Ils ne voleront pas notre bonheur
Le choc. L'incompréhension. Un brouillard. L'incertitude. La peur. L'inquiétude. Le doute. Et cette question, qui revient, sans cesse : pourquoi ? Pourquoi l'horreur, pour l'inhumanité, pourquoi la haine ? Pourquoi cette violence, pourquoi ces innocents, pourquoi nous ? On n'y croit pas, on a le sentiment que c'est au mieux un film d'action, une farce qu'on nous fait, au pire un cauchemar. On ne veut pas y croire. L'enfer est remonté sur Terre a travers des hommes qui prétendent agir au nom du paradis et d'un Dieu qui semble bien cruel. Des hommes rongés par la haine prétendant agir au nom d'une religion d'amour. La haine la haine la haine la haine. Bouffés jusqu'au plus profond d'eux-mêmes, jusqu'à achever eux-même leur demi-vie en se faisant sauter et en espérant emporter le plus d'innocents possibles. Boum boum boum. Plus de parents plus d'amis plus d'amour juste des ennemis et des alliés dans un combat pour une idéologie tout sauf religieuse.
C'est l'incompréhension totale. Pris dans la léthargie de l'horreur, on essaie de comprendre ce qui se passe. Les oreilles qui sifflent, la vision floue, on s'inquiète pour nos proches qui y sont, on écoute, on regarde, on lit, en espérant éclaircir la situation, mais au final, tout reste aussi noir, les sources sont multiples, vraies, fausses, incertaines, le nombre de morts augmente de minute et minute et on continue à prier pour que nos amis nos frères nos sœurs nos parents ne soient pas dedans. On prend nos téléphones, on appelle, on soupire de soulagement quand ils répondent, on est glacé quand on tombe sur le répondeur. On est rapidement dépassé par un sentiment qu'on ne devrait même pas connaître.
On est chanceux de vivre dans un autre arrondissement une autre région une autre ville à l'autre bout du pays. On est chanceux d'avoir personne que l'on connaît à Paris. On a conscience du danger de la peur de l'horreur de la guerre de la mort. On a conscience que ce qu'on croyait loin de nous, finalement ça arrive. La France, pays des droits de l'Homme, défenseur de la liberté de l'égalité de la fraternité, se voit se faire sauter. Ce n'est pas un pays en guerre à l'autre bout du monde, ce n'est pas un pays sous dictature, ce n'est pas un pays pauvre. C'est la France. C'est notre France. C'est des compatriotes qui sont tués sous nos yeux impuissants. On prend conscience et on pleure, on pleure pour l'innocence salie et massacrée. On a ce poids, là, sur notre poitrine, qui se refuse à partir.
C'est la guerre. C'est la guerre. Non, tu n'y crois pas. La guerre, c'est avec des militaires, c'est entre des pays, c'est un champs de bataille. La guerre c'est 14-18, c'est 39-45. La guerre c'est en Syrie. C'est pas en France la guerre. C'est pas le massacre de dizaines d'innocents la guerre. Non. Non. Ça peut pas être ça. Tout semblait parfait, il y a quelques heures à peine. Il y avait bien eu Charlie. Le soutien avait duré quelques semaines, et puis on avait oublié. On avait laissé ça aux mains des militaires, on croyait -on espérait- que c'était fini. On espérait que les gens soient humains, finalement. C'est tellement plus facile de se dire que tout va bien. Et du jour au lendemain, comme ça, c'est la guerre. La guerre, ça signifie la mort. La guerre, ça signifie les armes. La guerre, ça signifie que, bordel, on n'est pas à l'abri de la mort, finalement.
Bordel.
On regarde, figé, les images devant sa télé, écoutant les témoignages des survivants des victimes venant à peine d'être libéré de ce cauchemar par des journalistes en besoin d'images. Les heures passent, mais tout se coupe, se recoupe, et au final on ne comprend rien. Tout ce qu'on sait, tout ce qui revient, ce sont ces mots : terrorisme, morts, victimes. Terrorisme. Morts. Victimes. Et puis les explosions, les fusillades. C'est tout ce qu'on sait. On passe de 18 à 30 à 42 à 128 morts en une soirée et on ne comprend pas on ne comprend pas on ne comprend pas.
Pourquoi ?
Pourquoi ?
Pourquoi ?
La France saigne. La France souffre.
On s'imagine être une des victimes. Obligé de se cacher sous des cadavres. Peut-être des amis, des proches. Rester immobile, ne pas bouger pour ne pas se faire repérer. L'adrénaline qui pulse dans nos veines. La prière de ne pas être la prochaine personne à s'effondrer. Attendre les secours. Et attendre, attendre, attendre. Se demander comment sortir d'ici, sans avoir de solution aucune, et devoir rester là, sous ce corps, à attendre que des secours arrivent. On voudrait être dans un film, qu'au final tout le monde soit vivant, que le cadavre sur soi ne soit qu'un figurant vachement bien fait. On voudrait ne pas avoir vu notre ami se faire abattre juste à côté de nous. On voudrait être chez nous, dans notre lit, et se réveiller soudainement en réalisant que ce n'était qu'un cauchemar, et être tellement soulagé.
Ce n'est pas le cas.
C'est réel. Réel. Bien trop réel. Le sang sur notre corps, sur nos vêtements, ce sang qui nous souille. Oui, ce sang qui nous souille tous, quand bien même nous sommes à l'autre bout de la France, dans notre salon, bien en sécurité.
Tout ça, c'est bien trop réel.
La haine n'a pas de pays. La haine n'a pas de limites. La haine n'a pas de frontière. La haine n'est pas une religion, une couleur de peau ou une nationalité. La haine, c'est la violence, c'est l'inhumanité, c'est la cruauté. La haine, c'est ce terrorisme. La haine, c'est tous ces innocents morts pour rien. La haine, c'est un lavage de cerveau qu'on ne comprend pas. La haine, c'est ce qui nous empêche de vivre.
Et au milieu de tout ça, de cette horreur, de cette guerre, de cette haine, se mêlent des choses qui ne devraient pas être là. La politique. L'économie. La religion. Ne pas agir alors qu'on sait pertinemment qu'un certain dirigeant d'un certain pays « allié » à l'Union Européenne fournit des armes aux ennemis. Se saisir de la mort de plus d'une centaine de personnes comme arme politique. Se méprendre, et assimiler une religion pacifique à une idéologie destructrice.
Restons forts.
Restons unis.
Liberté.
Egalité.
Fraternité.
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