Bien après les jours et les saisons, et les êtres et les pays,
Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques ; (elles n’existent pas.)
Remis des vieilles fanfares d’héroïsme - qui nous attaquent encore le cœur et la tête - loin des anciens assassins -
Oh ! Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques ; (elles n’existent pas.)
Douceurs !
Les brasiers, pleuvant aux rafales de givre, - Douceurs ! - les feux à la pluie du vent de diamants jetée par le cœur terrestre éternellement carbonisé pour nous.
- O monde ! -
(Loin des vieilles retraites et des vieilles flammes, qu’on entend, qu’on sent,)
Les brasiers et les écumes. La musique, virement des gouffres et choc des glaçons aux astres.
O Douceurs, ô monde, ô musique ! Et là, les formes, les sueurs, les chevelures et les yeux, flottant. Et les larmes blanches, bouillantes, - ô douceurs ! - et la voix féminine arrivée au fond des volcans et des grottes arctiques.
Le pavillon…

Barbare – Les Illuminations – Arthur Rimbaud

    Dès que je mis un pied dans la salle, une multitude de petites bougies s’allumèrent, m’arrachant un cri de surprise. Et puis, je me souvins.

    Ma mère avait imposé cet éclairage étrange, il y a longtemps, à la construction de Thémis. Elle disait que c’était sa façon à elle de ne pas tout oublier du Passé. Dans la cité entière, et en particulier dans le château, ces petits lampions illuminaient chaque pièce.

    J’en soufflai la plupart pour ne pas trahir ma présence.     Personne ne me savait vivante. Et personne ne devait le savoir, tant que je n’aurai pas décrypté tout ce qu’il s’était passé. Comprendre les erreurs de ma mère, pour ne pas les reproduire. Alors, seulement, je pourrai assumer mes fonctions.

    Tout le monde était à ma recherche. Pas moi en tant que personne, mais en tant qu’héritière. Héritière du Nouveau Monde.

    Allez Ness, active-toi un peu ! Je passai plus d’une heure à fouiller partout. Il y avait de tout. Des livres sur Avant, quelques uns sur aujourd’hui. Mais ce que je cherchais se trouvait dans l’aile dite de la Mémoire. Des milliers de témoignages étaient consignés dans cette immense partie. Beaucoup de personnes avaient voulu laisser une trace. Rendre des comptes pour les futures générations. Mais les Leurs, les écrits de ceux qui entouraient ma mère, devaient être gardés précieusement.

    Au bout  de plusieurs heures, je mis la main sur un énorme coffre en bois, caché dans le double-fond d’une vieille armoire.

    Ils étaient là. Tous. Enfin, tous ceux qui avaient été conservés, me tempérai-je. Je savais que beaucoup de ce qui avait été écrit avait pu se perdre avec le temps.

    Les noms s’étalaient sous mes yeux. La plupart m’étaient connus, soit parce que je les avais fréquentés, toute petite, soit parce qu’on m’en avait parlé. Mon esprit fourmillait des bribes de souvenirs qu’il me restait de mon enfance. Leurs visages apparaissaient, fantomatiques, devant mes yeux.

    Les premiers livres que je feuilletai remontaient à trop loin : les deux premiers volumes des carnets de Kami. Je ne voulais pas de ça. Encore un, d’une fille dont je ne me souvenais pas, puis deux d’un ami de ma mère, mort depuis une dizaine d’année. Tous avant la Levée du Voile.

    Je perdais du temps, alors que je n’en avais pas. Calme-toi Ness, tu vas y arriver. Classe-les par auteurs, et chronologiquement. Tu y verras déjà plus clair. Je soufflai bruyamment. C’était vrai, je manquais de rigueur et m’emportais vite, mais pour une fois je devrais me forcer un peu.

    Je m’employai donc à être méthodique et, très vite, une quinzaine de piles se formèrent sur le sol. Une par auteur.

    D’une main tremblante, je fourrai ceux de ma mère dans mon sac en toile. Ceux-ci, je les lirai plus tard.

    Je m’installai le dos contre un mur. La pierre me fit tressaillir tant elle était froide. J’entamai ma lecture sur les premières heures du Nouveau Monde.