3ème Partie : Le Treizième Peuple

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Les Fruits de la Pénitence – Livre I – Gi

 

I.

 

    Un peu de terre se détacha et tomba dans mes cheveux. La poussière tourbillonnait au-dessus de moi, dans un balai d’ombres et de lumières. Qui aurait pu imaginer que ma petite cellule faisait partie d’une telle immensité ? J’entendais des pas résonner dans le couloir. Un son familier qui me faisait toujours penser au martèlement des bottes de soldats quelconques.

    La flamme de la bougie vacilla un peu, masquant une fraction de seconde la page sur laquelle j’écrivais. Ma vie ici ressemblait à celle d’un moine. Je ne parlais à personne. Je ne voyais personne. Je sortais seulement pour me nourrir. Pourtant, il n’y avait rien de saint ou de pieux dans mon existence. Certains m’auraient contredit en me rappelant que notre mission était sacrée, qu’Eren était notre guide, et que sa vision méritait tous nos sacrifices. Mais, au fond de moi, je doutais.

 

    Les souterrains étaient un peu humides à mon goût. Pourtant, je devais admettre qu’ils nous offraient une certaine protection. Les créatures qui arpentaient la région étaient terrifiantes. Je m’y étais préparé, mais la réalité était bien plus effrayante que ce que mon esprit avait pu imaginer.

    Lorsque j’ai pu rentrer de Russie, après m’être débarrassé de la fille, Paris n’avait plus le même visage. Cette ville gigantesque avait été désertée, pratiquement détruite, et une jungle monstrueuse l’avait envahie. Seule une partie de la tour Eiffel restait visible et confirmait qu’il s’agissait bien de l’ancienne capitale. Du lierre bleu avait recouvert l’énorme structure métallique, un lierre phosphorescent qui faisait du monument un phare, dans la nuit, aux allures fantomatiques.

    Nous nous étions préparés à la Levée du Voile. Les milliers de galeries qui serpentaient sous la ville avaient été aménagées en conséquence. Notre Organisation avait bien fait les choses. Elle s’était infiltrée partout dans l’Ancien Monde. Administrations, gouvernements, multinationales… Les Descendants d’Eren avaient toute l’influence nécessaire à la surface. Pourtant, notre avenir était souterrain. Nous l’avions su bien à l’avance : la Levée du Voile ferait des ruines de Paris un endroit trop hostile pour les êtres humains survivants.

    De petits bunkers, des cellules au milieu des catacombes, et de vastes salles creusées à même la pierre étaient éparpillés sur plusieurs dizaines de kilomètres carrés et reliés par des tunnels. Notre royaume post-apocalyptique, que nous appelions la Terre Noire.

    J’imaginais que cette polonaise était morte depuis que je l’avais abandonnée là-bas. L’Oural n’était déjà pas un endroit propice à la vie avant la Levée du Voile. J’aurais dû la tuer de mes propres mains, mais j’avais toujours répugné à faire couler le sang. Je n’étais pas fier. Elle avait supplié. Elle m’avait montré son ventre arrondi. L’enfant à venir… Mais je savais quoi faire. Son sort avait assurément été plus horrible que si je lui avais transpercé le cœur d’une de mes flèches.

    L’explosion qui avait suivi l’ouverture de la brèche en Russie avait provoqué le crash de l’hélicoptère dans lequel nous nous trouvions. Marcher jusqu’en France avait été particulièrement pénible. Et devoir le faire avec mon otage m’était rapidement apparu comme impossible. L’objectif était clair : la ramener vivante en Terre Noire ou la tuer.

    J’avais veillé à ce que la grotte où je l’avais laissée soit un tombeau dont elle ne pourrait jamais ressortir. J’avais scellé les issues moi-même par de savants mélanges chimiques, biologiques, et magiques. Je l’avais condamnée à une lente agonie, mourir de faim, de soif, ou peut-être même de froid.

    Comment en étais-je arrivé là ? J’étais devenu l’un des piliers des Descendants d’Eren et, pourtant, mes doutes n’avaient cessé de croître. Je n’étais pas quelqu’un de cruel, au fond. Alors pourquoi mes actes étaient-ils aussi éloignés de ma véritable personnalité ?

    Lorsqu’un recruteur d’Eren nous avait trouvés, mes frères et moi, nous n’avions aucune idée du chemin que nous allions prendre. Shin, Taï et moi. Trois enfants, terrifiés par le vampirisme psychique de Shin et par ses dons prodigieux. Nous avons rejoint l’Ordre faute de mieux et, pendant les premières années, n’avons pas eu à nous plaindre de notre choix. Nous avons étudié la sorcellerie, appris différents arts martiaux, et suivi les préceptes d’Eren.

    Nous avions entendu plusieurs histoires sur les activités des Descendants d’Eren, mais il ne s’agissait que de rumeurs. L’on disait que les Descendants, sur le terrain, avaient pour mission d’éliminer les individus considérés comme des menaces potentielles aux desseins de l’Organisation. Mais cela ne nous avait jamais été confirmé.

    Et puis Sovana est arrivée. Elle était très appréciée par Eren et a obtenu que nous fassions partie de son équipe d’intervention. Notre première mission avait consisté à observer Syrine et à la supprimer. Un échec. Alors, nous l’avons poursuivie à travers plusieurs pays pendant qu’une deuxième cible nous était attribuée en la personne d’Antha.

 

    Je me levai un instant de la chaise en bois pour écouter à la porte. J’avais eu, un instant, l’impression d’entendre des cris. Des créatures s’étaient-elles, une nouvelle fois, engouffrées dans nos souterrains ?

    J’attendis trois longues minutes. Rien. Ma respiration retrouva un rythme normal. Je n’avais pas envie de lutter, à nouveau, contre l’un de ces monstres. Je contournai le petit bureau installé au milieu de la pièce et me réinstallai dans l’inconfort de mon siège.

    En face de moi, le minuscule miroir brisé, accroché au mur, renvoyait mon image déformée. Mes cheveux raides caressaient la base de mon cou et mes yeux noirs, bridés, ne pouvait que me rappeler mon pays d’origine. Mon teint était très pâle. Je n’avais pas vu la lumière du jour depuis un long moment, ce qui me faisait ressembler à un fantôme. Mon arc doré était posé en-dessous du miroir. Une boule se forma dans ma gorge lorsque je posai les yeux sur mon arme. Les souvenirs remontaient à la surface, toujours aussi vivaces.

    Sovana était une sorcière médiocre et ne valait guère mieux en tant qu’être humain. Je parle d’une époque où les marques de la Levée du Voile n’étaient pas encore apparues bien sûr. Je ne la connaissais pas vraiment, mais je voyais toute la rage et la jalousie qui l’animaient. Elle s’était portée volontaire lorsque la tête de Syrine avait été mise à prix.

    Les deux filles avaient été de grandes amies, adolescentes, mais cela n’avait pas tenu. J’ignore ce qu’il s’était passé entre elles, bien que je soupçonne Sovana d’avoir été rongée par l’envie de ressembler à Syrine. L’intelligence de l’une était aussi époustouflante que la bêtise de l’autre était navrante. La virtuosité dans les arts occultes de Syrine ne pouvait que mettre en exergue l’absence de magie naturelle chez Sovana. Et le grand drame de cette dernière était d’avoir conscience de son niveau, affligeant en tout.

    Pendant les longs mois où nous avons observé Syrine, j’ai supporté Sovana, son immaturité et son besoin de prouver sa valeur. La première véritable difficulté dans notre collaboration fut ma rencontre avec Syrine.

    Je l’ai attaquée, sur une plage, et en suis tombé éperdument amoureux. Sovana n’a, je crois, rien remarqué. Mais, en mon for intérieur, je sais que nous n’avons pas pu tuer Syrine parce que je ralentissais nos attaques. Je ne faisais que simuler des tentatives d’assassinat, sans y mettre une once de volonté.

    Petit à petit, j’ai commencé à user de mes dons pour la prévenir de nos assauts, la mettre en garde d’un danger quelconque, ou lui communiquer des informations capitales. Et puis, ensuite, j’ai utilisé ma magie pour passer du temps avec elle, tout simplement. Tant qu’elle l’a bien voulu.

    La seconde difficulté, entre Sovana et moi, survint lorsqu’elle proposa de se servir de la maladie de Shin comme d’une arme. Dans l’Ancien Monde, le vampirisme psychique touchait certaines personnes pratiquant la sorcellerie, souvent quelques temps avant leur mort naturelle. Shin en était atteint depuis notre enfance. C’est un phénomène qui ressemblait de très près à la façon dont se nourrissent les êtres marqués d’une croix sur le torse. Le malade ressentait une faim incontrôlable, une voracité énergétique, et se mettait à ponctionner l’énergie vitale des autres.

    Sovana a poussé les Descendants d’Eren à utiliser Shin, sans prendre en considération le risque mortel qu’il encourait. Mon autre frère, Taï, et moi n’avons rien pu faire. Shin n’a pas survécu aux manigances de Sovana. Mais Taï l’a vengé. Il a assassiné Sovana, se servant d’elle pour ouvrir la brèche en Russie et déclencher la Levée du Voile. Il s’est sacrifié en mémoire de Shin. Et m’a laissé seul.

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