Chapitre 8
Nous nous écroulâmes sur le sable mouillé. Les muscles endoloris et contractés, je reprenais mon souffle. Après quelques minutes de repos, Théo, David et moi, tirâmes la petite chaloupe pour l’amener sur la plage. Nous étions sauvés des Luminas mais, sur cette île, nous n’étions pas à l’égard d’un quelconque danger. Bien qu’elle soit relativement petite, une forêt dense et immortelle régnait en son cœur. L’air marin engouffrait nos narines, mélangées à une odeur boisée consistante. Tandis que nous analysions notre nouvelle maison pour les prochains jours et semaines, John reprit ses esprits et se réveilla.
— Ah, ma tête, gémit-il.
Je me tournai dans sa direction et m’accroupis près de lui.
— C’est bon, on t’a sauvé, tu es en sécurité avec nous.
Il me dévisagea en levant un sourcil.
— Toi ? Tu m’as sauvé après tout ce que je t’ai dit ?
— Écoute, avant d’être un salopard, tu es un homme, un compagnon. On est tous dans la même galère et on doit se serrer les coudes.
Je montrai le groupe que nous étions, puis repris en soupirant.
— Voilà ce qu’il reste de l’équipage du Gerrego…
— C’est tout ? s’ébahit-il. La dernière chose dont je me rappelle, c’est un gros choc au niveau de la coque et l’eau qui montait.
— Juste après ça, Théo et moi t’avons secouru.
— Et Hitch dans tout ça ? demanda John en crachant presque son nom.
— Il est mort, emporté par un Luminas. Georges également. Je ne veux pas le défendre, car il a été d’une pitié sans pareille, mais il était atteint d’une double personnalité. Il a oublié de prendre ses médicaments hier soir, quand vous vous êtes prit la tête. Son comportement agressif venait de là…
— Je comprends mieux, dit John sans émotion. Mes sentiments envers lui, même mort, ne changeront pas pour autant.
— Ce n’est pas grave, le principal c’est que tout le monde soit vivant.
— Tout le monde, c’est un bien grand mot, me corrigea David, les larmes aux yeux.
— Et que fait-on maintenant ? demanda Thierry qui parlait pour la première fois.
— On survit ! répondis-je avec hargne.
Après avoir récupéré un peu d’énergie supplémentaire, j’explorai, en compagnie de Théo, les bois en quête d’un abri ou un endroit adéquat habitable, le temps que nous trouvions une solution pour sortir de cette prison cylindrique et pleine de vie.
Thierry, David et John faisaient plus amples connaissances et cherchaient de quoi manger.
Nous étions cinq adolescents perdus en haute mer, entourés par des monstres marins féroces et irascibles, que demander de plus ?
Nous devions trouver une solution. On aurait pu continuer notre route et voguer sur les mers. Mais si ces Luminas ne nous auraient pas attaqués, d’autres auraient fini le travail. Nous n’avions plus qu’à survivre sur cette île en attendant de savoir comment repousser les créatures, les détruire ou même les faire fuir. Nous ne savions pas combien de ces spécimens vivaient dans un périmètre défini : une vingtaine dans un rayon de dix kilomètres, peut-être plus. Rien n’était sûr, mais tout s’envisageait.
Nous étions totalement voués à nous même.
Au bout de quelques heures interminables, nous trouvâmes enfin un coin plutôt paradisiaque par rapport aux conditions dans lesquelles nous nous trouvions. C’était une petite grotte, assez grande pour cinq, enfoncée dans la pierre et surmontée d’une verdure impressionnante. Une cascade d’eau naturelle chutait à deux pas de nous, ce qui provoquait des bruits relaxants.
Thierry, David et John avaient bien sympathisé et déniché des fruits comestibles communs : pommes, bananes et myrtilles.
Oui, cette île recelait de mystères. Au-delà d’une image rassurante et conviviale, cet endroit cachait un secret des plus inquiétants. Comment en étais-je si sûr ?
Les cris perçants de la nuit obscure nous réveillèrent lors de la première journée passée sur cette île de malheur. Le secret venait d’être réveillé, et nous également. Le sommeil se transformait en un ami que nous allions devoir utiliser avec parcimonie pour ne pas être surpris de ce qui pourrait advenir de notre groupe. Une course effrénée venait de débuter. La course pour notre survie et une échappatoire incertaine.
Tout s’était déroulé si vite…
— Courrez ! Ne vous arrêtez pas ! criai-je au travers des arbres ombragés.
Nous avalâmes plusieurs foulées en une seule enjambée. Les gémissements qui provenaient de l’arrière n’étaient tout bonnement pas humains. La créature paraissait poindre d’un autre temps. Les mètres qui nous séparaient d’elle se resserraient. Nous nous tenions en file indienne, galopant tels des étalons en proie à un destin tragique. Ah ! Si seulement…
Nous aurions dû choisir un autre coin pour dormir. Ce fut au moment où je vis deux yeux jaunes éclatants dans les buissons que l’anxiété avait triomphé sur la plénitude. La célèbre phrase : « Lève-toi et marche » ne fonctionnait pas dans ce cas-là. C’était plutôt quelque chose comme : « Lève-toi et cours pour ta vie ! ».
En une fraction de secondes, nous avions fugué du piège tendu par cette chose. Nous fuyions un passé dramatique et un futur alarmant. La vérité semblait se rapprocher à une vitesse impressionnante. Le vent me brûlait les poumons et les branches écorchaient les traits de mon visage fatigué.
— Il nous rattrape les gars ! s’époumona John.
— C’est quoi cette chose ! hurla David.
Je ne pouvais tourner la tête vers eux pour leur répondre car la mort nous poursuivait. Tous les gestes se calculaient et aucun ne devait nous faire perdre de temps. À chaque seconde perdue pour des mouvements futiles, le monstre gagnait quelques précieux centimètres.
— Je ne sais pas, mais il faut économiser notre souffle !
Je savais pertinemment que la créature nous rattraperait. De plus, nous ne pouvions nous enfuir éternellement. Réfléchit Adam, réfléchit… Je sais !
— J’ai une idée les gars, on devrait essayer de grimper dans un arbre. Avec un peu de chance, l’animal ne pourra pas nous rejoindre !
Ils acquiescèrent, délibérément obligés de suivre mon idée pour ne pas s’épuiser et ralentir. Chacun accrocha un arbre et grimpa le plus haut possible. Mes tympans hurlaient et mes poumons explosaient, suivis par la peur qui me saisissait.
Dans le faible éclat de lumière qui provenait de la lune, amorti par de la verdure massive, nous pouvions distinguer une bête, aux crocs acérés et des yeux jaunes perçants, qui s’immobilisait. La fourrure grise et épaisse qui l’entourait s’apparentait à celle d’un loup. La chose renifla et leva sa tête vers le ciel. Mon pouls s’accéléra au rythme de la branche qui cédait sous des légers craquements. Branche sur laquelle je me trouvais !
La créature me fixa sans effectuer le moindre assaut. Elle ne devait pas me voir, ni même me sentir. Ses sens n’étaient probablement pas suffisamment développés pour me discerner dans la pénombre de la forêt, et heureusement.
En quelques gestes, elle se retrouva dos à mon arbre, mais face à celui sur lequel se cachait Thierry. Lui, contrairement à moi, s’exposait à la lumière de la lune. La créature grogna et trottina vers le tronc. Je vis mon compagnon s’agiter dans tous les sens. Il avait peur et nous aussi. Je me mis soudainement à trembler comme une feuille. Mon poing se serra de terreur sur la branche toujours en train de se craqueler. Le monstre, arrivé au niveau du tronc de l’arbre où se dissimulait Thierry, se cramponna dessus et, à la manière d’un chat, il l’escalada pour atteindre sa proie.
Dans quelques secondes il allait être dévoré. Aussitôt, je pris tout le courage qu’il me restait et criai :
— Eh l’affreux, vient par ici !
Je descendis de l’arbre en glissant tout du long, m’écorchant les mains au passage sur l’écorce ancienne. Je cavalai dans l’intimité de la forêt. La bête fit de même en portant sur moi un regard incendiaire. Les autres ne pouvaient m’appeler sous peine de se retrouver avec un énorme loup à leurs trousses. Je devais réfléchir à un moyen de le semer.
J’entendais les feulements intarissables du monstre, fou de rage, se propager en se rapprochant un peu plus de moi à chaque saut. La course contre la montre était lancée et si mon cœur lâchait, la mort me rattraperait et mon corps serait emporté dans une souffrance atroce. Je ressentais les pulsations de mon cœur battre à plein régime tant la fatigue fut grande.
Au bout d’une minute, qui me parut une éternité, j’accourrai sur un sentier dessiné par de nombreux arbres et une cime rocheuse impressionnante. Le piège se refermait sur moi en même temps que mes poumons qui se gonflaient difficilement. Un frisson parcourut mon échine lorsque j’arrivai au bout du chemin, décuplant ainsi un sentiment de tristesse causé par une issue prédéterminée, mais également un sentiment de joie en pensant à mes amis, sauvés grâce à moi. J’espérais seulement que ce temps alloué allait jouer en leur faveur.
En me retournant au bout du couloir boisé aboutit par d’énormes rochers, je vis la chose à quelques mètres de moi, prête à me bondir dessus. Ses crocs jaunes ressortaient de ses babines. De la bave dégoulinait le long de sa gueule. Elle grognait terriblement. Je fermai les yeux en tentant d’imaginer mon corps, emporté délicatement par l’air marin embaumant mon âme d’une brise pure.
Une sorte d’explosion retentit brusquement toute proche de moi, ce qui eut pour effet de m’extraire de mes rêveries. Mon esprit tournoya et ordonna à mes paupières de se soulever pour voir, puis comprendre, que la bête gisait dans une mare de sang sur le sol terreux, tuée par une balle dans la poitrine.
Je fus aveuglé par une source lumineuse blanche qui venait de ma gauche. Je déplaçai doucement ma tête dans la direction de l’éclat étincelant et sursautai en comprenant qu’un homme, plutôt vieux, me menaçait d’une arme à feu en me pointant méchamment de sa lampe torche grise.
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