, plus rien. 

Lonka entendit la même phrase dans sa tête. Les bruits de pas, nombreux et menaçants, se rapprochèrent de plus belle. 

 – Je vous avais dit que je n’étais pas un...

 – Très bien, à ton tour Bojän ! coupa Deön. 

Dän prit sa place et le milicien Biaz s’avança vers le totem, mais Irina lui barra le passage. « Qu’est-ce que tu fais ? », sans lui répondre, la capitaine marcha d’un pas déterminé jusqu’au totem et y inséra sa main. Deön fronça les sourcils, puis fit signe à Dän de tourner la clé, encore une fois. 

 Le laser scanna les trois “annonceurs”.

 Une puissante détonation résonna.

 – On... On a réussi ! s’exclama Gojïn en levant les bras au ciel. Alors, Irina, tu es…

– Comment tu crois que j’ai survécu à la chute de mon voilier, hier ? rétorqua cette dernière. 

« Ouais ! Tu es la meilleure, Capitaine ! », explosa Lonka. Bojän et Dän rirent de bon cœur devant la mine surprise d’Irina, mais un râle, un hurlement appelant la « Capitaine ! » jeta soudainement un froid. 

Alors que le portail de pierre coulissait lentement dans le sol, dévoilant l’antre obscure dans un puissant grondement, l’escouade des oiseaux du tonnerre se tourna vers le sentier.

 Ils constatèrent lentement la vision d’horreur qui s’offrait à eux.

Attachée à ses camarades par des chaînes aux mains et aux pieds, exténuée, en sang, Zoèn transportait sur son dos une immonde besace et dévalait les derniers amas de rocher, entourés d’Erkàn et Yaèl. En plus d’être en piteuse condition, ces derniers avaient les yeux percées – De la poudre noire avait coulé de leurs orbites sanguinolentes – ; seule Zoèn pouvait constater la terreur dans le regard de ses coéquipiers retrouvés. « Capitaine, je suis désolée, ils sont juste derrière », arrivée aux abords du pendule doré, la championne de tirelance s’effondra sous le poids de la bourse pourpre. 

Yaèl et Erkàn tombèrent dans son sillage, leur corps mutilé s’étalant sur le sol. Ils respiraient difficilement, comme si du plâtre obstruait leur poumon.

Deön s’approcha, suivi d’Irina. En arrivant à leur hauteur, ils aperçurent par l’ouverture desserrée de la besace ce qui résidait à l’intérieur. « Quelle horreur... », ne put s’empêcher de souffler Irina. « Je suis désolée », répétait en boucle Zoèn.

 – Que... que leur est-il arrivé ? demanda Lonka, tremblante, s’avançant timidement à l’instar du reste du groupe. 

Deön leva une main en leur direction. « Ne regardez surtout pas ce qu’il y a dans le sac ! ».

[1] Note sur les Hantz : cf. Glossaire/Bestiaire. Il existe plusieurs familles et espèces parmi les Hantz, dont le nombre, les origines, le rôle et tant d’autres attraits restent inconnus pour la majeure partie des humains et humarions. Les hàntzonaz sont des Hantz généralement petits et croisés avec des systèmes de radar, sonar, scanner, etc... Le hàntzona à coque est composé d’un corps translucide abritant un système de scanner qui jaillit par son unique œil rouge. Prenant la forme d’un mollusque, il se protège sous ou dans une coque faite de divers éléments, allant de la roche à la chitine.

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