J'entre en maturation

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« Est-ce dont ça, monsieur, l’angoisse de la page blanche ? S’enfermer dans cette idée qu’il vous faut écrire sinon rien, ce désir si ardent de plonger dans le sens des mots qu’eux même vous encense ? Cette incapacité à formuler le flot d’idées qui arrive par vague, comme le va et vient de la mer, une claque puissante et rapide. Est-ce ça l’interminable attente, vous réduire à compter les secondes et imaginer la douceur de l’encre sur une feuille ? Parcourir les grains de papier et y tracer des restes de vie, ou des traits d’impatience ? J’essayais de dormir. Cela fait plusieurs jours que je suis comme paralysée, sur ma chaise, devant le clavier de mon ordi. J’essayais de dormir et les mots m’en empêchent monsieur. Mes nuits sont envahies, je ne puis même plus rêver, ou attendre que les lettres s’enfilent. »


                                                                           ***


Il était assis et écoutait sagement, un homme aux allures de chasseur. J’étais arrivée là comme par enchantement, sans réfléchir à ma destination.  J’avais soudain le sentiment d’être nue, mais terrorisée à l’idée de ce manuscrit stérile sur lequel rien ne bougeait depuis des mois, je n’avais plus rien à perdre. J’avais couru, en plein milieu de la nuit, fuir mon échec, il fallait que je m’évade. Le vieux monsieur s’était trouvé là, lui aussi, assis sur le banc, autour de la fontaine en forme de sapin. L’air était frais, comme une rosée gelée, j’avalais une gorgée d’oxygène, et repris :

- Je n’ai pas écrit depuis des jours, c’est comme si je ne savais plus comment faire, mais vous vous rendez compte ? Que dis-je.. ? Monsieur, chaque nuit, ça me prend à la gorge comme une angine virale ou une indigestion parfois. J’ai envie de dégueuler quand je n’écris pas monsieur.

J’étais nue, totalement, m’allégeant de mes couches superflues de mensonges et de contrefaçon, il écoutait sans aucune expression, le regard dans le lointain, sans prendre note de ce que je lui disais. J’avais le sentiment d’être folle ou alors pour une fois, bien lucide, mais son silence donnait à mon discours des airs de bipolaire qui pense à haute voix :

- Monsieur, je ne sais plus quand je rêve et quand je dors, parfois je mélange mes songes à mes textes, je reste dans le noir pendant des heures, j’en oublie même de manger, j’accroche des notes aux murs pour ne pas oublier de sortir, au moins une fois par jour, ne pas sombrer dans l’oubli monsieur, voilà notre plus grand dilemme.

Mes pensées s’évadèrent, comme si j’avais perdu le fil de mon monologue. Le silence de l’hiver, quelques lampadaires allumés, le reflet de la lumière dans l’eau, je remarquai soudain les guirlandes accrochées au platane. C’était Noël ou le mois des retrouvailles. Ma gorge se resserra, un étau qui se referme, je repris la parole avant que des larmes ne transforment mon visage en statut de la glace :

- Monsieur, c’est fou comme le hasard est fait, il est 04h ce matin, je me suis enfuie de chez moi parce que je disjonctais, et vous êtes là. Ce n’est pas que le hasard, monsieur, c’est peut être que je dois vous le dire à vous. Je n’arrive pas à écrire cette histoire, je n’arrive ni à la commencer ni à la finir, j’en raconte quelques bribes, mais je n’arrive ni à l’inventer ni à l’imaginer, et je reste coincée des heures. Mes personnages n’ont aucune substance, pas d’existence, je ne sais même pas quels noms leur donner, la plupart des gens dont je parle sont morts, qui voudrait l’entendre ça, monsieur ? Parler de morts dans un monde où tout se mélange entre sexe et tuerie, je ne sais même plus qui sont les morts, qui sont les vivants, monsieur. J’ai débuté mon histoire en parlant de ma mère, faute de frappe, erreurs de syntaxe probablement, et je suis restée coincée depuis, monsieur, entre échec et fierté, je n’ai pas su placer les mots. Monsieur, si vous aviez connu ma mère, vous en seriez tombé amoureux, ou tout le contraire. C’était une femme fatiguée. Comme moi maintenant. Je crois que je vais rentrer monsieur, il se fait tard, et puis j’ai le souci de vous importuner, vous ne m’avez pas coupé monsieur, m’avez-vous écouté ? 


Les lumières s’allumaient sur la ville, et on sentait une odeur de soleil qui se lève. J’avais la goutte au nez, le monsieur était habillé d’une sorte de blouson en velours, il avait autour du cou une écharpe à carreaux, couleur moutarde. Il sortit de son manteau un vieux paquet de gitane. Il alluma une cigarette et tira dessus comme une dernière goutte d’espoir. Je me senti d’un coup, de trop, ne sachant si je devais parler ou bien partir. Il me tendit son paquet, j’attrapai moi aussi une clope, l’enfourna dans ma bouche avant d’avancer :

-Vous êtes bien aimable, on ne rencontre plus beaucoup de gens comme vous. Je fume celle-là, et je rentre chez moi monsieur, je crois que vous m’avez aidé, je crois que votre visage m’a donné envie d’écrire autre chose. Je crois aux rencontres soudaines et inopportunes, des croisements parallèles pour le chaos de nos vies, des ficelles qui se tirent, et des existences qui se choquent, comme des poings serrés pendant un combat de boxe. 


Je tire une dernière fois sur la clope dégueulasse que je viens de finir, je l’ai tellement pincé que le bout de mes doigts est devenu marron, je l’écrase avec le talon de ma chaussure en me levant.
- Monsieur, j’habite à deux rues, et je rentre me coucher, mais je dois vous dire merci, vous m’avez peut être sauvé la vie cette nuit. Je ne sais pas ce que vous faisiez là vous, une insomnie ?
Je laisse planer le doute de sa réponse, et reprend presque aussitôt : 

- J’espère vous revoir monsieur, vous devez me trouver bizarre, je pourrais me trouver toutes les excuses du monde, mais vous parler, m’a libéré. Je crois que je vais pouvoir dormir.

 

Le vieil homme se lève, me regarde sans dire mot, fait un signe de la tête, se retourne et s’en va. Je le regarde marcher jusqu’au croisement de la rue. Il est temps. J'observe autour de moi, les rues sont désertes. La scène est fantastique, comme la prise de vue d'un film de fin du monde. Sur le sol, le scintillement de la gelée, le soleil se lève. Je me tiens droite, debout sur le trottoir, les yeux fermés à l’écoute des bruits du matin, le chant des moineaux pour annoncer la journée. Je regarde au loin, derrière les plaines, le soleil amène avec lui des couleurs d’automne, un voile orangé transpercé par des nuages en fuite. Le ciel est plongé dans des nuances de pourpre, il est 6h ce matin. Je retourne me coucher.

 

 

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