Chapitre 13 - 22 avril, Malibu

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Les deux motos montèrent quelques centaines de mètres d’une petite route aux virages serrés dans une végétation méditerranéenne. Arbustes épineux, aloès, figuiers de barbarie poussaient sur un sol sec et rocailleux. Le contraste était important avec les parcs et jardins des villas où l’arrosage intensif permettait la croissance de pelouses d’un vert intense et de fleurs de toutes formes et couleurs. La propriété de John Freeman était accessible par l’arrière. Philippe s’annonça via un interphone et son ami commanda l’ouverture d’un large portail métallique, donnant sur une grande plate-forme bétonnée. Sur un côté, une zone couverte était occupée par un SUV Lexus et une Ford Mustang convertible. À proximité de la maison était stationnée une Porsche 718 Boxster rouge, la capote baissée. Au-delà de la zone de parking, de part et d’autre de la construction, le terrain descendait en pente assez forte vers la mer. Sur la droite avait été aménagé un large escalier dallé, le côté gauche était planté d’une végétation tropicale luxuriante. Les deux hommes stationnèrent les motos derrière la voiture rouge, laissant casques et gants dans les top cases.


John était entre-temps sorti pour les accueillir et les deux médecins s’enlacèrent pour une longue étreinte puis Philippe présenta son ami Ange. John guida ses invités au travers d’un large vestibule très lumineux, éclairé par une grande ouverture dans le toit. Ils passèrent dans une pièce de vie, largement ouverte sur un long balcon bordé d’acier et de verre. Au-dessus, la vue portait sur la piscine à débordement, Malibu Beach et l’Océan Pacifique. Un petit coin de Paradis.  Ange eut immédiatement l’impression d’être projeté dans un exemplaire de AD, Architectural Digest, visitant l’une de ces inaccessibles maisons d’architecte. Chaque meuble, chaque objet, y compris dans l’espace cuisine, semblait avoir été choisi et disposé avec un but précis, esthétique et fonctionnel. Philippe, de son côté, tout en appréciant et évaluant l’ensemble, avait un peu de mal à adhérer à ce concept, un peu trop éloigné de la tradition française. Il se dit tout de même que la profession de chirurgien plasticien en Californie était autrement plus lucrative que l’exercice hospitalier en France.


Le balcon se prolongeait sur la gauche en une large plateforme sur une aile construite un niveau plus bas. Au bout de la terrasse, meublée de confortables sofas protégés par une structure de toile écrue, un escalier métallique descendait vers la piscine et un jacuzzi adossé à la pente opposée. Dans le bain bouillonnant, Philippe reconnut la jeune surfeuse dont il avait vu la photo dans le mail de John. Une belle femme blonde, plus âgée était installée à ses côtés. John fit les présentations.

— Mesdames, je vous présente mon ami Philippe de Loubennes, un authentique « aristocrate » français, avec qui j’ai travaillé il y a quelques années et...

— Et pas que travaillé !

— Je dois reconnaitre que nous avons eu de bon moments. Le beau brun est son ami Ange, un grand policier, français lui-aussi.

— John me fait trop d’honneur, je ne suis pas le commissaire Maigret.

— Nos amis américains n’ont sûrement pas lu Simenon. Disons Hercule Poirot.

— Je ne suis pas Belge.

Les deux femmes rirent à cet échange de politesses.

— Et voici Shaina, ma femme, qui travaille avec moi à la clinique et son amie Samantha.

— Enchantée, et vous pouvez m’appeler Sam comme tout le monde. Qu’attendez-vous pour nous rejoindre ?

Le bassin était assurément assez grand pour les accueillir tous les cinq.

— C’est que…. Nous n’avons pas de maillots de bain.

— Si j’étais chez moi, répondit Sam, je vous dirais que ce n’est pas un problème, mais ici il est vrai que la vieille qui nous surveille avec ses jumelles, j’ai vu les reflets dans le soleil, risquerait la crise cardiaque.

Nouveaux rires.

— Je suis sûre que John aura de quoi vous dépanner. J’ai très envie de mieux vous connaître.

Shaina n’avait encore rien dit.

— Je suis très heureuse de faire votre connaissance Messieurs. John m’a annoncé votre visite en faisant votre éloge. Ne vous laissez pas impressionner par Sam, elle ne sait pas résister à un bel homme, alors deux… Et puis au moins ce soir elle me laissera mon mari.

— Et bien dans ce cas… John, qu’est-ce que tu attends ?

Les trois hommes s’en allaient vers le bas de la maison quand Sam ajouta :

— Seriez-vous assez choux pour nous rapporter à boire ?


Lorsque les hommes se furent un peu éloignés, John expliqua :

— Sam est une de mes clientes, et elle a accepté de participer à nos campagnes de promotion, je crois que je l’ai plutôt bien arrangée. Vous croiriez qu’elle a près de soixante ans ? Elle est veuve et son défunt mari lui a laissé une belle fortune. Depuis, elle en profite. Philippe nota que John avait utilisé le mot « cliente » et non « patiente » comme il l’aurait fait lui-même. Facile dans ces conditions de s’offrir une telle maison.

John ajouta :

— Ne soyez pas surpris si elle vous invite à visiter sa propriété, elle en vaut la peine d’ailleurs, elle adore finir la soirée avec un gentleman, alors deux beaux français, vous imaginez ?

— Tu nous tentes ?

— C’est vous qui voyez… Vous trouverez sûrement un maillot à votre taille par ici. Moi je vais chercher les boissons réclamées. Qu’est-ce que ce sera pour vous ?

— Il est un peu tôt pour les boissons fortes, et puis on est sur deux roues. Un Perrier pour moi, dit Ange.

— Je prendrai une bière pour ma part, ajouta Philippe.

— Très bien, on se retrouve là-bas.


De retour au bord de la piscine, Philippe remarqua une douche sous laquelle il passa, imité par Ange.

— Vous avez trouvé des maillots bien collants !

Les deux hommes se glissèrent dans l’eau chaude.

— Venez à côté de moi, dit Sam.

Shaina observait la scène d’un œil amusé. Elle sortit du bassin pour aider John qui revenait avec un plateau chargé qu’il déposa sous un grand parasol.

— Vous voilà tous les deux rien que pour moi.

Sous les gros bouillons du jacuzzi, ses mains n’étaient pas visibles mais les deux hommes ne tardèrent pas à sentir que chacune d’elles s’affairait sur l’étoffe bouffante des shorts de surfeurs.

— Vous nous rejoignez ou vous voulez que l’on vous serve dans l’eau ?

Philippe profita du prétexte pour esquiver, peu désireux de poursuivre à ce stade

— Nous arrivons tout de suite.

Comme ils sortaient tous les deux, Ange lui souffla à l’oreille :

— Tu aurais pu attendre un peu.

— Si je ne me trompe pas, tu pourrais avoir bien plus tout à l’heure.

Ils s’installèrent tous dans les fauteuils et transats à l’ombre bienfaisante des parasols.


Shaina demanda aux deux français de détailler leur itinéraire, avouant qu’elle aimerait faire un tour sur l’une de ces machines. Elle confirma son invitation pour une vraie soirée, à leur retour, avec leurs conjointes. Cette dernière évocation sembla un instant fâcher Sam qui amena la conversation sur les exploits policiers du commandant Sega. Ce dernier eut du mal à expliquer dans un anglais un peu hésitant que son travail n’avait rien à voir avec Bullit ou l’inspecteur Harry. Il n’avait pas vraiment envie non plus de casser le mythe en lui détaillant les volets sordides du trafic d’armes et de la prostitution. Il se contenta d’une ou deux anecdotes un peu aventureuses, en rappelant que ce n’était pas un jeu et que les truands tiraient des balles réelles comme sa jeune équipière l’avait appris douloureusement.

— Nick Curran, dans Basic Instinct, je préfère, dit Sam.

Ange n'eut aucun mal à l'imaginer reprenant le rôle de Sharon Stone.


Comme le soleil baissait sur l’horizon, les deux hommes prirent congé de leurs hôtes en prenant date pour le week-end suivant, à leur retour de Las Vegas. John insista pour qu’ils prévoient de passer la nuit à Malibu, la maison étant assez spacieuse pour héberger tout le monde.

— Nous ferons un vrai barbecue américain. Je suis imbattable pour les steaks, et quand nous en aurons terminé avec les bières, il ne sera plus question de conduire.

Comme ils se dirigeaient vers le petit vestiaire où ils avaient laissé leurs vêtements, ils entendirent Sam saluer à son tour John et Shaina. En arrivant sur le parking, ils la virent arriver sur leurs talons, un simple paréo sur son maillot de bain.

— Ca vous plairait de venir visiter ma maison, c’est sur votre chemin de toute façon. Pacific Palisades, c’est à vingt minutes. Vous n’avez qu’à me suivre, vous ne risquez pas de me perdre.

Elle se mit au volant de la Porsche rouge et démarra en faisant ronfler le moteur.

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