Wolfgang 2/3
Fanchon et Esteban m’apprirent beaucoup sur ma nature d’homme-loup, sur ce monde et son histoire. Ils me donnèrent une de leurs tenues. Je compris vite le côté pratique des ouvertures du sarouel. Être un loup était étourdissant. Je prenais toute la mesure des capacités de mon corps. Je ne pouvais m’empêcher de penser à toutes ces années de captivité de Groß Grau. Comme il serait bon de courir, côte à côte.
Nous arrivâmes à Cobannos, trop rapidement à mon goût. Je dus reprendre forme humaine et la garder. Je remis mes anciens vêtements à regret, mais Fanchon m’affirma qu’ainsi vêtu, la tentation serait moins grande. Chez les humains, les mi-loups devaient taire leur nature pour vivre en harmonie avec les habitants. Une règle très simple avait été établie. Si aucun danger ne l’imposait, les formes loup ou mi-humaine n’avaient pas lieu d’être. Mon désappointement fut de courte durée quand j’appris que l’un des nôtres vivait non loin de la dragonnerie. Tout le monde connaissait la nature de Féréol, le maître forgeron. Celui-ci avait choisi de vivre parmi les humains. J’avais hâte de le rencontrer, ainsi que sa compagne, Eoline.
Cobannos n’avait rien de l’idée que je m’en étais faite. Je m’attendais à des habitations médiévales. J’aurais facilement pu me croire sur le site troglodyte de Jonas si l’architecture rudimentaire, presque primitive ne côtoyait pas des cabanes en bois et en terre. Des décombres habités me surprirent. Je pris conscience de l’étendue des dégâts que subissait ce monde. Fanchon et Esteban m’avaient parlé longuement de la raison de ma présence auprès d’eux, mais tout à ma frénésie de profiter de ma transformation, je n’écoutais que d’une oreille distraite. À présent, mon attention se tournait vers ces gens qui nous souriaient avec bienveillance.
Emmené à la dragonnerie, je tombai en admiration devant cette fosse immense. À croire que le dragonnier qui fit atterrir son dragon sur le promontoire surplombant le gouffre n’avait attendu que moi. J’en aurais presque pleuré de voir cette magnifique bête ainsi devant moi. Il était d’un blanc crème par endroit, d’un blanc pur sur la majeure partie de son corps recouvert de fourrure épaisse. Je le regardais de tous mes yeux quand une petite chose toute aussi magnifique me salua.
— Demat’dit frère d’un autre monde.
— Eoline, murmurai-je dans un souffle.
Le sourire resplendissant de cette femme de petite taille me fit comprendre que je ne me trompais pas. Elle éveilla en moi une sensation étrange que je n’avais jamais ressentie auparavant. Une envie de la protéger, l’envelopper malgré la force que je sentais en elle. Je fronçai les sourcils, comme pour mieux me concentrer.
— Ce que tu ressens est normal, dit un homme posté derrière Eoline.
Il me tendit sa main droite et la joie m’envahit de plus belle.
— Demat’dit frère, ajouta-t-il en achevant son salut d’homme-loup. Je suis heureux de savoir que notre survie ne dépendra pas uniquement de cette drôle de chose qui nous est arrivée avant le zénith du soleil.
*
Une onde de complicité palpable entourait Eoline, Féréol et Wolfgang. Fanchon ne se fit pas prier. Elle laissa le jeune homme aux bons soins du couple qui lui fit visiter Cobannos comme s’il avait été un membre de leur famille. Ama et Melchior, les parents de la petite femme l’accueillirent à bras ouverts et lui firent partager leur repas. Gobos, qui voulut voir si le nouveau venu était du même acabit que l’Américain, eut un mouvement de recul en apprenant qu’il était Allemand. Ses peurs s’effacèrent bien vite devant la nature d’homme-loup du jeune homme.
Quand Wolfgang arriva dans la salle commune de la dragonnerie, il en savait plus sur toute la cité que Jack. Celui-ci l’accueillit avec un soulagement manifeste. Assis à l’une des grandes tables, l’Américain résuma sa vie de Marines dans les grandes lignes. L’Allemand se montra plus passionné par sa vie de soigneur animalier spécialisé dans les loups.
— Comment se fait-il que tu parles si bien ma langue ? demanda Wolfgang.
— Ta langue ? s’étonna Jack.
— Aucun de vous ne parle la langue de l’autre, les informa Pandora.
Les deux hommes tournèrent la tête vers les femmes qui se tenaient à leur côté. La bouche de Wolfgang s’ouvrit en grand, lui donnant un air idiot qui fit rire les hommes qui venaient juste d’apparaître derrière Hawa, Pandora et Eoline. Jack tendit une main vers le menton de Wolfgang et lui ferma la bouche.
— Ferme-la, le nargua-t-il, ou tu risques de gober une mouche.
Wolfgang fit les frais de l’hilarité qui s’empara de l’assemblée entourant leur table. Il n’en détacha pas pour autant ses yeux d’un bleu limpide de ceux de Pandora.
— Comment se fait-il que nous nous comprenions ? enchaîna Jack quand les rires diminuèrent.
— C’est le passage qui a annulé les barrières que causent vos langues.
Les hommes et les femmes laissèrent la place à celle qui venait de s’exprimer. Fanchon s’approcha de la table. Elle s’assit sur un siège amené par Hawa, avant de sourire tendrement à Wolfgang. Il se sentit gêné un bref instant, puis se redressa pour l’écouter.
— Demat’dit Jack, dit-elle doucement. Mon nom est Fanchon.
— Ravi de faire enfin ta connaissance, lui répondit-il. Pratique le coup de la mono langue. Il faudrait ça chez nous. Cela résoudrait beaucoup de problèmes.
— Ou en ajouterait, répliqua Fanchon.
— Pas faux, ajouta Jack qui fixait cette curieuse femme avec intensité.
— Tu peux poser tes questions. J’y répondrai avec plaisir.
Jack laissa ses yeux détailler chacune des personnes autour de la table comme pour les évaluer. Il avait fait la connaissance de Hawa, Pandora et de leur père Sacha. Féréol et sa famille étaient restés en retrait. Quant à Gobos, il valait mieux avoir à faire à sa compagne Azia. Cet homme le fuyait.
— Pourquoi il est le seul noir ? demanda-t-il en pesant chacun de ses mots.
— Parce que seuls les sapiens ont des races bien distinctives.
— Et il vient de notre monde, affirma-t-il, plus pour compléter la réponse de Fanchon que pour poser une question.
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