Djibril 1/3
Djibril réfléchissait sans se soucier des gens qui l’entouraient. Il se remémorait en boucle les paroles de l’imam de son école coranique. Il était conscient que sa décision de faire porter le foulard à sa sœur allait être source de problèmes. Il ne voyait pas pourquoi Sarra s’obstinait à ne pas vouloir faire comme les autres femmes. On parlait derrière son dos et cela ne lui plaisait pas. Que sa foi soit remise en cause pour un voile le mettait en colère. En cet instant, cette colère était dirigée contre sa sœur. Il faisait tourner en boucle les paroles qu’il aurait à dire pour asseoir son autorité.
Depuis que son époux était mort, Sarra avait pu respirer un vent de liberté. Djibril et sa femme avaient été si heureux de l’accueillir, ainsi que son petit garçon. La joie régnait dans son foyer, que ce soit entre les femmes ou entre leurs enfants. Tout le monde s’était accommodé du peu de place qu’offrait la demeure. Fatima parlait parfois d’aller vivre dans le village de ses parents, où, disait-elle, une grande maison les attendait. Toujours d’après son épouse, les habitants seraient ravis de la venue d’un jeune imam dans leur communauté.
Djibril avait travaillé dur pour avoir sa place dans la grande mosquée. Renoncer juste parce que sa sœur refusait de porter le hijab le plongeait dans un désarroi sans fond.
Il traversa le souk et se faufila dans les ruelles qui le menaient chez lui. Il baissa la tête pour éviter d’être aveuglé par le soleil couchant dont les rayons inondaient la rue à cette heure. Cela le fit sourire. Comment pourrait-il être aveuglé, lui, le croyant, le messager ? Il releva fièrement la tête et marcha droit devant lui, jusqu’au croisement qu’il franchit d’un pas sûr et décidé.
De l’autre côté…
*
Encore ébloui, il lui fallut un moment pour comprendre où il ne se trouvait plus. Le jeune homme était dans une immense fosse aux parois abruptes et ocres. Il pivota et aperçut la montagne se trouvant plus haut. La terre d’un orange vif, presque rouge par endroit tranchait avec la roche d’un noir très sombre. Djibril mit un temps avant d’oser s’avancer vers la rampe qui montait vers un surplomb.
Eoline et Cordelia se tenaient au sommet. Djibril s’arrêta, surpris par l’apparition des deux dragonnières. Lui qui pensait faire plier sa sœur pour porter un foulard se retrouvait devant une naine et une femme aux cheveux si longs que la tresse nouée sur son crâne lui faisait comme une couronne. Leurs vêtements leur donnaient l’apparence de guerrières insoumises.
— Demat’dit homme de l’autre monde. Mon nom est Eoline. Nous t’attendions avec impatience.
Djibril se sentit flatté par ces paroles.
— As-salam 'alaykoum, salua-t-il.
Devant leurs visages surpris, Djibril comprit qu’il ne serait pas en terrain conquis. S’il avait un doute, l’attitude fière des deux femmes lui confirma sa première impression. Il en fut tout à fait sûr quand on le présenta à deux autres femmes plus jeunes que lui. Les hommes qui les entouraient lui intimèrent la prudence.
— Demat’dit homme de l’autre monde. Mon nom est Hawa.
— Demat’dit homme de l’autre monde. Mon nom est Pandora. Je suis le maître de Cobannos, expliqua-t-elle en écartant les bras. Soit le bienvenu dans le monde caché des dragons. N’aie crainte. Deux des tiens sont déjà arrivés. Ils se feront un plaisir de répondre à toutes tes questions, avec vos mots.
Djibril fut heureux à l’idée de pouvoir parler à des frères. Joie qui s’effaça en voyant arriver une femme noire, athlétique, portant un uniforme américain et un homme dont le blond ne présageait rien de bon.
— As-salam 'alaykoum, bredouilla-t-il, plus par habitude que par conviction.
— Wa 'alaykoum As-salam, répondirent les deux sapiens à l’unisson.
Même s’il était évident que ces deux personnes n’étaient pas musulmanes, l’Arabe ressentit une grande joie devant l’effort consenti.
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