Journal d'un confinement - 16 mars 2020
A l’annonce, j’ai cru sentir le sol s’ouvrir sous mes pieds. Confinés. Confinés pour deux semaines à partir de demain. Je n’ai jamais redouté autant quoi que ce soit, de toute ma vie.
Bien sûr que ce n’était pas une surprise. Je ne suis pas stupide. Comme tout le monde, je m’y attendais depuis plusieurs jours maintenant. Mais tout mon être voulait croire au miracle.
Deux jours. J’avais seulement besoin de deux petits jours de plus. Tout était organisé, prévu. Le 18 mars, nous devions nous rendre Gare du Nord, Emma et moi. C’est trop risqué de prendre ses billets soi-même, et plus encore de les conserver chez soi. L’association s’en charge et envoie quelqu’un nous les remettre juste avant l’embarquement. Nous aurions filé vers Bruxelles où nous ne connaissons personne, et où personne ne nous connaît. Un petit boulot et une place au lycée nous y attendaient déjà. Ainsi qu’une chambre dans un foyer. L’argent que j’ai mis de côté devait nous permettre de n’y rester que le strict nécessaire.
Ça m’aurait laissé, oh, pas grand-chose, quelques heures devant moi. Ce n’était pas la durée qui importait. C’était la certitude qu’il ne rentrerait pas à la maison à l’improviste comme il en a l’habitude, juste pour voir si je suis là et ce que je fais. C’est facile pour lui : il se déplace toute la journée de client en client, jamais très loin de notre domicile. Il y a des jours où il repasse plusieurs fois dans la matinée et l’après-midi, toujours sans prévenir.
Ce 18 mars, il devait partir en Province pour former un nouveau collègue. Quand son patron le lui a annoncé, ça l’a mis tellement en rogne qu’il a parlé de donner sa démission plutôt que d’obtempérer. Puis j’imagine qu’il a dû réaliser qu’il aurait du mal à retrouver un poste qui présente autant d’avantages, et en particulier celui de pouvoir me surveiller à sa guise. Il s’est donc résolu à l’idée de ce déplacement. Je ne sais pas ce qui l’y a le plus aidé : la perspective de convertir en bouteilles de Jack Daniels la prime qui allait avec, ou la satisfaction de m’avoir cassé deux côtes parce que je devais sans doute me réjouir à l’avance de nous savoir éloignés.
Ce soir, j’ai eu du mal à ne pas m’effondrer après l’allocution télévisée.
A l’heure où j’écris ces lignes, je me fous éperdument du nombre de morts que deux jours de plus sans confinement auraient pu provoquer. La seule chose à laquelle je suis capable de penser est que les mesures prises pour contenir l’épidémie de covid-19 viennent de refermer la mince fenêtre de tir qui s’offrait à moi. Et qu’il n’y en aura peut-être jamais d’autre.
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