Et le soleil...
Miss Paramount, Marylin Paramount me présentais-je à l’aventurier qui devait nous accompagner (il n’a pas vraiment l’allure d’un garde du corps, comme je l’avais demandé à son employeur). Je disais « nous » car mes deux sœurs, Alice & June, auraient dû se joindre à nous. Je l’espérais, bien que ce ne soit qu’un vœu pieu.
Cette année enfin, je pouvais enfin apporter des fleurs pour Salinger, mon père, décédé deux ans plus tôt. Je n’avais pas eu l’occasion de me recueillir sur sa tombe, au cimetière de la colline des roses. Je voulais partager ce moment avec mes sœurs, en profiter aussi pour renouer avec elles.
Elles ne supportaient pas que celui qui avait été leur frère fasse aujourd’hui parti du 3e sexe. Pour elles, j’étais le ladyboy, la honte de la famille et le lieu de sépulture de mon père, c’était le grand secret, juste pour me faire du mal. Summum de la disgrâce, je serais strip-teaseuse et une personne de petite vertu qui suce des Monte Cristo à tour de bouche et une adepte du gang bang. Effectivement, je tenais parfois un homme dans la bouche, mais seulement dans l’intimité de son plaisir et du mien.
C’est vrai que j’avais un nom de scène, Miss Electrastar, mais je ne travaillais pas dans un club, j'étais la propriétaire de La Nuit des Fées, le club de strip-tease « all sexes » le plus en vogue. Je possèdais également une brasserie, Le Memoria près de la station 13 du métro. Ma sœur Alice en était la gérante, sans savoir qu’elle travaillait pour moi…
Je retardais sans cesse ma dernière opération pour rester auprès de mon père. Alors sous morphine il m’avait dit d’y aller, de faire la razzia définitive de ce qui restait de ma vie antérieure, au lieu de veiller sur un vieillard. « Tes yeux noirs vont me manquer » ont été les derniers mots que j’ai entendus. Je restais intimement convaincue qu’il m’avait fait ce cadeau pour que je puisse aller jusqu’au bout. Je ne l’aurais sans doute pas fait, ou trop tard, si j’étais restée, bouleversée par sa disparition.
Henry Darger, mon accompagnateur musclé, commençait à s’impatienter. Je terminais mon verre de cartagène. Les portes du soir était un quartier maintenant tenu par les tzars, là où se trouvait le cimetière. Ce n’était pas le péril jaune, mais ils tenaient les citadelles, le groupe d’immeubles où je venais, dans mes jeunes années, souvent jouer avec mes amis. J’y étais connue comme le pavillon rouge, et Kill Nico, n’était pas quelqu’un de très ouvert, surtout la fois où j’avais terminé en kimono dans l’ambulance lorsqu’il avait vu un bout de mon string pendant le cours de judo.
Cachée derrière les larges bords mon chapeau, nous avions laissé le manoir qui abritait le club, mes bureaux et mon domicile. Le trajet avait été rapide, il se terminait sur l’avenue de Dunkerque. Henry se gara au plus près de l’entrée et me conduisit directement vers la sépulture qu’il avait repérée plus tôt.
Mes sœurs avaient bien fait les choses en faisant graver en entête sur le marbre la maxime de notre père : « la vie est belle ». J’aimerais enclencher la machine à rattraper le temps pour le serrer une fois encore dans mes bras. J’aurais souhaité qu’il se décidât à parler de notre mère, dont on ne connaissait que le prénom, Talulla. Tant de poussière s’était amassée sur cette question, autant ne pas regretter de la laisser sans réponse ni conjecture. Je laissais sur la pierre glacée le baiser que j’aimerais lui donner. Je ne devais pas trop m’attarder dans ce quartier, « au revoir papa ».
Annotations
Versions