Ton rire et les oiseaux
Tu te souviens, p’tit gars, de nos genoux éraflés sur les cailloux de la rivière ? Tu te souviens, je t’emmenais dans ma charrette, derrière le vélo de papa trop grand, trop lourd pour moi ? Je revois ta petite bouille rieuse et tes oreilles en chou-fleur quand on traversait le champ de blés, y avait des coquelicots qui crevaient sous les roues et des sauterelles, et des criquets qui prenaient la fuite à notre arrivée. Tu te souviens ? Ça grouillait de vie là-dedans. On arrivait à la rivière et tu courais dans l’eau, même pas déshabillé. Et tu riais, les cheveux trempés, si fort que les oiseaux décamper à tire-d'aile tant tu les effrayais.
Maman nous disputait lorsqu’on rentrait, elle nous disputait mais y avait son sourire derrière sa colère. Tu t’souviens, j’étais grand et toi haut comme trois petites pommes vertes ? Je faisais des grimaces à table derrière le dos du père et tu recrachais ta purée par le nez tellement tu rigolais. Et papa grondait.
Y avait des taches de cerises et de mûres sur nos vêtements, souillés par les jeux d’enfants – camaïeu de violet, et ton sourire édenté s’avinait comme ceux des grands. Je te faisais la courte et te laissais là, perché, tu criais jusqu’à pleurer, les bras tendus sur la branche. Y avait pas un mètre mais tu pensais bien pouvoir clamser. Je te tirais le pantalon sur les chevilles, ‘pis t’avais beau essayer de te venger, tu brassais de l’air – c’est que tu courais pas vite p’tit frère. Mais des fois, je te laissais faire, t’étais si fier, tes yeux plissés comme deux croissants au beurre. Tes rires faisaient voler les oiseaux du verger.
Y a eu des bobos, des petits, des gros, des larmes et des cris. Et puis on a grandi – enfin, surtout toi – : on se partageait les clopes chipées aux parents, même qu’on s’étouffait plus après. On rentrait après la nuit venue, tu me racontais tes rêves, je te racontais mes peurs. On s'échangeait les filles. Les Julie, les jolies et les autres aussi. ‘Pis un beau jour t’es parti. T’es parti sans prévenir, t’as filé dans la nuit, tu m’as laissé ici, seul. Depuis, quand les oiseaux s’envolent, y a ton rire dans le ciel qui s’éparpille.
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