Chapitre 10
Lila est réveillée par la sonnerie de son portable. Elle relève la tête de l’oreiller pour l’attraper sur la table de chevet. Qui peut bien l’appeler à six heures du matin ? Puis, le nom sur l’écran la ramène rapidement à la réalité. Gabriel. Elle ne décroche pas et éteint son téléphone. Elle n’a aucune envie de lui parler. C’était bien sympas ces sorties avec les chiens, ces balades dans la nature à parler de tout et de rien, mais c’est terminé. Elle ne veut plus rien avoir à faire avec cet homme. Elle essaye de se rendormir un peu, mais c’est un échec. Elle tourne et retourne dans son lit, sans arriver à fermer l’œil. Elle décide donc de se lever et d’aller s’occuper l’esprit en pleine nature. Elle enfile un vieux pull en laine bien chaud, un pantalon de sports et descend, bien décidée à ne penser à rien d’autre qu’à son travail. Au dernier moment, elle décide quand même de récupérer son téléphone. On ne sait jamais si on l’appelle pour le travail. En l’allumant, la lumière des notifications clignote : trois appels en absence et cinq messages non lus. Elle ne prend même pas la peine de les consulter, sachant qu’il s’agit du musher.
Lila passe toute sa journée à l’extérieur, tantôt en train de tailler ses arbres, tantôt en train de désherber son jardin. C’est une journée parfaite pour ça, un peu froide, mais avec un grand soleil. Elle ne sait plus exactement à quel moment elle a abandonné son portable à l’intérieur, mais elle en a eu marre de le sentir vibrer dans sa poche toutes les cinq minutes. Le soir, elle se décide quand même à vérifier s’il n’y a pas de messages urgents. Elle fait le tri, en supprimant sans les consulter tous les SMS de Gabriel. Au final, ils sont tous de lui, sauf un de sa mère qui lui demande des nouvelles. Une vive tristesse s’immisce dans son cœur. Sa famille lui manque terriblement, surtout dans les moments difficiles. Cela va faire presque deux ans qu’elle ne les a pas vu. Elle parle régulièrement à ses parents et envoi des messages à ses frères et sœurs, mais ce n’est pas comme si elle les avait en face. Pour se remonter le moral, elle décide d’appeler sa mère. Rien que d’entendre sa voix lui fait du bien. Son père n’est pas loin derrière, elle l’entend faire des petits commentaires. Elle leur parle du Manoir, de leur projet de magasin de producteur, mais décide de passer sous silence Gabriel. Elle ne veut pas qu’ils s’inquiètent inutilement, et surtout elle fait tout pour oublier l’épisode d’hier soir. Elle se sent assez bête comme ça d’avoir cru que peut-être Gabriel s’intéressait vraiment à elle, que peut être elle comptait un peu pour lui.
Ambre n’a pas abordé le sujet de toute la journée, mais Lila voit bien dans son regard qu’elle s’inquiète. Pourtant elle ne devrait pas. Elle va bien. Hier soir été juste un rappel pour lui dire qu’elle était en train de faire une bêtise. Elle est presque reconnaissante envers Gabriel de ne pas être venu finalement.
Le dimanche, Ambre ne sait pas trop comment faire. Gabriel doit venir au Manoir pour prendre en balade la famille qui y séjourne. Elle ne sait pas du tout comment va réagir Lila, qui n’a plus reparlé de lui depuis son rendez-vous raté. Quand le musher s’est aperçu que Lila ne répondrait pas à ses messages, il s’est mis à harceler Ambre également. Elle n'a pas tout lu, mais ils étaient tous les mêmes : Gabriel veut s’excuser, s’expliquer et essayer de se faire pardonner. Sauf que ce n’est pas à elle qu’il doit des comptes. Et puis, s’il croit qu’elle va l’aider à se racheter, il se met le doigt dans l’œil. Elle ne lui pardonnera pas de sitôt d’avoir posé un lapin à Lila. Voilà ce qu’on gagne quand on mélange travail et relation : des embrouilles. Ambre suppose que Lila ne voudra pas parler à Gabriel tout à l’heure. Elle va donc devoir gérer le jeune homme toute seule.
Le moment tant redouté est arrivé. Le pick-up de Gabriel se gare dans la cour. Il doit amener les touristes directement à son chenil. Ambre prévient Lila, mais elle lui demande de dire qu’elle n’est pas là en s’esquivant. Elle se dirige vers la salle à manger et sort sur la terrasse arrière, se dirigeant vers le verger. En soupirant, Ambre va ouvrir la porte. Les parents et leurs filles sont assis dans le salon, équipés avec des vêtements chauds.
- Salut, dit Gabriel, les mains dans les poches, d’un air gêné. Ça va ?
- Ça peut aller, déclare Ambre d’un ton sec.
- Est-ce que Lila est là ?
- Non, elle est occupée.
- Il faudrait que je lui parle. Que je m’explique.
- Tu crois vraiment qu’elle a envie d’écouter tes salades ? rétorque Ambre d’une voix un peu trop forte.
Se souvenant de la présence de ses clients dans la pièce d’à côté, elle empoigne la manche de Gabriel et le tire derrière elle, jusqu’à se retrouver dans le bureau. Elle ferme la porte et se retourne vers lui.
- Je suis désolé Gabriel, tu me parais bien sympathique comme mec, mais tu as merdé. Elle a poireauté deux heures, dans le froid, sans aucune nouvelle de toi. Deux heures Gabriel !
Le jeune homme se passe une main nerveuse dans ses cheveux châtains.
- Je sais. J’ai foiré et j’en suis désolé. Mais j’ai une explication. J’aimerais juste qu’elle m’écoute, c’est tout.
- C’est trop tard. Oublie-la. C’est le mieux que tu puisses faire, soupire Ambre adossée à son bureau.
Gabriel baisse la tête sur ses pieds. Il a l’air vraiment touché par la situation, mais ne sait pas comment la gérer.
- Je ne peux pas, déclare-t-il d’une voix basse.
- Tu ne peux pas quoi ? demande Ambre, à bout de patience en haussant les sourcils.
Il relève ses yeux bleus sur la grande brune, une expression peinée sur le visage.
- L’oublier. J’ai vraiment envie… j’ai besoin de me faire pardonner. Je ne veux pas qu’elle est une image faussée de moi. J’ai fait une erreur et j’aimerais la réparer. Je veux qu’elle puisse choisir de me revoir ou non, en sachant qui je suis vraiment.
- Ecoute, je t’aime bien, sauf que là il ne s’agit pas de n’importe qui, mais de Lila. Elle ne paraît pas comme ça, mais elle est fragile. Alors peut être que tes intentions sont bonnes, mais je ferais tout pour la protéger et pour éviter qu’elle souffre. Si elle ne veut pas te parler, je ne vais pas lui forcer la main. Et je serais toujours de son côté. Si tu tiens vraiment à elle, fais ce que tu veux pour te faire pardonner, mais ne compte pas sur moi pour t’aider. Tu as merdé, à toi de te racheter.
Sur ce, elle se dirige vers la porte et sort. La conversation est finie. Gabriel soupire bruyamment et la suit dans le couloir. Avant d’arriver vers les clients, Ambre se retourne pour lui faire face :
- Par contre, j’espère qu’on arrivera à travailler ensemble. Je pense que c’est une bonne opportunité pour tous les deux.
Le musher hoche la tête et emmène la famille en balade.
Une semaine passe, tout à fait normalement. Lila n’aborde pas le sujet de Gabriel, mais elle est redevenue joviale. Tout semble rentrer dans l’ordre, même si Ambre sait très bien qu’elle cache sa déception sous ses sourires éclatants. Le week-end arrive et avec lui, les couples venus participer au séjour mushing qu’elles ont imaginé. Elles n’ont plus le temps de rien, entre le ménage, la préparation des chambres et des repas, si bien qu’Ambre ne sait toujours pas comment s’y prendre pour que Gabriel ne croise pas Lila. Pas simple, quand ce dernier doit passer le week-end dans un des chalets pour lui éviter de faire la route depuis chez lui. Lorsqu’elles se retrouvent pour la première fois depuis le matin dans les même pièce, Ambre demande prudemment à son amie :
- Dis-moi, je sais que c’est le sujet tabou du moment, mais comment tu veux faire avec Gabriel ?
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Ben, je suppose que tu aimerais ne pas le croiser, sauf qu’il va être dans les parages tout le week-end.
- Ne te fais pas de soucis. Tout est parfaitement normal. Si je le croise, je resterais polie et puis voilà. Je ne vois pas où est le problème.
- Ok, comme tu veux, dit Ambre dubitative, avant d’enchaîner. Au fait, je vais l’installer dans le chalet Rosa Parks.
Lila acquiesce et retourne en cuisine. Ambre se dirige donc vers les petits chalets sur la gauche du manoir. Ce sont des petites structures en bois, avec une terrasse, séparés par des haies fleuries au printemps. C’est Noah qui a fait les plans et qui les a construits. A la base, ce n’était que des prototypes pour montrer à ses clients. Ambre, voyant leur potentiel, les a utilisé pour en faire des gîtes. L’intérieur est composé d’une cuisine ouverte sur un salon-salle à manger, d’une chambre et d’une salle de bain attenante. Sur les cinq, trois ont deux chambres, permettant d’accueillir des familles. Ambre pénètre à l’intérieur du deuxième chalet et ouvre les fenêtres pour faire partir la légère odeur de renfermé. Elle se dirige vers la chambre, sort des draps propres de l’armoire et entreprend de faire le lit. Les filles ont mis un moment à trouver le nom des gîtes, mais aujourd’hui elles en sont très fières. Chaque chalet porte le nom d’une femme forte qui a marqué l’histoire : Simone Veil, Rosa Parks, Malala Yousafzai, Emma Wattson. Le dernier chalet porte le nom de l’ancienne propriétaire des lieux, Eleanor Howard, en hommage.
Le week-end se passe sans que Gabriel et Lila ne se croisent. A croire que cette dernière a installé un radar anti-Gabriel. Juste une fois, alors que Lila sortait du salon, le musher y rentrait pour prendre son deuxième groupe. Il a ouvert la bouche pour dire quelque chose, mais Lila lui a fait un sourire poli et est sortie. A part ça, tout se passe bien. Les clients ont l’air ravi. Le petit groupe s’entend bien et l’ambiance est détendue. Les touristes ont même acheté certains produits de Lila, principalement des confitures et des jus de fruits. Quand les premiers visiteurs partent le dimanche soir, Ambre commence à souffler un peu. Il n’y a pas eu d’accrocs et c’est l’essentiel.
Lila est fière d’elle. Cela fait deux jours qu’elle contrôle tous ses déplacements pour ne pas avoir à affronter Gabriel. Elle s’est retenue à plusieurs reprise d’aller voir ses chiens. Ça lui manque de ne plus partager de moments avec eux. Surtout Hel, avec qui elle a commencé à nouer une vraie relation. C’est ironique quand elle y pense, c’est Hel qui lui a fait avoir un accident, mais c’est avec elle qu’elle se sent le mieux. Au final, elle n’aura vu le musher que dimanche matin. Elle n’a pas fait assez attention et s’est faite surprendre. En le voyant, son cœur a raté un battement. Il a semblé vouloir lui dire quelque chose, mais elle ne lui en a pas laissé le temps. Elle n’a pas craqué et c’est une grande victoire pour elle. Maintenant que tout le monde est parti, elle va pouvoir décompresser. Ce n’est pas de tout repos de faire trois repas par jour pour une douzaine de personne. Et puis l’agitation permanente dans la maison lors de ces week-ends à quelque chose de vertigineux. Le soir commence à tomber et avec lui la chaleur de cette journée ensoleillée. Le temps qu’Ambre commence le ménage des chambres, Lila s’est proposée pour faire le feu dans le poêle de la cheminée. Elle se penche sur le tas de bois à côté de la grange et attrape une buche bien ronde. Au moment de repartir vers la maison, une grosse boule de poil vient la percuter avec force sur le côté, en plein sur les côtes. Elle pousse un cri de surprise et de douleur en même temps. Elle se retourne pour voir Hel faire de grands cercles autour d’elle en remuant la queue.
- Salut ma belle. Qu’est-ce que tu fais là ?
Lila s’accroupit pour se mettre à hauteur du chien et la caresse tendrement entre les oreilles. Elle passe ses doigts dans ses poils longs et soyeux, appréciant la douceur de ce moment. Sentant une crampe arriver au niveau de sa cuisse, elle s’assoit à même l’herbe. Hel la regarde un moment, puis se couche sur le dos pour guider ses caresses sur son ventre. Après un petit moment, Lila entend des pas dans son dos. Elle voit apparaitre deux pieds dans son champ de vision. Elle ne se retourne pas, sachant pertinemment à qui appartient ses boots Timberland. Après avoir gratter une dernière fois le ventre du husky, elle se lève en s’aidant de ses mains. Elle contourne Gabriel pour prendre la direction de la maison, mais il la retient une main sur le bras.
- S’il te plait, laisse-moi une chance de m’expliquer. Je sais que j’ai merdé, mais je voudrais me racheter.
- Il n’y a rien à dire, déclare calmement Lila sans se retourner.
- Je t’en prie. Juste cinq minutes. Je t’explique ce qu’il s’est passé, et après à toi de choisir si tu veux encore me parler ou non.
La jeune femme reste muette un moment. Elle ne sait pas quoi répondre. Si elle le laisse parler, elle a peur de ne pas tenir ses résolutions. En même temps, en le regardant, elle a l’impression qu’il est vraiment sincère. Ses yeux bleus paraissent plus sombres que d’habitude, plus mystérieux aussi. Elle ne peut pas y résister.
- D’accord, mais cinq minutes, pas une de plus. Viens, lui dit-elle en se dirigeant vers la grange.
Elle s’assoit sur une caisse en bois et croise les bras sur sa poitrine, attendant que l’homme en face d’elle veulent bien commencer son explication. Il s’arrête devant elle, les bras ballants. Elle le fixe dans les yeux, une expression neutre sur le visage. Il ne semble pas trop savoir quoi faire de son corps, se dandinant d’un pied sur l’autre. Il prend une grande inspiration et se lance.
- Ok. Alors par où commencer (il se frotte la nuque). Le soir où je t’ai donné rendez-vous, je suis parti tard du chenil. Je savais que je serais à la bourre, donc je t’ai envoyé un message pour te prévenir. J’avais prévu de t’emmener dans un resto sympa, en bordure du lac. Je pensais que tu attendrais moins si tu venais directement me retrouver à Sainte-Agathe. (Après un silence où Gabriel regarde ses pieds, il reprend). J’étais inquiet pour un de mes chiens, Pongo. A l’entrainement, ce jour-là, j’ai vu qu’il n’avait pas le même comportement que d’habitude. Il avait du mal à avancer, parfois il aboyait sans raisons, puis il s’est mis à marcher bizarrement. Je l’ai mis sur le traineau pour ne pas qu’il force. J’ai fait demi-tour pour le ramener au chenil au plus vite. Quand je l’ai ausculté, je n’ai rien vu de particulier, mais il n’a rien voulu manger, ni boire. Je suis partie pour me préparer, mais avant de venir te retrouver, j’étais tellement inquiet, que j’ai voulu repasser le voir. En arrivant devant son enclos, je l’ai trouvé allongé de tout son long, haletant. Il avait du mal à respirer. J’ai tout de suite appelé les urgences vétérinaires. Par chance, c’était Raphaël qui était de garde cette nuit-là.
Lila connaît bien Raphaël, c’est un autre des amis de Noah. Ils ont fait plusieurs soirées ensemble depuis qu’Ambre fréquente l’ébéniste. Elle l’aime bien, il est toujours souriant et avenant, parlant avec toutes les personnes qu’il croise, même s’il ne les connaît pas. Une vraie pipelette, pire qu’une fille.
- Il est venu immédiatement. J’étais paniqué, je ne savais pas quoi faire. Pongo commençait à avoir des convulsions. Les autres chiens, sentant que quelque chose n’allait pas, étaient très nerveux. Le temps m’a paru tellement long avant que Raph arrive. Il a tout de suite compris ce qui se passait. Pour lui, Pongo était victime d’empoisonnement. Il l’a stabilisé un peu sur place, mais a dû l’emmener en urgence à la clinique pour lui faire les soins nécessaires. Chaque minute étaient vitales. Je l’ai suivi et ai passé la nuit là-bas, en attendant de voir s’il s’en sortait. Au final, je suis sorti à cinq heure et demi du matin, une fois que Raphaël m’ait assuré qu’il ne risquait plus rien. Voilà, tu sais tout.
Gabriel, regarde Lila, prudent, attendant de voir sa réaction. Elle, ne sait pas comment réagir. Elle est vraiment touchée par son histoire. Elle est sûre qu’il dit la vérité. Il ne pourrait pas inventer une histoire pareille. Ses chiens sont vraiment tout pour lui. Un peu trop pour laisser la place à qui que ce soit pour le moment. Elle décroise ses bras et les pose de part et d’autre de ses cuisses. Voyant qu’elle ne répond rien, le jeune homme reprend.
- Lila, je suis vraiment désolé de ne pas venu ce soir-là. Je voulais vraiment que cette soirée soit réussie, mais j’ai eu vraiment très peur de perdre Pongo. Tu veux bien me donner une chance de me rattraper ?
Lila se lève et fait quelque pas dans la grange. En cette saison, une grande partie du bâtiment est vide, mais à l’automne, lorsque c’est la pleine saison de la récolte, il n’y a plus de place pour passer. Elle se retourne vers lui.
- Je suis vraiment désolée pour Pongo et je suis contente qu’il soit sorti d’affaire. Je comprends aussi pourquoi tu n’es pas venu. Tu avais une urgence vitale à gérer. Je ne te blâmerais jamais pour ça et je comprends tout à fait tes raisons. Par contre, ce que je te reproche, c’est le fait de m’avoir fait attendre deux heures dans le froid. J’ai essayé de t’appeler toute la soirée, mais tu ne m’as jamais répondu. Il aurait suffi que tu m’envoie un petit sms pour m’avertir. J’aurais compris et accepté. On aurait reporté notre soirée à plus tard.
- Je sais, dit-il en baissant les yeux, tel un petit garçon en train de se faire gronder. Mais j’étais tellement stressé et désemparé par la situation, que je n’ai pas pensé à te prévenir. Je ne pensais qu’au fait que j’allais peut-être le perdre. Tu sais, Pongo est un des chiens que m’a confié Jack après qu’il soit tombé malade. Ça n’a pas été facile pour lui de s’adapter à sa nouvelle meute et de me faire confiance. Mais aujourd’hui, il est génial et il compte beaucoup pour moi.
- Je comprends tout ça Gabriel, soupire Lila.
- Une fois arrivé chez moi, j’ai vu tous les messages que tu m’avais envoyé. Je me suis senti vraiment mal et coupable.
- En même temps, comprends-moi. Je n’avais aucuns moyens de savoir pourquoi tu n’étais pas là. Je pensais vraiment que c’était à cause de moi.
- Quoi ? s’étonne Gabriel en ouvrant de grands yeux. Pourquoi ça aurait été de ta faute ? Non, au contraire, je m’en veux terriblement. Je voulais vraiment que cette soirée soit réussie. Tu comptes beaucoup pour moi Lila, rajoute-t-il en la regardant droit dans les yeux.
A ses mots, Lila sent ses joues devenir rouge et son cœur s’emballer. Elle aimerait que ce soit simple. Elle aimerait lui pardonner et tout recommencer à zéro. Mais elle a peur de se faire avoir une seconde fois. Pourtant, elle sent qu’il n’en faudrait pas beaucoup plus au jeune homme pour la faire changer d’avis. Elle se rapproche un peu de lui. Depuis le début de leur conversation, Gabriel n’a pas bougé de place, comme s’il avait peur que le moindre mouvement la fasse fuir.
- Je te remercie pour ton explication, mais je ne sais pas si je suis prête à te faire de nouveau confiance. Qu’est-ce qui me garantit que tu ne me poseras pas un nouveau lapin ? Je comprends tes raisons, mais je vois aussi combien tu es investi dans ton travail, ce que je respecte totalement. La question c’est, est-ce que tu as vraiment la place dans ta vie pour avoir une relation ? Que ce soit moi ou une autre, est-ce que tu es prêt à laisser un peu de place ?
Lila a le cœur qui bat à cent à l’heure. Elle n’en revient pas de ce qu’elle vient de dire. Elle vient d’admettre à voix haute, que peut-être, elle serait de nouveau prête à vivre quelque chose avec un homme. Pas avec n’importe quel homme, elle le sait, mais avec Gabriel, oui. Il pourrait être celui qui change tout. Elle le sent. Il fait un pas vers elle et lui prend les deux mains. Les papillons s’envolent dans le ventre de Lila. Ils sont si proche l’un de l’autre, qu’elle peut sentir son parfum. Il la regarde dans les yeux et lui dit d’une voix grave et basse :
- Pardonne-moi pour ce que je t’ai fait. Laisse-moi une chance de me racheter. Une chance de te prouver que je vaux mieux que ça. Cette semaine sans te voir, ni te parler a été interminable. Nos échanges me manquent. Tu me manque, Lila. Je sais que je peux être obstiné, voire un brin obsessionnel quand je travaille, mais je veux faire des efforts. Pour toi. Tu mérites d’être le centre d’attention de quelqu’un, sans que rien ne passe avant toi. Laisse-moi être ce quelqu’un.
Lila a les jambes qui tremblent. Personne ne lui a jamais parlé de cette façon. Elle sent son cœur fondre petit à petit. Comment ne pas craquer quand elle se perd dans le regard bleu infini de Gabriel. Le contact de ses mains, fortes mais douces, ne l’aident pas à se concentrer. Après un silence, il rajoute la phrase qui finit de la convaincre.
- Lila, tu me plais vraiment beaucoup.
Après un moment de réflexion qui semble durer une éternité pour tous les deux, la jeune femme décide de mettre fin au suspense.
- D’accord.
- D’accord ? demande Gabriel surpris.
Elle hoche la tête. Un grand sourire s’étire sur les lèvres du jeune homme. Ses traits se détendent. Ses yeux reprennent une couleur plus claire. Fini le ciel d’orage, il est redevenu aussi clair qu’un jour d’été.
- Merci, merci, merci. Je te promets que je saurais me rattraper.
- Tu as intérêt, dit Lila en rigolant.
Elle se recule et lui sourit. Elle se sent soulagée et heureuse en même temps. Elle a vraiment envie de lui donner sa chance. Mais elle va tout de même rester prudente et y aller en douceur. En se dirigeant vers la maison, elle lui demande :
- Au final, Pongo a été empoisonné par quoi ?
- Raphaël a fait des analyses. Apparemment il aurait ingurgité des produits chimiques de type détergent. Je fais toujours attention aux endroits où je laisse mes chiens, mais lors d’une sortie, je suis tombé sur une décharge sauvage. Pongo a toujours eu la mauvaise habitude de manger tout ce qu’il trouve. Il a dû avaler ça le temps que j’appelle les autorités pour les prévenir.
Lila secoue la tête.
- Les gens sont vraiment terribles. Je ne comprends pas comment on peut laisser autant de merdes dans la nature. C’est fou.
Lila l’aide à monter Hel dans la voiture et se tourne vers lui pour lui dire au revoir.
- Je te promets que je vais me rattraper. Quand est-ce que tu serais libre ?
- Jeudi soir, ça serait parfait. Le week-end on attend pas mal de monde.
- Parfait, jeudi soir. Je vais te sortir le grand jeu, tu verras, lui dit-il avec un clin d’œil.
- Tu as intérêt. Le moindre faux pas sera éliminatoire.
Elle regarde la voiture s’éloigner sur la petite route sinueuse. Elle se sent légère, comme si le poids qu’elle trainait depuis une semaine avait disparu. La construction de ses douves n’est plus d’actualité, mais elle ne laissera pas sa forteresse sans défenses quand même. Lila sent qu’elle est à la croisée des chemins de sa vie. Soit, elle reste sur son chemin tracé, droit et dégagé. Soit, elle choisit celui qui traverse la forêt, plus sombre, plus dangereux, mais au combien plus excitant. Son pied avance tout seul, écrasant au passage les épines tombées au sol.
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