Un jour de plus
Un jour de plus. Je grave encore un trait sur la pierre.
Jour 215 de détention, je décide de créer un cadran solaire !
En utilisant les rayons qui filtrent à travers la petite lucarne de ma cellule et la position de la flaque de lumière diffuse, je peux déterminer le moment de la journée. Je pense à ce projet depuis quelques jours déjà, mais aujourd’hui est idéal : il va faire beau et chaud et aucun nuage n’obscurcira le ciel. Mes marques seront nettes et précises, je pourrais facilement lire l’heure dessus.
Le soleil vient à peine de se lever, les dernières étoiles disparaissent peu à peu, effacées par l’écrasante lumière de notre étoile. Je trace le plus précisément la position de la flaque de soleil. Elle est quelque part sur le mur, éclairant un des gribouillages que j’avais fait il y a presque cinquantes jours. Ce n’est pas grave, je trace par-dessus. La pierre est vieille, je suis sûr qu’elle en a vu d’autres !
Combien d'heures se sont écoulées ? Je ne sais pas, je n’ai aucun moyen de le déterminer. Mais la tache lumineuse s’est baladé le long du mur froid et s’étale désormais sur le sol de terre. Un soldat m’a apportée mon écuelle quotidienne d’avoine bouillie et mon morceau de pain. J’ai fait une autre trace au sol. Désormais je pourrais savoir combien de temps me sépare de ce moment.
J’ai effectué mes mouvements de sport habituels. J’hésite à l’inscrire sur mon cadran, mais ce n’est pas un vrai moment fixe, je peux le faire quand je veux.
La petite flaque a galopé sur tout le sol de pierre, elle s’attaque désormais au mur opposé. Brave petite tache lumineuse. Infatigable, elle effectue chaque jour le même trajet, inlassablement. Je me suis allongé près d’elle et j’ai posé ma main en son centre. C’était chaud, agréable. Elle aussi est prisonnière. Prisonnière d’un mouvement éternel. Chaque matin elle apparaît d’un côté, parcourt le même trajet, descend son mur, galope, remonte, puis disparaît. C’est ma compagne d’infortune, la seule qui comprend ce que je vis.
Le soldat m’a apporté mon bol de soupe du soir. Je l’ai noté sur le cadran.
Voilà. La tache a disparu. Le soleil a probablement coulé derrière l’horizon car je peux voir les étoiles, vaillantes gardiennes, à travers ma lucarne. Avant qu’elle ne disparaisse totalement, dans son dernier souffle, la flaque s’est diffractée en un kaléidoscope multicolore. C’est sa manière de me dire au revoir : étaler l’arc en ciel en entier sur les larges pierres froides. Pendant quelques instants, ma cellule froide et austère a rayonné de milles couleurs. Comme chaque soir, cette explosion de couleurs m’a fait oublier l’injustice de mon sort, la tristesse de mon avenir et la douleur de ma vie. Pendant quelques instants, j’étais libre avec cette tache qui mourrait sous mes yeux.
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