VIII.
On voyait la cité de très loin. Elle trônait fièrement au-dessus d’un fleuve carmin. La gigantesque construction en pierres étrangement claires, presque lumineuses, avait visiblement été épargnée par la végétation folle du Nouveau Monde. Nous avions emprunté les chemins de terre et étions tombés sur d’immenses douves sèches qui encerclaient la ville.
Nous dûmes faire pratiquement tout le tour de la cité pour trouver une entrée. Il faisait nuit noire quand nous arrivâmes devant un immense pont-levis. La neige rouge faisait des petits tas çà et là, témoins des efforts pour rendre le passage un peu moins glissant.
Depuis la muraille, un homme nous interpella pour nous demander de partir. Il avait armé son arc et nous visait sans sourciller. Kami leva la manche de son manteau pour découvrir la marque sur son poignet. Le surveillant prit un air contrit et baissa immédiatement son arme. Le don de Syrine nous avait livré les bonnes informations. La cité était détenue par d’autres personnes marquées du pentacle. Et, d’après ce que j’avais compris des conversations de mes deux mentors, ils connaissaient bien l’un d’entre eux.
— Vous savez sûrement qui est Ulome. Nous sommes de vieux amis et souhaitons nous entretenir avec lui.
— Pour sûr, mais nous n’abaissons pas le pont lorsque la nuit est tombée camarade !
— Nous attendrons le matin, alors. Nous monterons un camp non loin et reviendrons aux premières lueurs. Kami embrassa le paysage du regard, à la recherche d’un endroit propice.
— Vos compagnons sont-ils des nôtres également ?
Syrine et moi levâmes les mains pour montrer nos pentacles. La lueur dégagée devait facilement être repérable, même depuis le perchoir du garde. Il se pencha un peu dans le vide et montra Anna d’un signe de tête.
— Et celle-ci ?
— Elle n’est pas marquée, mais nous accompagne.
— Aucun non-marqué ne passe ce pont, désolé. Pas d’exception, ce sont les ordres. Un village de non-marqués est à un jour de marche d’ici. Qu’elle aille retrouver ses semblables.
Kami allait protester quand un mouvement en contrebas attira notre attention. De là où il était, le garde de la cité ne pouvait pas apercevoir l’étonnant spectacle qui s’offrait à nous. Des pentacles lumineux étaient apparus dans l’obscurité. Des dizaines, de toutes les couleurs, ainsi que des feux de camps autour desquelles des silhouettes s’affairaient.
Je levai les yeux vers la muraille. L’homme en faction nous observait placidement, et ses collègues poursuivaient leurs rondes sans esquisser un seul mouvement.
— Merci pour l’information l’ami. Nous allons voir ça.
La nuit, évaluer les distances devient particulièrement complexe. Surtout lorsque notre poste d’observation est surélevé. Ces dizaines de pentacles nous avaient paru proches. Il s’avérait qu’ils étaient à plusieurs centaines de mètres en contrebas.
Un énorme pont en pierre enjambait le fleuve de sang. Sous cette construction, des feux avaient été allumés, des tentes de fortunes étaient dressées et un discret brouhaha s’élevait par intermittence jusqu’à nos oreilles. Je regardai derrière moi. Malgré sa situation privilégiée, la muraille n’offrait que peu de visibilité sur ce campement surprenant. Le viaduc masquait les réfugiés à presque tous les gardes qui circulaient sur la muraille.
Kami sauta à terre et attacha sa monture à un arbre. Nous l’imitâmes sans un mot. Des hommes chantaient au bord de l’eau et une femme jonglait avec des objets enflammés à quelques mètres d’eux. Le spectacle était étonnant. Qu’est-ce que tout cela pouvait bien signifier ?
La jongleuse se tourna vers nous et échappa ses balles enflammées dans l’eau. Elle fit un pas hésitant vers nous, un deuxième, puis s’élança.
— Syrine ! Kami !
La petite rousse s’écrasa avec dynamisme dans les bras de Syrine. Les deux femmes se mirent à parler fort et vite et, malgré mon bon niveau de français, je ne compris que quelques mots. Je n’y avais pas pensé jusque là, mais la télépathie allait sûrement m’être d’un grand secours dans ce pays étranger.
La jeune fille portait une jupe brune, très courte, attachée par des bretelles blanches, un débardeur beige, et des bottes marron. Je regardai autour de nous, la neige recouvrait le sol ici aussi. Évidemment. Cette fille ne devait vraiment pas être frileuse pour s’habiller de la sorte.
Elle tourna ses yeux verts vers moi, une mèche se détachant de ses cheveux relevés sur son crâne en un palmier éclaté. J’espérais que mes pensées ne m’avaient pas échappé, une fois de plus.
— On ne se connaît pas je crois.
— Ho oui Ogora ! Voici Tiass et Anna. Vous deux, voici Ogora. Une très chère amie, membre du Domaine Occulte. Enfin, lorsqu’il existait encore.
Je baissai les yeux en lui serrant la main. Ses mitaines en cuir laissaient à peine entrevoir le pentacle rougeoyant sur son poignet. Elle se rapprocha de moi, son parfum délicieux envahit mes narines. Un doux mélange d’orchidée et de jasmin.
— Et bien ? Tu as perdu ta langue ? » Je me sentis rougir. Elle détourna ses yeux taquins. Je soufflai. « Raven sera si heureux de vous retrouver. Il savait que vous étiez en chemin. Il vous a vu dans ses visions. Il s’est passé tant de choses depuis votre départ. Nous allons avoir tellement à vous raconter… Et puis, vous arrivez juste au bon moment. Ce n’est sûrement pas une coïncidence.
— Au bon moment pour quoi ? demanda Kami.
— Pour attaquer la cité des Sorciers !
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