Jack dernière partie

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— Le bordel de Lilith, murmura-t-elle dans un souffle.

La joie s’envola d’un coup. Les visages devinrent graves. C’est une très vieille femme qui continua les explications.

— On raconte que l’un des premiers à avoir traversé le passage originel a réussi à faire le chemin inverse. Il a aimé le peuple que nos anciens avaient fui. Il devint un passeur et permit ainsi que des sapiens passent de l’un à l’autre monde, à leur guise. Le premier protecteur ne put se résoudre à laisser ces femmes et ces hommes apportant la souffrance envahir ce monde. Un accord fut passé entre humains et mi-hommes. L’étendue d’arbres autour de ce passage fut nommée la forêt de Lilith, du nom de la compagne du passeur. Cet endroit appartient désormais aux habitants des entre-deux mondes et possède ses propres lois. Tant qu’ils ne sortent pas de la forêt, ils sont libres de faire ce qu’ils veulent. Il ne nous est pas interdit d’y pénétrer, mais à partir du moment où l’un de nous va chez les sapiens par ce passage, il ne sera plus considéré comme l’un des nôtres.

— Qu’est-ce que tu appelles les mi-hommes ? demanda Jack après quelques minutes de réflexion.

Le loup d’Aïcha lui donna sa réponse. Jack le vit apparaître derrière sa compagne et se mettre sur ses pattes arrière. Il se transforma en quelque chose qui ressemblait à un loup-garou. Puis son apparence devint celle d’un humain totalement nu.

— Je te présente mon compagnon, dit Aïcha sur un ton badin. Il se nomme Jay.

— Salut, Jay, répondit Jack machinalement.

Devant ses yeux et sa bouche grands ouverts, Jay ne put se retenir d’éclater de rire, emportant dans son hilarité, la meute et Jack lui-même.

*

La marche pour aller jusqu’à Cobannos fut agréable. Aïcha apprit à Jack beaucoup de choses sur le monde caché des dragons. Jay ne reprenait jamais sa forme humaine. Ce mi-homme avait choisi de vivre loup après la naissance de leur deuxième enfant. Sa compagne et lui formaient un couple très uni. Il semblait à Jack que parler leur était inutile.

Jack aimait ce monde. Il se sentait libre, il se sentait bien. La légèreté avait envahi son esprit. La curiosité et les échanges entre lui et les personnes qu’ils croisaient étaient empreints d’un respect et d’une joie qui surprenaient Jack. Son arrivée à Cobannos ne passa pas inaperçue. Partout où son regard se posait, Jack ne voyait que satisfaction et espoir. Quand il pénétra dans l’enceinte de la fosse, un dragon blanc venait de prendre son envol avec ce qui semblait être une fillette sur son dos. Après quelques minutes d’émerveillement, Jack se tourna vers Aïcha.

— Vous laissez les enfants monter sur des dragons ?

— Eoline est loin d’être une enfant. De plus, elle est le meilleur dragonnier qui existe, à Cobannos comme ailleurs. C’est une femme de petite taille. Ce que ceux de votre monde nomment naine.

— Elle est époustouflante, murmura Jack, les yeux toujours fixés sur le dragon qui formait des cercles pour prendre un courant ascendant.

Jack s’en détourna enfin et croisa le regard d’un homme immense. Immense et noir. Il ne réfléchit pas un instant. Son « Salut négro » claqua avec une bonne humeur manifeste. L’homme le fixa avec intensité, une pointe de colère qui se transforma en peine. Le colosse se détourna de lui sans un mot et partit d’un bon pas. Il était clair pour Jack qu’il avait commis une erreur. Il n’avait rencontré aucun noir depuis son passage. Le premier qu’il voyait ne pouvait que venir de son monde. Jack comprenait le sentiment qui devait habiter son homologue qui venait d’atteindre l’autre côté de cette fosse ressemblant à un trou en forme de haricot géant. En face de lui, l’homme noir fut englouti dans une grotte noire transformée en forge, au creux de la montagne noire. À l’entrée, un homme dont la posture et les vêtements ne laissaient aucun doute sur sa nature de mi-loup se tenait debout en scrutant Jack.

— Tu viens de faire la connaissance de Gobos. Il est le seul homme à la peau sombre de ce monde, lui expliqua Aïcha. Ne t’en fais pas, ajouta-t-elle devant le malaise de Jack. Négro ne veut rien dire dans ce monde. Je te demande de ne plus l’utiliser.

Jack opina de la tête d’un air triste.

— Demat’dit, messagers des ombres. C’est toujours un plaisir de vous voir.

Aïcha se retourna, elle serra dans les bras la femme venue à leur rencontre. Brune, un peu plus petite qu’Aïcha, elle portait sensiblement la même tenue que les membres de la meute de Dib. Jay leur tournait autour avec une joie manifeste, poussant quelques bruits de gorge. La femme encercla la taille de son amie et se tourna vers un Jack subjugué. Certaines femmes de ce monde exerçaient sur lui une sorte de magnétisme étrange. Celle qui le regardait le troublait au plus haut point. Il eut l’impression que cette sensation était partagée, mais, à la différence de lui, la femme semblait lutter contre.

— Demat’dit homme de l’autre monde, le salua-t-elle. Mon nom est Hawa. Nous attendions votre arrivée. Deux des tiens ne devraient plus tarder. Tu es le bienvenu. Quel est ton nom ?

— Jack, répondit-il perturbé.

— Quelle est cette étrange tenue que tu portes ?

— C’est mon uniforme. Je fais partie du corps des Marines des États-Unis d’Amérique.

— Tu es ce que les sapiens appellent militaire ? demanda Aïcha avec crainte.

Jack fut dérangé par la manière dont les deux femmes le fixèrent en cet instant.

— Pourquoi un de ces monstres est venu jusqu’à nous ? demanda Hawa comme si Jack n’existait plus.

— Monstre ? Vous y allez un peu fort. Je suis un guerrier, pas un monstre.

— Un guerrier, répéta Hawa sans comprendre.

— Il n’y a ni guerrier ni guerre de ce côté du passage, affirma Aïcha avec dégoût.

— OK, dit calmement Jack en levant les mains à hauteur de ses épaules en signe de paix. Je ne sais pas pourquoi je suis là si vous n’avez pas besoin de mes compétences. Seulement, d’après Tala, j’ai une mission ici, pour vous aider à ramener l’équilibre et que s’arrêtent les catastrophes. Alors je fais mon truc, continua-t-il, mal à l’aise, car Hawa se rapprochait de lui, et je rentre chez moi.

— Pourquoi tu as fait cela ? demanda Aïcha.

Jack la regarda sans comprendre.

— Ce n’est pas moi, répondit Hawa tout aussi surprise. Je n’ai pas un tel don. Seule la magie peut faire ça.

Jack se retrouva encadré par les deux femmes qui le détaillèrent de haut en bas. Hawa ne put se retenir de tendre l’une de ses mains sur la poitrine de l’homme qui prit conscience qu’il n’en était plus un.

C’est quoi ce bordel ! s’énerva-t-il. Pourquoi je suis devenu une fille ?

— Pour le savoir, il faudra attendre Fanchon.

Le trio pivota pour faire face à la nouvelle venue. Autant les cheveux d’Hawa étaient d’un brun noir, autant ceux de sa sœur jumelle avaient capturé le soleil. Bien que les traits de leur visage fussent différents, Jack n’eut aucun mal à faire le lien entre les deux jeunes femmes. Le visage de la jolie blonde dévoilait une grande douceur et de la bonté, alors que celui de la brune était empreint d’une force de volonté et de détermination. Leurs voix s’opposaient également. Celle tranchée de Hawa contrastait avec la douce mélodie qui sortait de la bouche de sa sœur.

— Demat’dit homme de l’autre monde. Je suis si contente de te voir enfin, dit-elle avec douceur. Ne t’inquiète pas de l’apparence que tu viens de prendre. La magie des protecteurs s’est répandue en toi. Il y a une raison à toute chose. Si tu es devenu femme, alors tu dois tirer une leçon de cet état.

Jack leva les yeux au ciel. Étant donné ce qui s’était passé avant qu’il n’atterrisse dans ce monde, il n’avait pas besoin qu’on lui en dise plus.

— Tu dois être fatigué par tous ces chamboulements. Que dirais-tu d’un bon bain et d’une bonne nuit de sommeil ?

— Je pourrais avoir quelque chose à manger avant de me coucher ? demanda Jack qui commençait sérieusement à avoir faim.

Sa question fit rire Aïcha qui n’osa pas le regarder.

— Bien sûr. N’aie crainte. Fanchon nous a expliqué comment se nourrissaient les sapiens. Nous n’avons pas la même nourriture que dans ton monde, mais nous avons prévu suffisamment de variété pour que tu aies de quoi t’alimenter.

Jack était troublé par la grande bienveillance qui émanait de cette jeune femme. Lui qui n’avait jamais bénéficié de tendresse ni d’affection au sein de sa propre famille sentit une douce chaleur l’envahir. Autant Hawa provoquait en lui un désir charnel, autant sa sœur était l’incarnation de la petite chose que l’on souhaite protéger.

— Mon nom est Pandora. Je suis le maître de Cobannos. Si tu as besoin, demande, ajouta-t-elle avec un sourire qui ôta toutes les peurs qui auraient pu subsister chez le sapiens.

— Je m’appelle Jack, lui répondit-il comme ensorcelé.

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