Depuis quelques semaines, Elena étouffe. Elle ne sent plus à sa place à Cruchagne. A part son amitié avec Cunégonde, il n’y a rien de positif pour elle ici. Sa vie de princesse est catastrophique sans parler de sa vie amoureuse et sexuelle. Tous les ragots sur elle ne font que la pousser à partir.

- Partir loin ? Et pourquoi pas ? se dit la jeune femme, allongée sur son lit depuis des heures.

Elle se met alors à chercher une destination où aller souffler, voire y prendre un nouveau départ. Elle ne choisira pas la facilité en allant dans la contrée voisine, le royaume de Montecul, d’autant plus qu’elle pourrait y croiser Lucas et Geoffrey. Le froid des régions du Nord, comme la contrée de Bralmo, lui rappellerait trop ce jour de novembre où elle était tombée amoureuse de Lucas. Quant à la neige, elle renverrait au mariage de Cunégonde où la princesse avait découvert la relation des deux garçons.

- Non, non ! Il me faut de la chaleur, dit-elle à voix haute, en parcourant tous les livres de géographie qu’elle a à portée de main.

Néanmoins, elle change vite d’avis. S’installer dans une région chaude et exotique accentuerait probablement son côté nymphomane. Après des heures de recherches et de pensées en tous genres, elle trouve enfin sa future destination. Elle décide dans un premier temps de partir pour réfléchir, prendre du recul et faire de nouveaux projets. Pour cela, elle a besoin d’un lieu calme, isolé et surtout sans tentations. L’île de Curk, qui ne compte que quelques centaines d’habitants, est le parfait endroit. Ce petit bout de terre, exceptés sa capitale et quelques villages, n’est que nature. Des plages, des vallées, des prairies, des champs, des rivières à perte de vue. De plus, elle se trouve en plein milieu de l’océan. Il n’y a rien autour sur des centaines de kilomètres. C’est le lieu idéal pour se ressourcer.

- C’est décidé, je m’en vais ! s’exclame Elena.

Elle quitte sa chambre, descend les escaliers avec hâte et s’en va trouver ses parents. Elle finit par les trouver dans la grande bibliothèque. Ce n’est pas sans crainte, qu’Elena se présente à eux. Après leur avoir expliquer son souhait de quitter Cruchagne pour une période indéfinie, le roi et la reine restent silencieux pendant plusieurs minutes.

- Dites quelque chose s’il vous plait, dit la princesse en tentant de briser ce silence inconfortable.

- Dieu merci, notre heure n’est pas encore arrivée, mais vous avez tout de même des devoirs et priorités en tant que princesse, répond le roi.

- La priorité, je vous le dis, c’est de partir. Je n’arrive à rien ici. Comprenez-moi. J’ai besoin d’une pause ou de recommencer ma vie ailleurs, réplique la demoiselle avec une voix tremblante qui illustre bien sa peine de vivre à Cruchagne.

Après une longue discussion, la décision est prise. Elena partira bientôt que cela plaise ou non. Elle remonte dans sa chambre et commence immédiatement à préparer ses affaires. Elle ne souhaite pas déménager et tout emporter. Ses vêtements et accessoires, quelques produits d’hygiène et de beauté, quelques objets de loisirs et fétiches ainsi que de l’argent suffiront. Par l’intermédiaire d’un domestique, elle réserve son voyage en bateau.

- Mademoiselle partira dans deux jours, si cela lui convient, dit-il à la princesse.

- Deux jours ? C’est parfait, merci !

Le jour de départ est arrivé. Après s’être promenée dans tout le château, par nostalgie, Elena se rend au hall d’entrée où les valets sont déjà en train de prendre ses bagages.

- Oh ma tendre fille, vous allez tant nous manquer, dit la reine, émue.

- Mère, cessez ! Vous allez me faire pleurer. Mon départ est positif, vous le savez, répond Elena.

Alors qu’elle sort dehors, elle n’est pas surprise de voir Cunégonde et Octave.

- Oh, ma Cucu ! Octave prends en soin ! dit la princesse en les enlaçant.

Elle embrasse également d’autres personnes de sa famille ou qu’elle connait, présentes pour lui dire au revoir. Cependant, elle reste perplexe quand elle aperçoit Lucas et Geoffrey, au loin. Elle va à leur rencontre.

- Bonjour Elena, on m’a prévenu de ton départ. Malgré le fait que tu me détestes probablement, je ne veux pas avoir mauvaise conscience. Voilà pourquoi je suis venu te dire au revoir aujourd’hui, dit Lucas timidement, le regard vers le sol.

- Ce qui est fait est fait. Soyez heureux, répond la jeune femme.

Elle dépose un baiser amical sur la joue de Lucas alors qu’elle n’adresse qu’un simple sourire poli à Geoffrey. Elle jette un œil une dernière fois tout autour d’elle, embrasse ses parents à nouveau et monte à bord du carrosse.

Le véhicule se met en route et la jeune femme se retient de passer la tête par l’ouverture. Une larme discrète coule le long de sa joue. Elle n'est pourtant pas malheureuse, une nouvelle vie l'attend. Une vie qu'elle espère remplie d'aventures toutes aussi intenses que celles qu'elle a vécues ses dernières années au royaume de Cruchagne.

Le voyage prend deux heures et se passe sans difficulté.

- Voilà, mademoiselle ! dit le cocher, en ouvrant la porte du carrosse.

Elena respire avec plaisir l’air marin du port de Méridelle. Elle remercie le cocher qui dépose ses bagages sur le quai puis attend avec impatience l’arrivée du bateau.

Le navire finit par accoster et après quelques minutes, les passagers sont invités à embarquer. Une fois ses affaires rangées dans sa cabine, Elena remonte sur le pont et croise le capitaine.

- La coureuse de remparts sur mon navire ? C’est un mauvais présage ! s’exclame-t-il en riant.

Ni les moqueries des marins, ni le ciel dramatiquement gris, ni le fait qu’elle voyage en bateau pour la première fois ne lui font peur. Le départ est donné et l’embarcation s’éloigne petit à petit. C’est le cœur lourd mélangé à une immense sensation de liberté, qu’Elena voit sa terre natale disparaître. Elle sait qu’elle reviendra un jour.

La traversée se déroule sans soucis malgré la météo qui devient de plus en plus menaçante. La plupart des passagers ont déjà quitté le pont et sont retournés dans leur cabine à cause du vent qui commence à être important. Rapidement il se met à pleuvoir et la mer est dangereusement agitée. Le ciel est sinistre et un orage ne tarde pas à éclater. Le bateau se trouve maintenant à mi-distance entre le port de Méridelle et l’île de Curk. Il n’y a aucun moyen de faire demi-tour.

Le bateau est de moins en moins stable malgré les efforts des marins et du capitaine à tenir le cap. Dans sa cabine, Elena est surprise par un de ses bagages qui se renverse. Elle hésite à monter sur le pont puis reste finalement assise sur sa couchette, un brin inquiète.

- Un homme à la mer ! hurle un marin.

Le navire est désormais pris dans une tempête dont il a des difficultés à en échapper. L’inévitable finit par se produire, le bateau est frappé par un vent violent et des vagues déchaînées. Dans sa cabine, Elena, qui n’arrive plus à se tenir droite, entend les autres passagers hurler de panique. La scène est chaotique. Bientôt l’eau envahit les différents compartiments et la princesse se retrouve trempée jusqu’aux genoux. Elle décide alors de sortir de sa cabine et réalise qu’une bonne partie du navire est déjà sous l’eau. Elle est soudainement poussée par un homme qui tente de survivre en montant sur le pont. La jeune femme prend conscience qu’elle ne verra jamais l’île de Curk. Elle n’envisage même pas de sauver sa peau. Au contraire, elle s’enferme dans sa cabine. L’eau monte à grande vitesse et la princesse est désormais prisonnière.

- Je vais crever sans connaître un dernier orgasme, hurle-t-elle, hystérique. Un nouveau départ ? Mon cul !

Le navire coule en une vingtaine de minutes et emporte la princesse au fond de l’océan. Il n’y a aucun survivant.