Chapitre 77 : La Terre Bleue t’attend !

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 Les délégations de Golèn et Talèn partirent à l’aube. 

 Le jour d’après, les citoyens de Mannfratt se recueillirent près des stèles apportées dans l’amphithéâtre. Dessus étaient gravés leurs noms et leurs éloges :

Du Duché de Talèn, nous remercions :

Le Vice-Capitaine et Grand Égérie Cheïki Kanana

La Primo Milicienne Zoèn Amän

La Primo Milicienne Raämaänaha Inno'Jaïbi

Le Primo Milicien Yaèl Kabar

Le Primo Milicien Erkän Vina'Bagän

La Primo Milicienne Shaï Shiabaï

Du Duché d’Uvulèn, nous remercions :

Le Gardien Milicien Naëbel de Valantza

Le Gardien Milicien Blön No'Shar

Le Primo Milicien Guzar Nanak

Le Primo Milicien Ermän de Ni'Okasa

Le Primo Milicien Arjän Beulet

Le Milicien Ertolt Zavèn

Du Duché de Golèn, nous remercions :

Le Primo Milicien Dän Hiegarän

Le Vice-Capitaine Bojän Biaz

Le Milicien Timön de No’Bolo

Le Milicien Gojïn Hiegel

Enfin, nous remercions et honorons la mémoire de :

La Capitaine Irina Morgän >

À la nuit tombée, la scène était inondée de fleurs. 

 Lonka n’était pas revenue à la demeure du No Jagolèn, préférant se fondre dans la foule de No’Olia. Les rumeurs couraient, annonçant la défaite totale des Avazen dans la cité de Tabantz. 

Bien trop nombreux pour les cellules du District, les prisonniers de guerre seraient répartis dans toutes les geôles de Suän Or. La nouvelle divisait les opinions. Au détour d’une boutique ou d’un coin de beuverie, le long des places commerçantes qui retrouvaient de leur superbe, elle les entendait à longueur de journée clamer l’exécution de tous les envahisseurs, se glorifiant de pouvoir le faire de leurs mains nues. Parfois, elle se surprenait à imaginer ce terrible barbare aux yeux bridés les pointant de son artefact, et tirer. Parfois, elle se surprenait d’être écœurée de ce sentiment d’injustice envers les disparus des deux camps. 

 Parfois, elle se surprenait d’idées noires.

 Elle passa ces deux jours seule, perdue dans un monde qui n’était pas le sien. Si seulement Jorïs était là... se disait-elle, errant parmi ces passants qui ne lui portaient aucune attention. 

 Après avoir refusé la proposition de loger dans la maison familiale de Perra, Lonka revenait dans cette chambre d’hôte où une bonne dame acceptait de prêter sa couchette pour quatre nyggoz la nuit. 

Perra lui avait remis une bourse et conseillé un quartier rempli d’auberges, mais, dans ses pérégrinations, elle tomba sur cette maison peinturlurée d’orange et attira aussitôt l’attention de sa propriétaire. Lonka ne connaissait pas la valeur de la monnaie locale, mais « quatre nyggoz et vous avez le gîte et le couvercle, ma pauvre petite » résonnait comme une offre attrayante. Elle se reposait depuis sous les combles, observant le plafond lorsque les trois colosses blancs brillaient.

 Elle ne comprenait pas le cours des choses et se posait en boucle les mêmes questions : Où était Jorïs ? Est-ce que ses parents vont bien et les attendent encore ? Pourquoi Deön ne donnait aucun signe de vie ? Est-ce que, telle la capitaine Morgän, il aurait menti, le temps qu’elle et Gojïn sortent de l’obusier ? Reviendrait-elle à Nygönta ? 

Qu’est-ce que je dois faire, maintenant ?

 Cette question la hantait.

 L’aube du troisième jour arriva. Encore une fois, la nuit était passée dans un flot de réflexions. Mais, alors qu’elle trouvait le sommeil, ce fut la première fois qu’elle entendit les gros souliers de la bonne dame gravir les marches jusqu’à sa cahute. 

 Elle poussa la porte, paniquée. « Petite, il y a la Milice qui veut te voir. Tu es recherchée ? Tu dois fuir ?! », Lonka se leva, perplexe. Sous le regard médusé de la dame, elle s’habilla d’une robe beige mi-cuisse qu’elle serra autour de sa taille d’une ceinture aux perles noires - L'accoutrement lui avait coûté sept nyggoz en ville –. « Non, je vais les voir. », dit-elle. Elle la suivit jusqu’à la pièce où elles prenaient leur repas. « Nom d’un glazon ! C’est bon je l’ai retrouvée ! », hurla Gojïn à travers la porte d’entrée. À l’extérieur, la voix enjouée du vice-capitaine Bojän Biaz exulta à son tour.

 – Gojïn ! Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi tu es là ?! demanda Lonka en faisant de gros yeux ronds.

 – Ah bah merci l’accueil ! On te cherche depuis hier ! s’exclama le milicien en tenue. Quand on te parlait d’une auberge, c’est pour que tu prennes une auberge ! On fait comment pour te retrouver sinon ?

 Rassurée par cet échange cocasse, la dame se mit à glousser devant la gestuelle pittoresque de Gojïn. Les mirettes de Lonka s’arrondirent de plus belle. Stupéfaite, elle qui commençait secrètement à leur en vouloir de leur absence, n’avait pas pensé à ce détail.

 – Bon allez, ce n’est pas grave, nous devons redécoller vite et c’est parfait, cette fois t’est déjà en tenue, dit-il sur un ton taquin avant de se tourner vers la propriétaire. Madame, merci beaucoup d’avoir pris soin d’elle, maintenant la Milice de Golèn va vous en délester.

 – Oh mais non, c’est un mot fort. Elle était très gentille la pauvre petite, et toute tristounette en plus.

 Lonka s’agaça de cette scène et haussa le ton :

 – Gojïn, on va où cette fois ?!

 Le milicien la dévisagea avec un grand sourire.

 – Nous partons voir Deön.

***

 Le colosse enflammé illuminait les grandes huttes sur le chemin remontant vers la ronde fortifiée qu’avaient érigée les habitants de la lointaine Bozo. Dans les champs, comme aux abords des habitats, femmes et enfants affluaient. De loin, l’ambiance semblait plus que joviale. « Nous y sommes presque, vieux frère, et j’ai l’impression que tu arrives au bon moment en plus ! », s’exclama Banaji en serrant plus fort encore la taille de son ami retrouvé.

 Si son corps miraculé lui avait permis de marcher une dizaine de jours avant d’être retrouvé, Jennän se présentait par un aspect méconnaissable : des rides et une peau aussi sèche que fripée s’étaient substituées à ses muscles ; ses cheveux et sa barbe couvraient son visage ; et la tenue des explorateurs de Nyön était réduite à un amoncellement de tissus embourbés de glaise, voire de sang. 

Jennän leva les yeux vers la scène de liesse qui se déroulait au loin. Il agrippa plus vigoureusement encore l’épaule de son compagnon lorsqu’il vit Maluna courir vers eux en criant « Ils partent ! Nous sommes libres !! Nous sommes libres ! ». 

 – Que... que se passe-t-il ? interrogea le survivant, déboussolé.

 – C’est fini, enfin... répondit Banaji, une pointe de trémolo dans la voix.

 Maluna se jeta au cou de son homme et l’embrassa ; puis de son bras elle invita Jennän dans une accolade commune. Ce dernier sentit son corps se réchauffer de plus belle. « Nous pensions ne jamais te revoir, c’est un miracle ! », s’enjoua-t-elle malgré les larmes.

 Jennän acquiesça sans dire mot. Préparé à affronter le funeste destin de son village, il ne s’était pas imaginé vivre des retrouvailles si allègres. 

 – Ma chérie, qui vous a dit qu’ils s’en allaient ? demanda Banaji en se décollant délicatement du trio, laissant Maluna soutenir Jennän pour son retour sur Nyön.

 – Les éclaireurs de Jovoko ! tonna-t-elle en aidant le chef des explorateurs à reprendre la marche. Ils ont été raccompagnés par les barbares eux-mêmes, qui ont déposé leurs armes aux portes de Nyön avant d’annoncer leur départ. Ils ont déjà tous quitté Jovoko. Tout va redevenir comme...

 Devant la mine déconfite de Jennän, Maluna ravala ses derniers mots, avant de prendre un ton plus solennel :

 – Jennän, tu n’as plus de nouvelles de tes enfants... ?

 – Au contraire, rétorqua-t-il en fixant le chapiteau au centre de la ville. J’ai appris de grandes choses, à commencer que ma bien-aimée est à présent la cheffe du village.

 « Ah ah, en effet », Banaji, qui menait la marche, s’arrêta et se retourna pour se gausser de la remarque. Son attitude soudainement joviale donna à Jennän un brin de sourire.

 – D’ailleurs, tu fais pâle mine ! On va t’aider à te débarbouiller. Tu ne peux pas être reçu ainsi par la Major Jewesha !

 – Non, je dois la voir au plus vite.

 – Roooh, survivre à l’invasion dans une forêt ne t’as pas rendu moins têtu, ricana Maluna.

 – Lorsque je lui aurai annoncé la nouvelle... je t’assure qu’elle n’en aura que faire de mon apparence, répliqua Jennän, dont les esclaffes généreusement rendues donnaient sur la toux plus que le rire.

 – Oh, et quelle nouvelle ?

 Le trio passa aux seuils des premiers habitats, salués par les enfants, vêtus pour la plupart d’une simple robe de paille. La brise légère se mêlait aux rayons du jour pour concocter la plus douce des températures.

 – Ils sont en vie, Maluna... répondit-il finalement.

 – Oh... Mais... C’est magnifique ça !

 Banaji, déjà au courant, tapota l’épaule de son camarade en souriant de plus belle.

 – Petit cachotier, pourquoi tu caches à ma bien-aimée la plus grandiose des nouvelles ?

 – La plus grandiose des nouvelles, c’est que nos enfants sont en vie, mais en effet, le plus fou dans cette histoire... C’est qu’un ange me l’a appris.

 « Hein ?!? », Maluna manqua de lâcher Jennän. Ce dernier s’esclaffa et la repoussa gentiment de sa main.

 – T’en fais pas, ma vieille. Je vais réussir à marcher jusqu’au chapiteau.

 – Mais, mais attends ! Que fait un ange dans cette histoire ?! éructa Maluna, pleine d’excitation.

 – Il... – Jennän fixa de nouveau le repaire de la nouvelle cheffe de Nyön. Son sourire s’agrandit, jusqu’à devenir radieux – Il veille sur eux.

***

– Rolala, tu ne trouves pas qu’on forme la fine équipe, Bojän.

 – Vice-Capitaine Biaz, cher milicien Hiegel, dit-il de sa grosse voix avant de s’esclaffer sous la mine soudainement déconfite de Gojïn. 

 Bottines dans la boue des grandes forêts à l’ouest de No’Olia, Lonka se joignit à la raillerie. 

Le sourire qu’elle avait retrouvé s’agrandissait à mesure que les lianes de feuillages s’écartaient sous l’entrée du temple de Vaä. Sous leurs yeux, le champ de protection du dôme brillait de mille éclats.

 Ils n’avaient plus qu’à le traverser, ce qu’ils firent sans hésitation.

 Elle ne se souvenait plus à quel point la demeure du chasseur et de l’alchimiste avait quelque chose de spécial. Le temple luisait de son métal jaune. La vive lumière dorée perçait le dôme rebouché, reflétant les contours de sa végétation sur la baie et ses chutes d’eau. Il restait à nettoyer quelques résidus de toiles de l’assaut de la Milice, rappelant son dernier passage ici. 

 « Deön ! C’est nous ! T’es où ? », Gojïn et Bojän se promenèrent le long de la baie à la recherche de l’Oiseau du tonnerre, criant pour se faire entendre. 

S’avançant vers l’élévateur, Lonka posa quant à elle son regard sur les baies vitrées du temple. Celles qui dissimulaient de leur reflet la salle de vie s’illuminèrent d’un succinct éclat bleu. « Les gars, suivez-moi ! », tonna-t-elle en sautant à bord du monte-charge. 

Les deux miliciens accoururent aussitôt.

Lonka mania les leviers et activa le mécanisme sous les regards ébahis (un peu trop pour dissimuler la taquinerie) de ses amis. 

– On sent que tu as vécu ici, dit le vice-capitaine Biaz sur un ton plaisantin.

– Pas si longtemps que ça, répliqua Lonka, tête tournée vers les hauteurs de la falaise, observant la coursive à l’entrée du domaine se rapprocher.

Guidés par la fille-méduse, ils découvrirent enfin l’intérieur rutilant de cette bâtisse hors du temps. 

Ils voulaient contempler le contenu de chaque pièce, de chaque réserve, mais Lonka marchait d’un pas décidé vers le salon. « Eh attends Lonka, ça doit être la chambre de Deön là, non ? », malgré la demande de Gojïn qui venait de s’arrêter face à une ouverture dans la paroi grise métallique, elle gardait son allure. Gojïn avait peut-être raison, mais Deön n’était pas ici.

Lorsqu’elle se présenta à l’entrée du salon, elle vit l’être transcendé d’éclats saphir lui tourner le dos, assis sur un divan, devant la baie vitrée. « Deön, c’est toi ?! », cria Bojän, arrivé sur ses talons. 

Rapidement, Gojïn les enjoint et hurla la même question.

Enveloppé dans une cape sombre qui cachait son corps, le Jugger se leva et se retourna. 

Ses yeux brillaient de cette énergie divine au point d’aveugler si on le fixait. « Vous en avez mis du temps », dit-il, stoïque, pendant que le trio inspectait sa nouvelle silhouette. Malgré l’onde bleue qui floutait les détails de sa peau brûlée, son visage semblait se régénérer, comme il l’avait évoqué dans l’obusier. 

Des mèches noires repoussaient çà et là sur son crâne.

– La guérison se passe bien ? demanda Lonka, quelque peu attristé par l’apparence écorchée de son hôte. 

– À merveille, rétorqua Deön, ironique. En récompense de notre victoire, j’ai un nouveau jouet.

Face aux regards circonspects des visiteurs, le Jugger sortit son épaule droite de la cape. « Rooh, c’est de la triche ça... », Gojïn pouffa et croisa les bras dans une expression contrariée. À l’inverse, Bojän et Lonka firent de gros yeux en observant la découverte : une prothèse en bois poli avait remplacé son avant-bras tronqué. Chaque segment de l’extension était relié par des fils luisant sous la lumière. En guise de démonstration, Deön leva sa main boisée et fit bouger son index et son majeur. « Wouaah », Bojän contemplait le miracle, ébahi. Lonka remarqua une énergie frétillante parcourir les câbles à chaque mouvement de la prothèse ; Deön usait de son fluide pour faire fonctionner son substitut.

– Pour l’instant, je ne peux bouger que ces deux doigts, exposa Deön.

– Ça reste une sacrée prouesse ! s’exclama Bojän avant de se tourner vers Gojïn, étonnamment bougon. Et toi, pourquoi tu tires cette tête ?

 – Je voulais voir son bras repousser, comme un lézard, rétorqua le milicien blondinet.

 – Oh ! J’avoue, ça aurait été marrant, dit Lonka dans un sourire.

 – Ah ! Toi aussi t’aurais voulu ! s’extasia subitement Gojïn, retrouvant sa bonhommie usuelle. En plus, avec tous les pouvoirs qu’il a, je suis sûr qu’il aurait pu le faire.

 – J’aurais pu le faire, concéda Deön, de plus en plus déboussolé par la réaction de ses camarades.

 – Je suis sûr que tu as refusé pour ne pas te taper la honte auprès de nous !

 – Rien à faire de ce que vous pensez.

 – C’est cela oui, conclut Gojïn dans un sourire narquois, sous le regard amusé du vice-capitaine Biaz et de la fille-méduse.

 – Bon. Pourquoi vous êtes venus ? 

 Deön camoufla de nouveau sa prothèse et offrit son expression la plus sérieuse. Lonka prit alors les devants :

 – Je suis heureuse que Gojïn et Bojän t’aient retrouvé, Deön. Pourquoi t’es-tu caché tout ce temps ?

 – Alors, tout d’abord, je ne me suis pas caché, je suis rentré chez moi. – Deön commença à marcher vers le centre de la pièce, montant l’estrade de la table à manger – Ensuite, il fallait que je m’entretienne en toute tranquillité avec Vaä car…

 – Il est ici ?! coupa Lonka. Je suis sûr de l’avoir vu lors de la cérémonie à Mannfratt. 

 Deön attendit, figé, qu’elle achève sa phrase. Les deux miliciens, qui n’étaient pas au courant de ce détail, lui jetèrent un regard circonspect.

 – ...Car la situation est très, très préoccupante, reprit-il en appuyant chaque mot. 

 – Hein ? Qu’est-ce que tu racontes, on vient de gagner ! rétorqua Gojïn. Tous les survivants avazen sont derrière les barreaux maintenant.

 – Gagner ? On a tué le fils d’un seigneur de guerre et on a annihilé l’avancée d’un autre seigneur de guerre. Qu’est-ce que vous pensez qu’il va se passer ?

 Le silence et la stupeur s’installèrent. Deön se racla la gorge et reprit :

 – Vaä est venu pour me transmettre plusieurs messages. Au passage, si vous vous demandiez, c’est bien lui qui m’a sculpté un nouveau bras : un bon travail en surface, mais ça pêche encore dans la finition... – Sous sa cape, l’Oiseau du tonnerre tentait encore de bouger ses autres doigts, en vain – Depuis, il est parti en direction des bastions d’Avaloz pour négocier une protection totale de Suän Or. Cependant, Avaloz est surtout préoccupée par les mouvements de Kommogus et, même si sa Croisade a échoué, ce dernier semble bien plus intéressé par d’autres conquêtes que les mers du sud.

 – Qu’est-ce qu’il va se passer, du coup ? demanda Bojän, plus perplexe que perturbé après ces premières explications. 

 – Suän Or prend la direction d’une terre portuaire. Les Ducs se sont rendus compte qu’après autant d’inactivité, le Navire-Monde manque de carburant et risque de stagner à nouveau. Avaloz enverra sûrement des navires pour sécuriser son amarrage et à ce moment, on en saura déjà plus. Enfin bref, ce n’est pas tout... – Le Jugger se tourna vers Lonka – Vaä m’a donné une information qui te réjouira peut-être : ton père est en vie. 

 La fille-méduse écarquilla grand les yeux. Ses mains se mirent à trembler.

 – Mon père ?!

 – Vaä s’est rendu sur Nygönta et en parcourant les forêts du nord-est, à la recherche du berceau dont tu lui as parlé, il a secouru un homme nommé Jennän. C’est bien ton père ?

 « Oui… », dit-elle d’une petite voix étouffée par les larmes jaillissantes. Bojän et Gojïn se rapprochèrent d’elle pour la soutenir.

 – Ton père est en vie, et ton frère aussi.

 – Quoi ?!

 – Vaä a rencontré Jorïs.

 – Décidément, s’esclaffa Gojïn.

 – Il est où ?! éructa Lonka.

 – Il était sur l’arche qui dirigeait la Croisade. Vaä l’a aidé à fuir, cependant, il n’a pas retrouvé sa trace, par la suite.

 – Mais comment ça ?! Pourquoi ?

 – Il devait mettre fin à la folie du Larj, ce qu’il a fait. Jorïs était avec un autre garçon et Vaä pense qu’ils ont pris un croiseur pour fuir. Il a cherché parmi les épaves jonchant la route vers l’ancienne position de Suän Or, pour en conclure qu’ils ont pris une autre direction. Je n’en sais pas plus. Jorïs est en vie, mais il a pris le grand large.

 Lonka porta la main à sa poitrine. Son cœur battait à lui en faire mal. Toutes ses réflexions des dernières nuits se brisèrent pour former une réponse évidente :

 – Je dois le retrouver. Je dois retrouver mon frère et, ensemble, on va rentrer sur Nygönta.

 – Et comment tu comptes faire ? demanda Deön, stoïque.

 Lonka s’effondra, rattrapée par les deux miliciens. « Aidez-moi », répondit-elle, implorant dans un sanglot.

 – Tu veux dire, « entraînez-moi » ? Parfait, c’est ce que je comptais faire.

 Devant le regard aussi larmoyant qu’abasourdi de la fille-méduse, Deön releva la partie gauche de sa cape, révélant un juggerha à sa ceinture. « Tu te rappelles de ça ? », Lonka renifla et acquiesça d’un hochement de tête.

 – D’ici à ce qu’on accoste sur Nygdai, tu vas apprendre à maîtriser la chasse et la voltige. Après, il sera temps de prendre le grand large et de retrouver ton frère.

 – Aaaah, je viens de comprendre, interféra Gojïn dans une mine d’extase (qui présageait la bêtise). En fait, on va partir de Suän Or et vivre plein de merveilleuses aventures. Je vais devenir un grand milicien d’Avaloz et nous allons vaincre l’Empire Avazen, c’est ça ?

 Bojän et Deön lui jetèrent un regard entre l’abattement et le mépris. Les genoux tremblants, la tête basse, Lonka s’esclaffa nerveusement.

 – C’est… c’est quoi le « grand large » ? demanda-t-elle, penaude.

 – C’est la Terre Bleue, Lonka, répondit Bojän dans un sourire réconfortant. La Terre Bleue t’attend.

***

 L’Orr Ozfazi n’était plus qu’un doux mirage. Le colosse enflammé venait de se coucher et le premier colosse blanc s’élevait sur une Terre Bleue à la nappe ténébreuse. « Je te jure, je ne comprends pas. », dit Blekk pour la cinquième fois en inspectant les flots depuis les bordures du croiseur. 

Qui plus est, malgré les vents forts, la couche maritime était bien trop plate pour ses yeux.

 Jorïs balada son regard à l’horizon. Des lueurs rouges s’intensifiaient pour la troisième nuit déjà. Étrangement, il n’avait pas peur. Le croiseur manquait de provisions et son ami, malgré une énergie débordante en apparence, souffrait toujours de ses blessures. 

Perdu dans l’entendu infini de ce monde qu’il ne connaissait pas, il avait l’impression d’être suspendu dans le temps.

 Qu’ils étaient loin ces jours où, avec sa sœur, il fuyait les monstres du donjon et les terribles barbares. Ces jours où il croupissait dans les geôles avazen, réduit en esclavage les soirs de beuverie. Avec Blekk, il avait réussi à fuir ce sort abominable, mais pour quel destin ?

 – Dis-moi, tu sais où on se dirige ? demanda-t-il, hagard.

 – On prend la direction du nord, répondit Blekk en se tournant vers lui.

 – Qu’est-ce qu’il y a au nord ?

 – Si je ne me trompe pas, on devrait tomber sur des lignes de caravelles marchandes qui naviguent vers les Navires-Monde d’Avaloz. Là-bas, nous serons sauvés ! exulta le Bouseux.

 Vite rattrapé par l’inquiétude, il marcha d’un pas vif vers les cases du croiseur. « Je monte aux commandes, si j’arrive à activer ce cryptoradar on en saura plus sur ce qui grouille en dessous », exposa-t-il en passant à côté de Jorïs. En dessous… oui, il y a sûrement quelque chose en dessous… pensa ce dernier.

***

 Il n’y avait personne à vingt lieues à la ronde. Du moins aucun navire qui présageait la présence d’êtres humains, mais le petit croiseur qui remontait cet océan de vide et de ténèbres n’était pas seul. 

En dessous, mille yeux rouges l’éclairaient vers sa destination, surveillant avec intérêt un des garçons à bord.

À suivre dans...

Terre 0.2

-

Les Conquérants Avazen

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