J'ai grave merdé
Lorsque Paul lui ouvrit la porte, Tristan sentit tout de suite une tension dans l’appartement.
— Salut… Je viens de croiser Tom, vous vous êtes engueulés ?
— Ça arrive à tous les couples, t’es bien placé pour le savoir, non ? cracha Paul froidement.
Il accusa le coup. L’allusion à ses anciennes querelles avec Marianne lui fit de la peine. Cela ne ressemblait pas à son ami de s’en prendre à lui de cette façon. Il préféra ne pas répondre. Il enleva son manteau.
— Offre-moi donc un verre. Ça fait un bout de temps que je n’ai pas vu mon meilleur pote.
Paul fut décontenancé par sa réponse, mais, pas de doute, il était bien en colère.
— Heu… Ouais bien sûr… Mais je n'ai rien à t’offrir. Tu n'étais pas censé apporter une bouteille ? lui reprocha-t-il.
— Putain, je suis désolé, j’ai complètement zappé. Je vais tout de suite en acheter une.
— T’as vu l’heure ? Tout est fermé maintenant, laisse tomber. Il doit me rester un fond de coca dans le frigo, se força Paul.
— Pas de problème, va pour un coca !
Paul s'exécuta en versant machinalement le reste de la boisson éventée dans deux verres qui traînaient sur l’évier. Ils trinquèrent pour la forme, mais Paul était ailleurs dans ses pensées.
— Paul, regarde-moi. Qu’est-ce qui vous arrive ?
Son ami finit par s’affaler dans son canapé.
— Je ne suis pas sûr de vouloir en parler. Ça va gâcher la soirée. Il n'en vaut pas la peine, lâcha-t-il, encore nerveux.
— Je te crois pas. Ça fait au moins trois semaines que l'on ne s'est pas vu. J’ai loupé plein d’épisodes, on dirait. Faut que je me rattrape.
Paul luttait manifestement contre lui-même, hésitant à vider son sac.
— Ça va passer, t’inquiète. Comment va notre fameuse Charlotte que je n’ai pas encore eu le privilège de rencontrer ? Elle pourra être là pour le 31 ?
Tristan n’était pas dupe. Pour que Paul ne veuille rien dire, c’est que la situation était préoccupante.
— Tu ne vas pas t’en tirer comme ça. Je n’aime pas te voir ainsi. C’est l’approche de Noël ?
— Quoi Noël ? Tom a réussi à te convaincre toi aussi ?
Tristan comprit qu’il avait visé juste.
— Il n’a rien réussi du tout. Tu n’es toujours pas prêt à le présenter à tes parents, c’est ça ?
— Non, toujours pas, et alors ? Ça veut dire que j’ai pas de couilles ? Que j’assumerais jamais de la vie ?
Force était de constater qu’il n’avait réussi qu’à attiser sa colère. Elle venait de remonter d’un cran. Tristan secoua la tête, dépité. Il avait déjà eu cette conversation avec lui. Il comprenait très bien qu’il lui fallait du temps, même si son ami lui avait longuement expliqué qu’il ne pourrait jamais se rendre compte de ce qu’il vivait.
— C’est pas du tout ce que j’ai voulu dire, tu le sais bien. On en a déjà parlé et…
— … Ouais, je sais, j’arrête de te saouler avec ça.
— Tu me saoules pas, Paul… J’aimerais juste que…
— Que quoi ? Tu crois sincèrement que me parents vont être ravis d’apprendre que leur fils est un gros pédé ? Et que tout va continuer comme avant ? Tom ne mesure pas la chance qu’il a avec son père. Il est cool, lui au moins.
— Dis pas ça, au contraire il en a bien conscience…
— Ah, mais tu ne sais pas la bonne nouvelle. Sa mère a définitivement quitté sa maison de repos. Et dans la foulée, il lui a annoncé qu’on sortait ensemble, super, non ? dit-il ironiquement.
Tristan ne put s’empêcher de se réjouir.
— Tu devrais être content pour lui, non ?
— Tu devrais être content pour lui, non ? imita Paul, avec une petite voix. Ouais, je sais, c’est moi le problème. Je gâche tout, finit-il par avouer avec un trémolo dans la voix.
— Paul, enfin, pourquoi tu dis ça. Je suis de ton côté. Et puis, je connais tes parents depuis longtemps, et je suis sûr qu'ils sont assez ouverts d’esprit pour…
— Arrête de me répéter ça en boucle, putain ! Comment tu peux en être sûr d’abord ? Tu vis avec eux ?
Tristan prit sur lui et décida de changer de tactique.
— Et Ariane ? Elle pourra sûrement t’aider, elle est géniale ta sœur, non ?
— Ne me parle pas d’elle. Elle aussi me saoule. Je lui avais promis qu’elle pourrait venir passer le début de ses vacances avec moi. J’avais complètement oublié ! Elle doit débarquer avec son nouveau meilleur pote de lycée, Vincent. Vince, par ci, Vince par là, elle n’a que son nom à la bouche, dit-il en levant les yeux au ciel. Elle est persuadée qu’il est pédé, lui aussi. Elle s’est mise en tête que je pourrais sûrement l’aider à s’assumer. La bonne blague.
— Mais, attends deux secondes. Vince… Le Vincent de mon employé Patrick ? Je n'arrive toujours pas à m’y faire. C’est vrai, il m’en a encore parlé aujourd’hui. Il a hâte que son fils découvre le magasin de musique dans lequel son père bosse. C’est fou comme le monde est petit.
— C’est vrai que sur ce coup, ton père a fait fort. Dénicher la perle rare parmi les membres de son club de tarot dans lequel mon père joue aussi, il fallait le faire. Comment ça se passe avec lui ?
— Figure-toi qu’il s’est mis Monsieur Delphin dans la poche. Les retours des clients sont bons. Je suis vraiment content de lui. Que demander de plus ? Il m’a dit que finalement, même si la route est longue pour venir travailler, il allait finir par s’y faire. Et puis je crois que parfois, quand il est trop fatigué, il va crécher chez son frère qui habite en ville.
— Ah cool, je suis content pour toi, tu dois respirer, répondit Paul, un peu calmé.
— C’est drôle pour Vince, quand j’y pense. Tu sais pas qui a débarqué à la fermeture ?
— Bah, non, qui ?
— Rickie et Philippe ! T’aurais vu la tête de Patrick.
— Oh, putain, ne put s’empêcher de s’esclaffer Paul. Il a encore fait son Philippe ?
— À ton avis ? Il ne peut pas s’en empêcher. Heureusement que Patrick est fin psychologue. Je crois que le courant est bien passé entre eux. Pourtant, Philippe était sur ses cent mille volts. Ils allaient dîner chez son patron. Présentation officielle à beau papa.
Aussitôt, il regretta sa gaffe. Le visage de Paul s’assombrit.
— Je suis désolé, Paul. Je suis trop con, pas bien malin de te parler de ça…
— T’excuse pas. T’arrives et je t’agresse direct. C’est moi qui suis con, tu parles d’un ami.
— Même con, je n'en changerais pour rien au monde.
Le sourire de Paul le rassura. L’orage semblait passé.
— Tu sais, Tristan. Avec Tom… Il n’y a pas que cette histoire d’assumer.
— Comment ça ?
— Il flippe trop. Comme il est mon premier mec, il n’arrête pas de me dire que je vais finir par aller voir ailleurs, que c’est inévitable.
— Et t’en penses quoi ?
— Je l’aime vraiment, tu sais. Et je sais que lui aussi… Pourtant…
— Pourtant quoi ?
— Tristan, je crois que j’ai merdé. J’ai grave merdé.
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