Chapitre 18 - 25 avril, Laughlin – Hoover Dam – Las Vegas
— Je n’ai plus de linge propre.
Ange avait fait cette remarque en rangeant ses bagages le mercredi matin.
— On n’est pas pressés, on va se faire une séance laundrette.
— Une séance quoi ?
— Laverie automatique. Tu sais, l’endroit où l’on met son linge dans une machine qu’on regarde tourner en lisant un vieux roman…
— Ok, ok, me chambre pas. Je connais, on en a une en bas de chez nous.
Philippe fit une rapide recherche sur son smartphone.
— Il y en a une de l’autre côté du fleuve. Prépare ton passeport, on retourne en Arizona. On en profitera pour faire le plein. À part les casinos, il n’y a rien ici.
— Et si on allait prendre le petit-déjeuner ?
— On le prendra en Arizona, pendant que les machines travailleront.
— Encore cet immonde café, j’espérais trouver un expresso ici.
— Arrête de râler, on dirait un parisien.
— Très drôle l’aristo.
Une heure plus tard, Ange et Philippe avaient rempli une machine, acheté une dose de lessive et après avoir lancé le cycle, s’étaient attablés dans un diner proche. Œufs benedict, gaufres au sirop d’érable, toasts au peanuts butter, et un grand mug de café américain.
— Voilà un breakfast comme je les aime, dit Philippe.
— Un petit noir et un croissant, moi ça me suffit.
— You’re so French !
— Tu as vu les yeux de la serveuse quand je lui ai demandé un expresso ?
— Et oui, c’est ça aussi l’Amérique. Cette pauvre fille n’est sûrement jamais allée jusqu’à Los Angeles.
Après un saut rapide à la laverie le temps de passer le linge dans le séchoir, les deux hommes allèrent faire le plein de l’autre côté de la route. Le temps de ranger le linge propre et sec et les compères repartaient vers le nord, direction Las Vegas.
Le Colorado coule sur une grande partie de son cours dans des vallées profondes. La zone remontant de Laughlin jusqu’au grand barrage Hoover n’échappait pas à cette particularité et il n’y avait pas de route longeant la rivière. Philippe choisit l’itinéraire passant par l’est, côté Arizona, pour arriver sur le fameux barrage. La route 93 passe par Kingman et contourne la chaine des Black Mountains qui borde le Colorado. Il n’y a aucune agglomération significative sur les 75 miles qui séparent Kingman du barrage Hoover. Seules quelques petites cités minières visibles au pied de la montagne assurent une présence humaine dans cette zone désertique.
Le paysage était très différent du désert de Mojave, il n’y avait plus que des pierres sans végétation. La route était tracée toute droite, quelques pistes empierrées partaient parfois d’un côté ou de l’autre pour se perdre sans but vers les sierras distantes. Les deux hommes roulaient côte à côte le plus souvent, la radio à fond. Ange était impressionné par l’immensité des espaces et l’aspect lunaire des paysages, mais il préférait les expériences humaines aux déserts. Il était impatient de découvrir Las Vegas et de retrouver Julie. Il ne ressentait aucune culpabilité pour les aventures de ces derniers jours mais sa compagne lui manquait. Il voulait continuer cette découverte avec elle. Philippe revoyait Peter Fonda et Denis Hopper rouler sur les routes désertes dans Easy Rider et il était heureux. Peu avant Hoover Dam, ils quittèrent la route principale pour rejoindre le belvédère et le barrage côté Arizona. Depuis ce point de vue, le regard découvre une grande partie du Lac Mead, qui se développe sur trois branches. Celle qui est alimentée par la rivière Colorado se prolonge plus à l’est pour former le Grand Canyon. En contrebas, le barrage Hoover se déploie en arc de cercle pour former une voute impressionnante d’une hauteur de plus de 200 mètres.
Les deux amis prirent le temps de descendre à pied jusqu’à l'édifice et de traverser jusqu’au Nevada sur la route couronnant la crète. Bien que l’ouvrage soit purement utilitaire, Ange et Philippe furent surpris de voir que les ingénieurs avaient intégré de nombreux détails artistiques typiques de l’art déco.
— Je me souviens que dans Superman, le barrage craque sous l’effet d’un tremblement de terre. Tu ne sens rien ?
— Je n’imagine pas les conséquences sur la vallée si toute cette eau devait partir d’un seul coup ! Il va jusqu’où le Colorado ?
— Jusqu’à la mer ! au Mexique, je crois, dit Philippe.
— J’ai faim, on va déjeuner ? Vegas est encore loin ?
— Non, une trentaine de miles mais il y a de l’autre côté du barrage une petite ville, Boulder City, qui a été construite pour héberger les ouvriers lors de la construction du barrage. On peut y être dans un quart d’heure.
À Boulder City, ils découvrirent une charmante bourgade, assez différente des petites villes de l’ouest. Les rues n’y étaient pas rectilignes, pas de Main Street croisant State Street à angle droit. On y trouvait de nombreuses boutiques d’artisanat, des antiquaires et des restaurants d’inspiration italienne.
— Cette ville me plait, dit Ange. Un bon plat de pâtes et un vin italien, voilà ce qui me convient.
— À la bonne heure, j’aime quand tu parles comme ça. Je te trouvais un peu grognon ce matin. À Las Vegas, tu auras le choix, Venise, Paris, Louxor…
— Ici j’aurai peut-être une chance de me faire servir un vrai café ?
— Un double si tu veux.
Le serveur revint avec deux petites tasses de café mousseux.
— Je revis.
— J’en suis bien heureux, je ne voudrais pas expliquer à Julie que j’ai du t’enterrer dans le désert.
— Elle te tuerait toi aussi.
— J’en suis absolument certain. Même une très bonne avocate ne me sauverait pas.
Les deux amis éclatèrent de rire.
— Bon allez, la dernière ligne droite. Le Strip nous tend les bras. Las Vegas, nous voilà !
Philippe, avait choisi d’aborder le Strip, le grand boulevard qui traverse tout le centre de Vegas et où se situent la plupart des hôtels-casinos, par le sud. Ils quittèrent l’autoroute au niveau de l’aéroport pour prendre Las Vegas Boulevard South et remonter la grande artère. La circulation était assez dense et la vitesse réduite leur permit de profiter pleinement de la vue. Chaque bloc était consacré à un établissement. Chacun rivalisait d’originalité pour affirmer son identité : la pyramide du Louxor, la Lady Liberty du New York, la Tour Eiffel du Paris, les gondoles du Venetian ou les jeux d’eau du Bellagio. Après le Venetian, Philippe tourna deux fois à droite pour revenir sur Kaval Lane et rejoindre l’établissement où il avait réservé. C’était une résidence hôtelière, située à quelques centaines de mètres du Strip, permettant de se rendre à pied jusqu’aux principaux casinos. L’appartement comportait une grande pièce à vivre avec un large coin salon, une cuisine, ainsi que deux chambres.
— Je vais pouvoir dormir sans t’entendre ronfler, dit Ange.
— J’espère que les retrouvailles ne seront pas trop sonores.
— Parce que tu as prévu de dormir ?
— Si ça ne dépend que de moi, non. Mais les filles vont être crevées en arrivant. Je te rappelle que samedi soir, tu n’as pas pu honorer les deux américaines.
— C’est pas moi, c’est elles qui étaient bourrées, c’est tout.
— En tout cas, on a intérêt à garnir le frigo, nos chéries ne sont pas du genre à sucer les glaçons.
— Je confirme, ce n’est pas ça qu’elles préfèrent sucer.
— Si tu n’y vois pas d’inconvénient, je vais prendre une douche, puis je ferai peut-être une petite sieste.
Pendant que Philippe occupait la salle de bain, Ange jeta un coup d’œil aux magazines et dépliants publicitaires ventant les mérites des attractions et spectacles proposés par les différents casinos. Le Cirque du Soleil se présentait dans presque tous les casinos, des spectacles différents. De nombreux humoristes, pour la plupart inconnus de Ange, chanteurs et chanteuses, se produisaient tous les soirs. Ils avaient manqué Elton John, mais pouvaient encore voir Céline Dion, Lady Gaga ou David Copperfield. Le prix des billets le fit toutefois changer d’avis. Son attention fut attirée par la publicité du Spearmint Rhino, réputé Meilleur Club de Striptease du Monde. Il plia le flyer pour le glisser dans la poche de son jean.
Lorsque les deux amis sortirent pour aller découvrir, à pied, les attractions aperçues lors de leur arrivée, la journée était déjà bien avancée. Sur le boulevard, la foule était dense et il fallait parfois se frayer un passage entre les badauds agglutinés autour des artistes de rue. À chaque carrefour, il leur était proposé visites organisées et spectacles à des conditions « uniques ». Négligeant le Paris et ses reproductions trop kitch des monuments français, ils se laissèrent tenter par le Venetian, ses gondoles et son canal. Ils furent impressionnés par le réalisme des décors réalisés à l’intérieur et l’ambiance ainsi reconstituée. Ce sentiment fut encore plus marqué lorsqu’ils traversèrent le boulevard pour se rendre au Bellagio. Une longue galerie de boutiques de luxe semblait reconstituer une rue chic de Rome ou Milan. Les prix , quand ils étaient affichés, dissuadaient toutefois le visiteur de s’attarder.
— Il vaudrait mieux ne pas laisser les filles seules ici !
— Oui et c’est dommage car il y a de jolies choses…
Ils ressortirent du Bellagio juste à temps pour profiter du spectacle de jets d’eau sur fond de sons et lumières. Pendant qu’ils déambulaient, la nuit était tombée et ils choisirent le Hard Rock Cafe pour dîner. Il leur fallut négocier un peu pour obtenir une table en terrasse, surplombant le Strip. De nuit, le spectacle était encore plus impressionnant que le jour. Chaque établissement était surmonté d’enseignes lumineuses géantes, créant une ambiance lumineuse changeant en permanence. À la fin du repas, Ange sortit le flyer de sa poche.
— C’est notre dernière soirée de « célibataires », si on allait s’encanailler un peu ?
— Pourquoi pas, ce sera une expérience pour moi aussi. Je connais ces établissements de réputation, mais même avec John, je n’y suis jamais entré.
Sur le boulevard, Philippe fit signe à un taxi en maraude et Ange tendit le prospectus.
— OK Sir, no problem.
Le taxi les conduisit quelques blocs plus loin, à proximité de l’autoroute. Le lieu était impressionnant, à l’opposé de l’image sombre et glauque de ce type d’établissements. L’espace consacré aux numéros publics offrait quatre podiums où des danseuses plus belles les unes que les autres se succédaient pour les pole dances. Les jeunes femmes finissaient totalement nues, offrant un point de vue imprenable sur leur anatomie. Les spectateurs fascinés des premiers rangs se bousculaient en tendant des billets verts pour attirer l’attention sur eux. Ange interpella une serveuse pour commander à boire. Elle leur apporta leurs boissons ainsi qu’une carte avec les service proposés.
— Maintenant qu’on est là, on va jusqu’au bout ?
— Ce qui se passe à Vegas, reste à Vegas !
— Oui mais les filles seront à Vegas demain.
— Demain sera un autre jour, inch’allah. On n’a qu’une vie. Et puis ce n’est rien après la soirée chez Sam.
Philippe ponctua cette dernière phrase d’un clin d’œil appuyé. Une danseuse en tenue de cow-girl descendait du podium. Philippe lui fit signe en lui demandant si elle avait une amie. Il n’avait bien entendu aucun doute sur la réponse. La jeune femme les emmena dans une petite alcôve fermée par un lourd rideau. Une fille en cuir les rejoignit très vite. Après un striptease rapide, les deux jeunes danseuses s’installèrent sur les genoux des français. Les ondulations lascives eurent tôt fait de provoquer chez les deux hommes des érections fort perceptibles dans leurs pantalons. La cow-girl avait une poitrine généreuse qu’elle offrit aux caresses buccales de Philippe. Son amie avait des seins plus menus mais fermes qu’elle frotta contre le buste de Ange. Les deux hommes hésitaient sur le code de conduite mais les filles leur prirent les mains pour les placer sur leurs fesses, les incitant à marquer la cadence. Le jeu était un mélange de plaisir et de frustration. Ces dames savaient mener leur affaire, amenant les deux hommes à la limite sans les laisser aller trop loin. Après trois ou quatre morceaux, elles firent comprendre que le temps était écoulé, et sortirent sans plus d’attention. Ange et Philippe se regardèrent un instant, surpris de cette fin soudaine.
— Au moins on sait ce que c’est !
— On se rattrapera demain soir.
— À qui le dis-tu ?
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