Chapitre 3
Février
Assise dans le bureau, une douce musique de piano en fond, Ambre essaye de se concentrer sur l’écran de son ordinateur. Après quelques appels, elles ont réussi à trouver une entente avec un guide accompagnateur de la région. Il va emmener les touristes dans la forêt, sur les traces de la faune sauvage. Il parait très enthousiaste par leur projet de séjours d’immersion à thème. Il leur a même proposé de faire un atelier de survie en milieu naturel. Ils ont convenu que le séjour se déroulera sur trois jours, à la fin du mois de février. Il ne reste à la jeune femme que moins d’un mois pour tout préparer et surtout pour mettre en place la communication. Ambre espère vraiment que ce séjour va marcher, la viabilité de l’entreprise étant en jeu. Cela fait donc presque deux heures qu’elle s’escrime à faire une affiche convenable. Elle compte la distribuer dans les commerces de Sainte-Lucie-des-Laurentides, la ville la plus proche, et pousser jusqu’à Montréal. Mais il n’y a rien à faire, l’inspiration ne vient pas. Elle fixe l’écran de son Mac, les yeux dans le vide. Elle est stressée et inquiète. Noah doit l’appeler dans une heure environ. Cela va faire cinquante jours qu’il est parti. Elle envisage toutes les causes possibles et inimaginables de sa soudaine prise de distance. A force de cogiter elle va devenir dingue. Il lui tarde autant qu’elle redoute le moment où ils vont se parler. Est-ce qu’il va lui annoncer qu’il la quitte ? Est-ce qu’il a décidé de rester en France avec Jean ?
Noah ne lui a jamais beaucoup parlé de sa famille, mais elle sait que tous deux sont très proches. A chaque fois qu’elle s’est aventurée à poser des questions sur son enfance, la discussion s’est soldée en dispute ou en silence. C’est un sujet tabou, qu’il ne veut pas aborder. Ambre sait juste que ses parents se sont séparés alors qu’il était enfant. Il a vécu avec sa mère jusqu’à ses seize ans, puis il est parti chez son père. Il n’a plus eu de contact avec sa mère depuis. Elle ne sait pas la cause de leur dispute, mais au vu des réactions violentes que cela fait naitre quand il en parle, elle sait qu’il en souffre. Il s’est construit grâce à son père qui lui a appris son métier. Cela fait trois ans que Jean est reparti en France, pour suivre sa nouvelle compagne. Il a fait de Noah son associé dans l’entreprise, lui travaillant pour le marché européens et son fils gérant la partie Nord-américaine. La construction et l’aménagement de chalets marche bien et leur entreprise se développe rapidement. Ambre se demande si le manque de son unique repère familial ne va pas le pousser à rester en France. A elle aussi sa famille lui manque beaucoup, mais elle s’épanouie tellement dans son métier, qu’elle ne se voit pas rentrer et tout abandonner. Mais si Noah ne fait plus partie de sa vie, les choses ne seront plus les mêmes. Elle secoue la tête et se dit qu’il faut qu’elle arrête de broyer du noir comme ça, parce que ça ne lui ressemble pas. Elle décide de changer d’air en allant faire le ménage dans l’un des petits chalets qui doit être loué le lendemain. En sortant du bureau, elle croise Lila assise sur la banquette de l’entrée sous l’escalier, essayant avec peine d’enfiler ses bottes fourrées. Visiblement elle s’apprête à sortir. Elle a revêtu sa doudoune jaune moutarde et sa grosse écharpe en laine.
- Ah tu tombes bien, j’allais venir te voir. Felix a appelé, il a réfléchi à notre proposition et il veut en parler.
Si Ambre a réussi à avancer sur les séjours thématiques, Lila n’est pas en reste non plus. Elle se démène depuis plusieurs semaines pour développer la vente de leur production de fruits et envisage de créer une petite boutique en circuit court sur la propriété, en s’associant à d’autres. Felix possède un élevage de vache et transforme une partie de sa production en yaourt. Il aimerait étendre sa gamme et il a proposé à Lila de lui acheter une partie de ses fruits pour confectionner des glaces et des yaourts. Lila espère également que ces produits finiront dans la boutique.
- Super ! Fais attention sur la route, ça a bien gelée toute la journée.
- Toi aussi tu sors ? Noah ne devait pas t’appeler cet après-midi ?
- Si, si. Il m’a dit vers 16h00, une fois qu’il aura fini le boulot et qu’il aura mangé. Mais je n’arrête pas de cogiter assise au bureau. J’ai besoin de bouger, de m’occuper les mains et l’esprit !
- Allez courage, ça va bien se passer. Je ne serais pas longue, je reviens vite.
***
Lila est littéralement frigorifiée. Elle ne peut même pas enlever ses gants pour conduire. Ses mains sont engourdies et elle ne sent plus le bout de ses doigts. Pourquoi faut-il que son chauffage fasse des sienne aujourd’hui, alors qu’il fait -10 °C dehors ? Son rendez-vous n’a pas duré longtemps et aurait très bien pu se faire de la maison, par téléphone et surtout au chaud. Elle en a profité pour faire quelques photos sur la route, la luminosité étant magnifique en cette fin de journée. Ambre lui dit toujours qu’elle manque de photos pour leur communication. Elle aurait dû prendre le pick-up de l’entreprise plutôt que sa petite Toyota Yaris blanche. Elle l’a équipé de bons pneus, mais depuis qu’elle l’a achetée, elle remet à plus tard la révision de son chauffage et voilà qu’il faut qu’il tombe en panne justement maintenant. Elle n’a que dix minutes de voitures, peut-être qu’en tapant un peu sur le tableau de bord, elle peut arriver à… Dans son champ de vision, elle voit une masse noire et blanche traverser la route et se précipiter vers sa voiture. Elle relève la tête brusquement et donne un coup de volant pour l’éviter. Les pneus n’adhérent plus à la route. La voiture glisse sur une véritable patinoire. Lila n’a plus le contrôle. La voiture tourne sur elle-même. Tourne, tourne, tourne. Sa tête est ballotée dans tous les sens. Puis tout s’arrête soudain, dans un grand choc, sa tête projetée contre la fenêtre. La voiture est à moitié couchée dans le fossé, la porte passager contre le talus gelé. Tout s’est passé en quelques secondes, mais pourtant Lila a l’impression que ça a duré une éternité. La tête lui tourne et son bras l’élance. Elle ne sait plus trop où elle est et ne comprend pas bien ce qui vient de se passer. Elle cherche à ouvrir la portière mais n’y arrive pas. La ceinture lui comprime la poitrine. L’airbag qui s’est ouvert lui brule la joue. Elle a très chaud, puis très froid et tremble de tout son corps. Elle entend le crissement de pneus d’une voiture qui s’arrête. Quelqu’un qui court. Une voix lointaine. Des jurons. Quelqu’un qui essaye d’ouvrir la porte de sa voiture. Elle a l’impression de flotter, de ne pas vraiment être là. Un air glacial s’engouffre dans l’habitacle, la faisant frissonner de plus belle. On lui pose une question, mais son cerveau n’arrive pas à se concentrer. Des mains puissantes l’enlacent, la soulèvent. Bientôt elle se retrouve dehors, libérée de sa prison de ferraille. Elle respire un peu mieux, essaye de se mettre debout avec l’aide de… Elle ne sait pas de qui justement. Au moment où elle relève la tête pour lui faire face son estomac se soulève. Elle se penche précipitamment pour vomir. Son ange gardien lui tient les cheveux le temps qu’elle finisse.
- Ça va ? Vous voulez que j’appelle les pompiers ? demande une voix masculine, chaude et profonde d’où perce une réelle inquiétude.
- Non, non, ça va. Je vais bien. Je crois que c’est le choc.
Lila se relève lentement et se tourne vers son sauveur. Son regard rencontre deux grands yeux bleu électrique. Ils appartiennent à un homme baraqué, d’un mètre quatre-vingt-cinq environ, qui doit avoir entre vingt-cinq et trente ans. Ses cheveux châtain clair sont en bataille, et son corps est emmitouflé dans un gros anorak noir. Ils se toisent un moment, se fixent, sans trop savoir quoi dire, ni l’un ni l’autre. Finalement, Lila reprend ses esprits et s’éclaircit la voix.
- Merci beaucoup de m’avoir sorti de là. Je ne sais pas comment j’aurai fait. Elle se tourne vers la voiture en soupirant. Je suis bonne pour appeler la dépanneuse.
- Je peux vous déposer si vous voulez ? Il fait trop froid pour que vous attendiez dehors, après ce que vous venez de vivre. Vous êtes sûre que vous ne voulez pas que j’appelle les pompiers ?
- Non, non, ça va, je vous assure. Je n’ai rien. Mais ma voiture ? Je ne vais pas l’abandonner là.
- Ne vous inquiétez pas, je m’en occupe.
Lila hésite. D’un côté elle est gelée, l’adrénaline de l’accident redescend et elle ne se sent pas très bien. La dépanneuse va mettre au moins trente minutes pour venir jusqu’ici et elle n’a vraiment pas envie d’attendre sur le bord de la route. D’un autre côté, elle ne connait pas ce mec sorti de nulle part. Est-ce qu’elle peut lui faire confiance ? Est-ce qu’il ne va pas en profiter pour lui voler sa voiture ? Est-ce qu’il va bien la ramener chez elle ou va-t-il la kidnapper et la découper en petits morceaux, sans que personne ne retrouve jamais son corps ? Le choc lui fait penser n’importe quoi ! C’est Ambre la superstitieuse, la trouillarde et celle qui déborde d’une imagination improbable. Elle, Lila, est rationnelle, réfléchie et calme. Il faut dire que là, toute seule sur cette petite route au milieu de la forêt, avec pour unique compagnie un inconnu, qui certes semble tout droit sorti d’un magazine, mais un inconnu quand même, elle ne se sent pas tellement en sécurité.
- Allez, vous êtes frigorifiée, vous tremblez de partout et la nuit ne va pas tarder à tomber.
Comme s’il lisait dans ses pensée, le bel inconnu rajoute.
- Je ne suis pas un sérial killer, ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous égorger sur le bord de la route.
- C’est exactement ce que dirait un sérial killer, murmure Lila.
- Je vous dois bien ça. Laissez-moi vous aider pour me faire pardonner d’avoir provoqué cet accident.
- Quoi ? dit la jeune femme en se tournant vers lui. Quelque chose s’est jeté sur ma voiture et j’ai donné un coup de volant pour l’éviter. Vous n’y êtes pour rien.
- Ce quelque chose, c’était Hel.
- Hel ? Comme la déesse des enfers dans la mythologie nordique ? s’étonne Lila
- Oui c’est ça, se met à rire le jeune homme en voyant qu’elle connaît la référence. Elle est encore jeune et un peu sauvage. Elle m’a échappé et s’est précipitée sur la route. Je suis vraiment désolé. Pour l’accident et pour la voiture. Je payerais les réparations.
- Euh… c’est gentil, mais je ne comprends toujours pas qui est Hel.
- C’est l’un de mes chiens.
- Un chien ? Oh mon dieu ! Elle n’a rien ? Je ne l’ai pas écrasé au moins ? Je lui ai fait mal ? Oh mon dieu, se met à paniquer Lila.
- Oh là, oh là, du calme. Elle va très bien, vous l’avez évité. C’est ce qui vous a causé l’accident d’ailleurs.
- Je peux la voir ? demande timidement la jeune femme.
- Oui, si vous acceptez que je vous ramène chez vous après.
Lila réfléchit et se dit que finalement, il a l’air plutôt inoffensif. En plus, elle veut s’assurer d’elle-même que cette pauvre bête n’a rien. Elle aurait pu la blesser ou pire la tuer.
- Comment je vais faire pour ma voiture, je ne peux pas la laisser là sur le bord de la route.
- Ne vous inquiétez pas, j’ai un ami garagiste pas très loin. Je vais lui dire de venir la chercher et de faire les réparations nécessaires. Je vous la rapporterais dans la semaine quand elle sera prête. Vous pouvez me faire confiance, je vous assure.
Elle acquiesce et le suit à sa voiture, après avoir récupérer son sac dans la sienne. Elle prend le temps de voir que rien de valeur ne traine et la ferme à clé. Arrivé devant l’énorme Dodge RAM noir, l’inconnu ouvre l’arrière du pick-up :
- Au fait je m’appelle Gabriel.
- Moi c’est Lila.
- C’est très joli, dit-il en souriant, montrant ses dents blanches, sans défauts.
Lila doit être dans le coma en fait. L’accident l’a envoyé dans le coma. Ou l’a tué. C’est ça, elle est morte et elle se trouve devant l’ange Gabriel. Elle ne voit pas d’autres explications. Le mot magnifique est bien trop insignifiant pour décrire ce qu’elle a sous les yeux. L’homme en face d’elle est bien plus que ça, pas parfait certes, mais il se dégage de lui une aura incroyable. En plus, les mots « beau » et « gentils » ne vont jamais dans la même phrase quand il s’agit de garçon. Ces créatures font parties de la mythologie, ça n’existe pas dans la vraie vie. Ils sont soit l’un, soit l’autre, mais jamais les deux à la fois. Bon peut être que Noah, le petit ami d’Ambre, est une exception. D’ailleurs, elle se demande comment se passe leur Skype en ce moment. Il n’a pas intérêt à la faire souffrir. Sinon il va entendre parler du pays et passer directement sur la liste noire, déjà très longue, intitulée : « Garçon sexy mais connard fini ». Gabriel ouvre la cage posée sur le plateau de sa voiture et une boule de poil en sort. Il s’agit d’un magnifique husky de Sibérie au pelage bicolore. Elle s’approche de Lila et renifle la main que la jeune femme lui tend. Elle se laisse caressée entre les oreilles puis se recule. Elle lève soudainement son arrière train et agite la queue dans tous les sens pour jouer.
- Je crois qu’elle t’aime bien. Pardon, qu’elle vous aime bien.
- Oui, je pense qu’elle ne m’en veut pas trop d’avoir failli l’écraser. Et tu peux me tutoyer, ça sera plus simple, dit Lila soulagée devant la chienne qui n’a rien et qui paraît même l’apprécier.
- Allez ma belle, on rentre. Il faut qu’on ramène Lila chez elle.
Ils montent tous les deux à l’avant de la voiture. Lila sent qu’elle va avoir des bleus partout sur le corps. Son bras a dû cogner violemment contre la portière car il lui fait vraiment mal. Elle se risque à jeter un coup d’œil à Gabriel, occupé à boucler sa ceinture et à monter le chauffage. Il se penche en arrière pour attraper quelque chose sur la banquette arrière. Pourquoi il a fallu que ce soit un homme musclé et jeune qui l’aide et pas un vieux papi tout gentil. Non qu’elle s’en plaigne, au contraire. Mais ce bel inconnu la perturbe et elle n’aime pas ça. Se retournant vers l’avant, il lui tend une couverture à carreaux en laine.
- Tiens, pour te réchauffer. Je suis désolé, elle est trouée et doit sentir le chien, mais c’est tout ce que j’ai.
- Elle ira très bien. Merci beaucoup.
- Alors où est-ce que je t’emmène ?
- Au Manoir de Jadis, sur la route de Sainte-Lucie.
- Ah c’est toi qui tiens ce Bed & Breakfast ? Beaucoup de gens en parlent dans la région, dit Gabriel en se mettant en route.
- Euh… oui c’est moi. Ah bon ? En bien j’espère.
- Oui, la plupart du temps. Tu sais, deux françaises qui arrivent et rachètent une vieille maison ça fait beaucoup parlé. Surtout quand ladite maison est restée abandonnée longtemps et que les gens l’accusaient d’être hantée.
- Quoi ? Hantée. Sérieusement ? Non, elle n’est pas du tout hantée. C’est une jolie maison, tout ce qu’il y a de plus banal, rit Lila.
Un silence gêné s’installe entre eux. Lila ne sait pas trop quoi dire à cet inconnu. Si elle lui pose des questions, il va vouloir faire de même et elle n’a pas trop envie de se dévoiler. Elle opte donc pour un terrain neutre.
- Et toi, tu fais quoi dans la vie ?
- Je suis musher. D’où les chiens. Et l’entrainement qui a tourné à la catastrophe. Vraiment, je suis désolé de t’avoir causé cet accident.
Sa voix est sincère. Il a l’air vraiment touché par ce qui vient de lui arriver.
- Je vais bien, ce n’est que de la tôle froissée, donc ne t’inquiète pas pour moi.
- Ça aurait pu être beaucoup plus grave, murmure Gabriel de sa voix profonde.
- Donc tu dis que tu es musher. C’est trop bien ! Tu as combien de chien ? Et de qu’elle race ?
Lila s’aperçoit qu’elle est un peu trop enthousiaste. Elle pose ses questions comme si c’était un interrogatoire. Elle rougit en s’excusant. Gabriel rit mais ne se moque pas. Au contraire, il a l’air heureux qu’elle s’intéresse à ce qu’il fait.
- Pour l’instant, j’ai une meute de huit chiens, principalement des Husky, mais j’ai aussi trois Samoyèdes. Tu as l’air d’aimer les animaux dis donc.
- C’est vraiment génial. Ce sont des races de chiens magnifiques. Je crois que j’aurais aimé travailler avec les animaux moi aussi.
Lila reste pensive un moment. Elle appuie sa tête contre la vitre. La chaleur de l’habitacle, le bercement de la route, le bruit sourd de la radio en fond et le contrecoup de l’accident la plonge petit à petit dans le sommeil.
***
Ambre fait les cent pas dans la maison. Elle a changé trois fois de tenue. Elle se trouve ridicule, mais veut être présentable devant Noah, même s’il ne verra que sa tête. Elle a opté pour une robe courte bordeaux, avec les manches longues transparentes et s’est fait une tresse sur le côté. Il ne doit pas tarder à l’appeler. Elle décide de se mettre sur le canapé, dans son studio, son ordinateur portable sur les genoux. Puis elle se lève et va dans sa chambre pour se poser sur le lit. En général elle se sent très bien dans son appartement, mais là tout de suite, il l’oppresse. Elle décide donc de redescendre dans le salon et de se mettre face à la baie vitrée qui donne sur la vallée. Au moment où elle pose l’ordinateur sur la table basse, l’icône Skype clignote. C’est le moment de vérité. D’une main tremblante elle accepte l’appel et s’assoit sur le tapis à même le sol, le dos appuyé contre le canapé. La fenêtre s’ouvre en grand sur Noah. Le voir, même pixellisé à cause de la mauvaise qualité de la connexion, lui coupe le souffle. Elle avait presque oublié à quel point il est beau. D’une beauté ténébreuse. Ces cheveux d’un noir profond contraste avec l’éclat de ses yeux verts. Lui qui d’habitude est toujours rasé de près, porte une barbe de plusieurs jours qui renforce son côté viril. Noah a la particularité d’être beau, de le savoir et d’en jouer, tout en restant mystérieux et inaccessible. Inaccessible, sauf pour Ambre qui a la chance de faire partie de sa vie.
- Salut ma belle, commence Noah avec un sourire éclatant. Comment tu vas ? Ça fait du bien de te voir en vrai.
Sa voix grave fait frissonner Ambre. Son cœur bat vite, de plaisir de le voir, mais aussi de stress. Pourquoi se met-elle dans des états pareils alors que Noah à l’air heureux de lui parler ? Elle essaye de maitriser le tremblement de ses mains en les coinçant entre ses cuisses.
- Ça va. Tu m’as vraiment manqué.
Son sourire est trop timide, trop hésitant, ce qui fait froncer les sourcils à Noah.
- Qu’est-ce qu’il y a ? Tu n’as pas l’air bien ?
- Si, si, tout va bien je t’assure. Alors la France, comment tu trouves ? essaye de changer de sujet Ambre.
- Eh oh, Ambre, je te connais par cœur et là je vois bien qu’il y a quelque chose qui te tracasse. N’essaye pas de changer de sujet, tu n’y arriveras pas. Tu sais que je vais te faire cracher le morceau quoi qu’il arrive.
- Tu m’énerve ! Je ne peux rien te cacher, ça me soule, fait semblant de bouder Ambre en croisant les bras.
- Et oui, je lis en toi comme dans un livre ouvert. Allez crache.
- Arrête d’être si sûr de toi ! Ce n’est pas ton regard hypnotisant et ton corps d’athlète moulé dans ce t-shirt gris, que tu n’avais pas d’ailleurs, qui vont me faire parler.
- Si tu arrêtais de baver sur mon physique avantageux, on irait plus vite. Tu sais qu’il est 22h00 ici, alors si tu pouvais te dépêcher ça m’arrangerait, éclate de rire Noah.
- Parce que toi tu ne baves pas peut être ? Je te signale que même à travers un écran ça se voit quand tu cherches mes yeux beaucoup trop bas, dit-elle en montrant son décolleté.
Ambre est un peu rassurée. Ils se chamaillent et s’envoient des piques. C’est bon signe. C’est leur façon de communiquer. Elle sent quand même qu’il ne va pas en rester là. Après une grande inspiration elle lui demande d’une traite :
- Est-ce que tu envisage de rompre avec moi ?
Noah écarquille les yeux, ouvre et ferme la bouche plusieurs fois. Il reste interdit un moment, si bien qu’Ambre prend ce silence pour un oui.
- Pourquoi ? Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? Est-ce que je t’ai blessé ? Parce que si c’est le cas, vraiment, je suis désolée. Ou alors tu as rencontré quelqu’un ? Qu’est-ce qu’elle a de plus que moi ? Je ne te plais plus c’est ça ? Ou alors tu es gay et tu t’en es rendu compte en partant loin de moi ? Est-ce que c’est à cause de…
Noah ne lui laisse pas le temps de finir sa tirade, qu’elle a prononcé d’une traite, paniquée, et la coupe sèchement.
- Oh on se calme ! Rembobine. Gay ? Gay ! Non mais tu es sérieuse ? Non je ne suis pas gay, je peux te l’assurer. Pourquoi tu penses que je vais te quitter ? dit-il plus calmement, mais toujours sans comprendre ce qui se passe.
- C’est plein de choses : tu n’as pas voulu que je t’accompagne à l’aéroport, tu es super bref dans tes messages, tu ne m’appelles presque pas et quand tu le fais tu es froid et distant.
- Oh mon cœur ! Je suis vraiment désolé si mon comportement t’a fait penser ça. Je ne voulais pas que tu m’accompagne parce que je n’avais pas envie de te dire au revoir dans un hall froid et plein de monde. C’est la première fois qu’on est séparé si longtemps. C’était plus facile pour moi de te dire au revoir à la maison. Ensuite, si je parais distant c’est que le rythme au boulot est intense et quand je rentre le soir je suis crevé. Le décalage horaire n’aide pas non plus. Et puis j’ai la tête un peu prise avec des histoires de famille à la con.
- Qu’est-ce qu’il se passe avec ta famille ?
- Ma mère essaye de reprendre contact avec moi. Elle a appelé mon père.
Le regard de Noah s’assombrit, comme à chaque fois qu’il évoque sa famille.
- Mais c’est bien ça non, qu’elle essaye d’avoir de tes nouvelles ? Tu vas lui parler ?
- Je ne sais pas encore. Je ne sais pas si j’en ai envie. Je ne m’y attendais pas et depuis que mon père me l’a dit, ça me prend la tête.
- Elle a fait le premier pas, c’est bon signe. Pourquoi tu ne lui laisserais pas une chance ? Ça montre qu’elle a envie de te parler et qu’elle tient à toi.
- Tu ne connais pas ma mère. Tu ne sais pas ce qui s’est passé entre nous.
Ambre a un mouvent de recul face à son ton sec et sévère.
- Explique-moi alors ! Tu ne veux jamais en parler, comment je suis censé être au courant ? Je ne lis pas dans tes pensées.
- Parlons d’autre chose s’il te plaît, je n’ai pas envie qu’on se dispute. Pas ce soir. Comment ça se passe au manoir ?
Ambre lui raconte tout ce qui s’est passé en son absence, c’est-à-dire pas grand-chose à part qu’elles essayent tant bien que mal de sortir les comptes du rouge. Noah lui parle de son chantier dans les Alpes, du plaisir qu’il a à retravailler avec son père, des paysages magnifiques et de la nourriture française. Surtout de la nourriture française. Son père a beau être d’origine française, Noah est beaucoup plus québécois et partir de l’autre côté de l’Atlantique est une vraie nouveauté pour lui.
- J’espère qu’un jour on y retournera tous les deux et que tu me montreras où tu as grandi, dit-il enthousiaste.
- Moi aussi. Ça veut dire que tout va bien et que tu ne comptes pas me quitter en restant en France ? Tu m’as dit que tu voulais qu’on parle d’un truc important.
- Mais non enfin ! Je ne veux pas te quitter. Je ne sais pas pourquoi tu t’es mis ça en tête. Quand j’ai dit que je voulais qu’on parle, c’était qu’on se parle en vrai, en face à face. Pas avec quelques mots sur un sms. Je voulais qu’on prenne le temps et qu’on ne soit pas dérangés. Encore un fois, je suis désolé si je t’ai envoyé des signaux contradictoires, mais je te promets qu’entre nous tout va bien. Tu me manque à chaque minute et je compte les jours qui me séparent du moment où je pourrais te serrer de nouveau dans mes bras.
Ambre en a les larmes aux yeux et le cœur qui bat à cent à l’heure. Ce n’est pas souvent que Noah lui fait de telle déclaration. Elle est vraiment soulagée, mais se sent bête d’avoir mal interprété son comportement. Elle a toujours critiqué les filles qui se mettent dans des états pas possibles à cause de leur mec et voilà qu’elle est devenue l’une d’elle.
Un bruit lui parvient de l’entrée, ce doit être Lila qui rentre de son rendez-vous.
- Je me sens bête maintenant, dit-elle en rougissant. Toi aussi tu me manques. L’appart est trop vide sans toi et le lit beaucoup trop froid…
Quelqu’un se racle la gorge, mais ce n’est pas Lila. C’est une voix d’Homme. Ambre se retourne vivement et pousse un cri.
- Qu’est-ce que vous faites là et qui êtes-vous ? dit-elle paniquée.
- Qu’est-ce qui se passe ? demande Noah de l’autre côté de l’écran.
- Excusez-moi de vous avoir déranger. C’est juste que Lila a eu un accident de voiture et…
- Quoi !? Un accident ! Elle va bien ? Où est-elle ?
Ambre se lève dans un bond. Elle a du mal à respirer. Son cœur veut sortir de sa poitrine.
- Non, non elle va bien. Je l’ai ramené en voiture, mais elle s’est endormie. J’ai vu la lumière et je me suis dit que peut-être il fallait que je vous prévienne avant. Je ne sais pas trop pourquoi je suis rentré en fait…
- C’est quoi tous ces cris ? Ambre on t’entend de l’autre côté de la cour.
Lila se tient dans l’embrasure de la porte qui donne sur l’entrée. Elle a une salle tête. Les cheveux ébouriffés, des cernes sous les yeux, un bleu qui commence à apparaitre sous son menton. Ambre se précipite, manque de tomber en ratant une des trois marches traitresses qui entourent le salon, passe comme une furie devant l’inconnu et se jette dans les bras de son amie.
- Oh mon dieu ? Tu n’as rien ? Tu es sûre que ça va ? Qu’est ce qui s’est passé ?
- Tu es en train de m’étouffer là, rit Lila en se détachant de l’emprise de sa colocataire avec une grimace.
- Est-ce que quelqu’un aurait la gentillesse de me dire ce qui se passe. Ce n’est pas que je me sente con, mais bon je fais fasse à un coussin en velours qui n’est pas très bavard, demande Noah à travers l’ordinateur.
Ambre entraine Lila vers le canapé et la fait s’assoir. Cette dernière salue Noah et entame de raconter ses péripéties. Quand elle en arrive à évoquer l’aide de Gabriel, elle le cherche des yeux dans la pièce. Il se tient debout, bien droit à côté de la bibliothèque. Il est attentif à ce qui se passe, mais ne participe pas à la conversation.
- Heureusement que Gabriel est arrivé, sinon je serais restée coincée un moment je pense.
- Gabriel ? questionne Ambre sans comprendre de qui elle parle.
Lila lui fait signe de la main en désignant l’apollon toujours planté au milieu du salon. Quand enfin elle se retourne, elle en reste bouche bée. Elle n’avait pas du tout remarqué à quel point cet inconnu est beau.
- Ah Gabriel ! Merci d’avoir sauvée ma copine en tout cas !
- Attendez, un musher qui s’appelle Gabriel ? Ce ne serait pas Gabriel Lemire par hasard ? questionne Noah.
Le principal intéressé fronce les sourcils et s’avance dans la pièce pour voir sur l’ordinateur qui connait son nom.
- Noah ? dit Gabriel d’un air surpris.
Les filles le sont encore plus. Elles font plusieurs allers-retours en tournant la tête, regardant Gabriel puis Noah.
- Vous vous connaissez ? demande Ambre à son petit ami.
- Bien sûr. C’est lui qui m’a amené à l’aéroport. Je lui loue mon appart à Sainte-Agathe. Je n’y habite plus et il cherchait un endroit pas trop loin de son chenil.
Tout le monde reste interdit devant cette coïncidence.
- Tu m’as dit que tu vivais chez ta copine, mais je ne savais pas que c’était ici, au Manoir. Donc tu sors avec Lila ? demande Gabriel
- Oh là ! Alors mon grand on va clarifier les choses tout de suite, s’empresse d’intervenir Ambre. La créature de ses rêves ici, c’est moi. Ok ? précise-t-elle en montrant Noah du doigt.
Ce dernier se met à rire devant la jalousie apparente de sa compagne.
- Mais Lila est libre si tu veux ajoute-t-elle avec un clin d’œil, ce qui lui vaut un gros coup de coude dans les côtes.
- D’accord, je prends notes dit Gabriel amusé. Je vais y aller, je dois m’occuper de mes chiens. Ça va aller, tu es sûre ? demande-t-il pour la centième fois à Lila.
- Oui, ne t’inquiète pas. Je suis juste fatiguée à cause du choc. Merci pour tout. Je suis contente qu’Hel aille bien en tout cas.
- Merci pour elle. Je te tiens au courant pour ta voiture. Ne t’inquiète pas pour les réparations, je m’en occupe. Il me faudrait juste tes clés, si tu permets.
- Merci beaucoup, dit Lila en les lui tendant.
- Et ton numéro de téléphone. Pour les réparations, la voiture, tout ça, se sent-il obligé de rajouter précipitamment en rougissant légèrement.
Une fois Gabriel parti, Ambre se tourne vers elle et lui dit :
- Non mais c’était quoi ça ?
- Quoi donc ?
- Ce regard ! Le mec te bouffait carrément des yeux ! En plus tu as vu comme il est sexy ?
- Eh oh, je te rappelle que j’entends toujours tout ce que tu dis, se manifeste Noah, un brin vexé.
- Oh ça va, ce n’est pas comme si je lui avais sauté dessus.
- Encore heureux ! s’exclame Noah.
Lila ne dit rien, mais elle repense à son sauveur. Elle ne peut pas nier qu’il l’intrigue et que physiquement il est totalement son genre. En même temps, il faudrait être aveugle pour dire le contraire. Gabriel est le type de tout le monde. En plus de ça il est gentil. Vraiment gentil. Elle se met à imaginer ce que ça serait de se retrouver de nouveau dans ses bras, mais pleinement consciente cette fois. De sentir sa main sur sa joue, le goût de ses lèvres charnues et… Elle s’égare. Elle n’a pas du tout envie de penser à Gabriel qui la touche. Elle est juste épuisée et n’a qu’une envie, aller se coucher. Demain sera un autre jour. Elle aura l’esprit de nouveau clair et opérationnel. Du moins c’est ce qu’elle espère.
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