Le don 4/7
— Exactement.
— Dans le monde sapiens, continua Fanchon, nous ferions la différence entre le sang pur ou le métissage. Cette notion n’existe pas ici, mais si nous nous arrêtons d’un point de vue purement génétique, c’est de cela dont il est question.
— Comme la mule qui ne peut se reproduire.
— Oui. Tu as trouvé le bon exemple. Un âne et un cheval sont deux équidés. Quand tu les regardes de loin, il n’y a pas de différences. Pourtant la femelle de l’un ne peut enfanter naturellement du mâle de l’autre. La nature notre mère l’a permis dans ce monde. Nul ne sait pourquoi une telle chose a été possible, mais au vu de ce qui se passe chez sapiens, c’est peut-être ce qui va nous permettre de sauver notre espèce dans ce monde-ci. Pas besoin de biologistes pour savoir pourquoi deux personnes ne peuvent pas procréer ensemble, alors qu’ils ont déjà eu des enfants.
— Cela arrive aussi chez nous.
— Sauf que pour les hommes-loup, c’est différent, poursuivit Esteban.
— Arrive l’imprégnation.
— Exactement. Les loups des sapiens forment souvent des couples pour la vie. Les hommes-loup ont besoin de cette alchimie pour procréer.
— Sans cela…
— Pas d’enfant. Ils peuvent avoir la compagne qu’ils souhaitent. L’amour n’a rien à voir avec cet état. L’imprégnation est une force quasi mystique qui enlève à ceux qui la ressentent une partie de leur libre arbitre.
— C’est la raison pour laquelle Hawa est attirée par moi.
— Une partie d’elle sait qu’il faut s’accoupler avec toi si elle veut porter la vie, confirma l’Okami. Dans ce monde, l’ego n’a pas vraiment de sens. On ne fait pas de projets de carrière pour amasser des richesses. Être heureux ne veut rien dire. Nous le sommes tous naturellement. Quelque chose ne te convient pas, tu y mets fin.
— Aussi simple que ça ?
— Aussi simple que ça, répéta Fanchon. Hawa est poussée par le besoin de donner la vie, parce que le seul but de l’existence de tous les êtres vivants, dans ce monde comme dans l’autre, et pour n’importe quelle espèce, n’est pas d’amasser des biens matériels, mais de faire perdurer la vie. Tout le reste, c’est cadeau. Quand des humains se retrouvent avec un enfant mi-loup, il n’est pas rare qu’ils ne l’élèvent pas, ou que le couple se sépare. Les deux espèces sont trop différentes. Les hommes-dragon guident ces enfants, voire le parent et son enfant, vers une meute, où on les accueille à bras ouverts.
— Le parent ?
— Oui. Il n’y a pas de séparation homme femme comme chez les sapiens. Ce qui est vrai chez toi, ne l’est pas ici.
— Comme la lessive, ajouta Jack avec un rictus.
— Comme la lessive, s’en amusa Fanchon. À part cela, pas de contraintes dues à une hypothétique classe sociale, pas de racisme, ni de sexisme. Tout cela n’existe pas. Les joies, les rires, l’amitié, l’amour, le partage et j’en passe ; cadeau. Pas de métro, boulot, dodo ; pas de société de consommation ; de pouvoir d’achat. Tu as faim, manges. Tu as soif, bois. Tu as froid, prends ce vêtement bien chaud et viens te mettre près du feu. L’instinct maternel lui-même n’a pas besoin de lier une mère et son enfant. Pareil pour l’instinct paternel. L’amour est en chacun de nous, il est partout. La femme qui porte nourrira son bébé. Si c’est la voisine, c’est pareil. Nul ne peut retirer un enfant à sa mère, mais celle-ci n’ira jamais se plaindre de voir la communauté gérer ce qu’elle ne souhaite pas prendre comme sa charge.
— Comme dans une meute.
— Tout à fait. Une naissance est tellement rare, qu’il n’y a pas de contraception, pas d’avortement. Ici, ça n’a pas de sens. Les femmes enceintes sont peut-être un peu trop surprotégées, si tu compares à celles des sapiens, mais ce ne sont que quelques lunes qui passent si vite. Et puis, il y a peu de morts dues à une grossesse ou une naissance. C’est donc que tout est bien.
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