Chapitre 3: Yuki l'Esper
Sans aucune autre forme de sommation, la fille à la chevelure de flammes s’élança sur moi. Sa vitesse était surhumaine. J’eus à peine le temps de cligner des yeux qu’elle avait franchi la courte distance qui nous séparait. J’esquivai maladroitement le coup de poing qui aurait dû me briser le nez d’une roulade sur le côté. Malheureusement, mon champ d’action était considérablement réduit par l’amoncellement de meubles qui se trouvaient tout autour de nous. Fuir allait se révéler compliqué. Ruser était ma seule option dans cette situation. Je devais détourner son attention en attendant de déceler une ouverture.
Yuki m’interrompit dans mes réflexions. La lame aiguisée d’un couteau d’argent se refléta sur ma rétine. J’eus tout juste le temps de me saisir du premier objet qui me passa sous la main pour me protéger de cette arme. Ainsi, je brandis un couvercle de poubelle en plastique devant moi dans l’espoir de gagner ne serait-ce qu’une milliseconde. Mais mon action fut inutile. Yuki trancha mon bouclier comme du papier mouillé. L’onde de choc résiduelle qui se propagea dans mes bras me fit reculer de trois pas, jusqu’à ce qu’une surface lisse et froide m’empêche d’aller plus loin.
Mon cœur s’accéléra encore davantage dans ma poitrine, manquant de lâcher à chaque battement. J’étais désormais dos au mur, sans aucune échappatoire. Je les voyais luire dans la pénombre, les yeux ambrés de ma chasseuse, des yeux dénués de toute humanité.
Et après, c’était moi qui n’étais pas humain ? Ses mouvements, son apparence, sa personnalité… tout chez elle relevait du monstre !
Lorsque cette folle repassa à l’attaque, mon corps agit par lui-même. Sans savoir comment, je me saisis d’un énorme fauteuil à côté de moi et, par un tour de force, je réussis à le jeter sur Yuki. Armée de son simple couteau, elle ne put éviter un tel objet et tomba à la renverse. Je profitai de cette occasion inespérée pour prendre mes jambes à mon cou sans demander mon reste.
Tout en courant aussi vite que mes muscles me le permettaient, je composai le numéro du professeur dans l’espoir d’obtenir de l’aide. Lorsque j’émergeai enfin de ce sous-sol et me retrouvai dans la cour de l’école, elle était entièrement vide. J’avais beau appeler au secours, nul ne pointa le bout de son nez, comme si l’endroit avait été abandonné. Mais je n’avais pas le temps de me préoccuper de ce détail, je devais sauver ma vie d’abord et réfléchir ensuite.
Soudain, mon téléphone vola en éclats dans ma main, comme si une bombe avait été placée à l’intérieur et quelques morceaux de verre s’enfoncèrent dans ma chair. Cependant, l’adrénaline qui parcourait mes veines à ce moment-là me fit ignorer la douleur, conscient que j’avais frôlé la mort de très près.
Je m’arrêtai net, pétrifié, puis me retournai lentement, la respiration haletante. Elle était là, à quelques mètres de moi, debout sur un monticule, dans une position dominante, Yuki Fuyuku, l’Esper, qui m’avait pris en chasse. Ses yeux dorés brillaient au crépuscule et dans sa main scintillait la lame d’une longue épée d’or. Derrière elle, le soleil cramoisi du soir donnait à ses cheveux de feu, qui ondulaient lentement au gré du vent, des reflets orangés. Ils flamboyaient, tel un brasier sur le point de tout emporter sur son passage. C’était un tableau à la fois magnifique et effrayant. J’étais cloué sur place, autant devant la beauté et la grâce qui se dégageaient de la posture de l’Esper que de peur. Je le savais, j’étais totalement impuissant face à elle. Si le professeur m’avait envoyé en mission d’infiltration, c’était bien parce que je n’avais aucun pouvoir, je ne le réalisais que maintenant. Je n’étais qu’un humain normal à la naissance atypique. Que pouvais-je faire contre le monstre qui se tenait devant moi à part regarder la mort dans les yeux ?
Mon poing se serra. Non. Ma vie ne pouvait pas s’arrêter aussi vite. Je ne pouvais pas disparaitre ainsi, pas avant d’avoir compris le but de ma création et la véritable raison de ma présence dans ce monde cruel. Ce n’était pas mon destin !
Une sensation étrange, que je n’avais pas éprouvée depuis le jour de ma naissance, se propagea dans mon corps. Un afflux d’énergie surgit du plus profond de mon être et fit battre mon cœur plus vite et plus fort. Tous mes muscles se bandèrent bien au-delà de leurs capacités normales. Autour de ma peau, une lueur singulière se mit à luire faiblement, comme une aura blanche et immaculée. Ma vision devint plus performante que celle d’un aigle. Mon audition me permit d’entendre le bruissement des feuilles au loin et le sang tambourinant contre mes veines. Le temps sembla ralentir… ou alors était-ce moi qui étais plus rapide ?
Le visage de mon ennemie se crispa face à mon brusque changement d’attitude. Je fléchis légèrement les jambes et dépliai mon bras devant moi dans une position de combat qui m’était inconnue, mais totalement naturelle.
Néanmoins, la jeune fille ne se laissa pas déconcerter pour si peu. Dans un silence absolu, tel un ninja de l’ombre, elle se jeta sur moi, l’épée brandie en avant. Mais elle était trop lente. Son arme ne trancha que du vide lorsqu’elle tenta de l’abattre sur moi. Un seul bond de plusieurs mètres en arrière avait été suffisant pour me permettre d’esquiver et de me remettre en position.
Face à ce retournement de situation, la nouvelle élève fronça les sourcils. Son visage froid et inexpressif laissa quelques instants place à un l’étonnement, instants dont je profitais pour contre-attaquer. Je franchis la distance qui nous séparait en un battement de cils pour me retrouver juste derrière la jeune fille, prêt à lui asséner un violent coup de poing.
Sans surprise, elle para mon assaut avec son épée en se retournant brusquement. Lorsque mes doigts frôlèrent le plat de sa lame, un picotement désagréable m’envahit. Je reculai vivement, troublé. Même si tout paraissait normal en apparence, cette arme médiévale était peut-être plus dangereuse qu’elle en avait l’air. Un unique contact avait été suffisant pour me brûler la peau, comme si j’avais plongé la main dans un bouquet d’orties. Se pouvait-il que la surface ait été imprégnée de magie ? Je n’avais pas particulièrement envie de tester pour le savoir et pris la ferme résolution de tenir compte de cela à l’avenir… si avenir il y avait pour moi.
Nous marquâmes tous les deux une pause dans notre affrontement pour examiner l’autre. Yuki ne s’attendait apparemment pas à ce que je réussisse à survivre à son attaque. Mais, moi, malgré mes aptitudes décuplées, j’étais incapable de percer à travers ses défenses. J’avais simplement la confirmation que je possédais bel et bien des pouvoirs. Restait à savoir si j’allais vivre assez longtemps pour m’en servir à nouveau.
— Qu’est-ce que tu me veux à la fin ? m’écriai-je entre deux respirations.
Aucune réponse. Mon assaillante, avec un cri de rage, se jeta de nouveau sur moi, l’épée brandie en avant. J’esquivai nombre de ses charges fulgurantes avec une étrange facilité, tandis que je sentais l’énervement gagner mon ennemie qui était incapable de me toucher. Cependant, j’étais tout aussi impuissant qu’elle à riposter. Elle ne me laissait pas un seul instant de répit.
Après plusieurs secondes, je crus discerner une ouverture au milieu de la rafale de frappes que me portait Yuki. Ainsi, alors que son attaque se faisait plus lente que les précédentes, je sautai sur la lame pour l’immobiliser à terre. Cependant, mon plan ne se passa pas comme prévu. L’Esper, surprise, lâcha son arme d’un seul coup tandis que je me tenais encore dessus et je m’écrasai sur le sol de la cour, sonné.
Le temps de reprendre mes esprits, il était déjà trop tard. Le pied posé sur mon torse pour m’empêcher de me relever, la furie me dévisageait avec mépris, la pointe de son épée prête à me transpercer la gorge.
— C’est terminé, familier, haleta-t-elle, tout aussi exténuée que moi.
Avec un nouveau cri de colère, la jeune fille tenta de me finir une bonne fois pour toutes, mais contre toute attente, je réussis à saisir la lame entre mes mains pour bloquer son attaque mortelle. Mon adversaire écarquilla les yeux de surprise tandis que j’essayais de lui lancer un sourire narquois malgré la douleur qui se répandait dans mon corps au contact de ce fer ensorcelé.
— Non, ce n’est pas terminé.
Puisant dans mes ultimes ressources et n’ayant plus d’autre solution, je desserrai légèrement ma prise. Je sentis l’épée glisser le long de mes mains sans les trancher. Mais, alors que la pointe n’était plus qu’à un millimètre de ma gorge, je m’emparai du poignet de Yuki avec toute ma force, la stoppant net dans son élan.
Sous l’effet de la surprise et de la douleur, elle lâcha son arme. Je la fis basculer sur le côté tout en gardant ma prise pour l’empêcher de se débattre et la maitriser. Toute la rage avait disparu dans ses yeux pour ne laisser place qu’à une peur indescriptible.
— Co… comment ? bafouilla-t-elle à son tour.
— Tu l’as dit toi-même, je ne suis pas humain, rétorquai-je avec ironie.
— Non… tu n’es pas humain… mais tu n’es pas non plus un familier, continua-t-elle d’une voix tremblante.
— Aux dernières nouvelles, j’en suis un, répondis-je, confus face à ce retournement de situation.
— C’est faux. Tu n’en es pas un. Aucun familier ne devrait pouvoir me toucher avec mon sort de protection ! Qu’es-tu réellement ?
— Si seulement… je le savais moi-même… murmurai-je, les doutes envahissant mon esprit.
D’un seul coup, le doré des yeux de mon adversaire s’évapora, rendant à ses iris leur bleu azur naturel. Comme si toutes ses forces s’étaient envolées en une fraction de seconde, Yuki Fuyuku perdit connaissance et s’effondra dans mes bras.
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