Chapitre 5
L’orage hurlait. Je remontai les escaliers en direction du pont principal où des cris intempestifs s’ébruitaient. Je voyais les éclairs fissurer le ciel de feu. Une pluie incessante foudroyait le Gerrego. C’était l’apocalypse. Arrivé au centre du pont principal, je ne pouvais plus bouger, mon corps refusait de m’obéir. C’était comme-ci j’avais marché sur une coulée de béton qui s’était durci automatiquement. Je me retrouvais seul survivant au centre des flammes sur ces planches de bois calcinés. Des cadavres jonchaient le sol. Aucun d’entre eux n’était entier : il leur manquait des bras, des jambes et surtout, ils ne possédaient plus de visages. Je m’efforçai de crier, mais mes cordes vocales se révoltèrent contre moi en m’empêchant de balbutier des injures. Soudain, Hitch apparut devant mes yeux avec une tête ensanglantée et, sans même m’apercevoir, il embarqua dans une chaloupe pour s’enfuir. Il nous abandonnait au cœur de ce massacre. Massacre que je ne comprenais assurément pas.
Un tentacule surgit inopinément des profondeurs de l’océan et attrapa Hitch en le compressant telle une orange dont on extirpe le jus. Mon corps s’abstenait toujours de se mouvoir.
Une tête jaillit de l’eau, la gueule ouverte, et engloba la chaloupe ainsi que le capitaine. Ce démon de la mer s’apparentait à une énorme méduse ou à un poulpe géant. Mon cœur se mit à tambouriner tellement fort que des gouttes de sueurs perlèrent le long de mes joues, provoquées par une peur démentielle. L’odeur du sang remplaça doucement l’air marin, noyant ainsi le peu d’espoir qui s’accrochait encore à moi. La bête grogna, puis me fixa de son unique œil valide. L’autre avait dû être perforé à la suite d’un combat. Celui de Hitch, j’en étais convaincu. Le monstre revenait pour se venger. Je priais une dernière fois tandis que le Luminas se précipitait vers moi, la gueule ouverte, de son dernier œil malfaisant.
— Adam !
J’ouvris les yeux. Théo m’observait de ses deux yeux marron globuleux. Fred se trouvait là, lui aussi. En réalité, toute la classe formait un cercle autour de mon lit.
— Tu poussais des cris mon pote, laisse tomber, t’aurais pu rivaliser avec une mouette ! blagua le petit rigolo de la bande appelé Gaston.
Tous s’esclaffèrent après cette stupide boutade qui détendit l’atmosphère.
— Désolé les gars, je devais cauchemarder. Je ne me rappelle pas trop de ce dont je rêvais, mais ça a dû me faire flipper.
C’était faux, je me rappelais de tout : chaque détail, chaque seconde. Je n’osais pas leur raconter par peur qu’ils se moquent de moi. Après tout, j’ignorais tout d’eux.
— Tu nous as fait peur, souffla Fred, on a cru que tu avais une attaque.
Je réalisais brusquement que Hitch avait embarqué John et Fred lorsqu’ils s’étaient battus. Je lui demandai subitement en me redressant :
— Depuis quand es-tu revenu Fred ? T’as pas eu de soucis avec Hitch quand même ?
— Non, ne t’inquiète pas. Il écoutait à la porte quand j’ai frappé John. Il savait très bien que c’était lui qui avait commencé. Justement, il venait nous féliciter pour nos bons comportements d’hier. Ça a un peu loupé, me sourit-il.
— Où est passé John du coup ?
J’étais satisfait qu’il soit remis à sa place celui-là. Mais une petite voix intérieure m’affirmait de ne pas lui en vouloir.
— Je ne sais pas. Quand je suis redescendu, il était resté avec le capitaine.
Je regardai l’heure inscrite sur ma montre digitale accrochée à mon poignet gauche : sept heures moins le quart ! J’écarquillai les yeux en me frottant l’arrière du crâne.
— Désole de vous avoir réveillé si tôt les gars.
— Bah ce n’est pas grave. Tu sais, il suffit que Hitch nous appelle plus tôt et…
Steven, un élève à la peau basanée et une barbe naissante, n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Hitch venait d’entrer bruyamment dans le dortoir.
— Levez-vous fainéants !
Il ravala ses paroles lorsqu’il comprit que nous étions déjà tous debout. Il nous examina d’un sourire forcé :
— Vous lisez dans mes pensées les jeunes. Quoi qu’il en soit, venez-vous entraîner pour votre première mission. Vous avez dix minutes pour finir de vous préparer.
Sur ces paroles, il balaya la pièce d’un regard concentré et remonta les escaliers pour sortir de la cale. Je le trouvais plus sévère dans ses propos et moins agréable qu’hier. Une chose se confirmait néanmoins ; l’année allait être rude et elle venait à peine de débuter.
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