CHAPITRE 21.3 * JAMES

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J.L.C

♪♫ THE LONELIEST - MANESKIN ♪♫

Je commande immédiatement un autre whisky. Mathieu me sermonne gentiment, m'avertissant qu’il ne veut pas me ramasser à la truelle ce soir. Je crois qu'il voulait dire à la petite cuillère, si je me souviens de l'expression exacte. Je le rassure en lui indiquant qu’Isla et Antoine sont quelque part dans la foule. Ils sont au courant de mes combats, de mes faiblesses, et même si j’ai juré ne pas avoir pris de came depuis 14 jours, je sais qu’ils s’inquiètent énormément. Je suis persuadé que ma sœur m’enverrait à nouveau en désintox. Et à vrai dire, je ne peux pas lui en vouloir. Parfois, je ne me fais pas confiance non plus.

Je m’adosse au bar et jette un coup d'œil autour de moi. Ma tête m’élance, mes jambes me portent à peine. Je me laisse doucement emporter par l’alcool, m’enfonçant de plus en plus dans cet état de déni et de désespoir. Je pose mon verre — encore un vidé d’un coup —, et j’essaie de me concentrer sur autre chose. Sur les gens qui m’entourent, sur les conversations, sur n’importe quoi d’autre que Victoria ou mes démons, sur... Trop tard…

Mes yeux se posent sur un petit groupe à l'autre bout du bar et je remarque leur petite affaire. Un sachet passe de main en main, presque discrètement, mais suffisamment visible pour que je sache exactement de quoi il s’agit. La tentation germe en moi, sournoise et vicieuse. Une vague de froid m’envahit, me rappelant à quel point il serait facile de replonger. Juste une fois, me susure une petite voix dans ma tête :

Juste pour quelques heures. Un petit rail de poudreuse. Presque rien du tout. A peine quelques frissons. Rien de grave, pas du fenta... Personne ne saurait...”

Je serre les dents, ferme les yeux un instant. Je ne suis pas là pour flirter avec le désastre. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire. Je sens la panique m’assourdir, un mélange de peur et d’envie. Ce combat intérieur me tue, me ronge. Victoria pourrait m’aider. Elle a ce pouvoir sur moi, celui de m’apaiser, de me faire croire que je peux être quelqu’un de meilleur, mais je ne veux pas la mêler à ça. Putain, hors de question !

Les conversations, les rires, le bruit de la musique, tout semble flou et lointain. Soudain, je sens une main légère sur mon épaule. C’est Isla. Elle m’épie, me jauge, l'inquiétude inscrite sur ses traits. Son regard est perçant, presque intrusif, comme si elle cherchait à lire au-delà de mes gestes. A-t-elle vu le même groupe que moi ?

— “Tout va bien ?” s’enquiert-elle.

Sa voix douce se fraie un chemin à travers le vacarme ambiant.

— “Ouais, t’inquiètes, je gère”, je la tranquillise en essayant de lui offrir un sourire rassurant.

— “Merde !”, s’écrit-elle en écarquillant les yeux.

Putain, pourquoi j’ai dit ça ! Jusqu’ici, Isla devait sûrement présumer que je me morfondais à cause de ma relation avec Victoria, mais les quelques mots qui viennent de m’échapper ne font pas de place au doute... Isla connaît mes démons presque aussi bien que moi. Elle sait quand elle doit me laisser respirer et quand elle doit intervenir. Mais quelque chose dans son regard me dit qu'elle ne va pas lâcher l'affaire si facilement.

— “Viens, on va prendre l’air”, ordonne-t-elle en passant sa main sous mon bras.

— "Je t'ai dit que ça va. Tu peux arrêter de me materner, je contrôle", répliqué-je en me dégageant doucement.

Je remarque qu'elle croise les bras et me toise de pied en cap. Mais Isla n’en démord pas. Elle me saisit à nouveau et me conduit vers l’entrée du club, là où le bruit est un peu plus supportable. Je la suis, mon esprit tourbillonnant, les yeux fixés sur le sol pour éviter de croiser son regard inquiet. Une fois à l’extérieur, elle me laisse un peu d’espace pour respirer et prend le temps de réajuster brièvement sa robe. Autour de nous, des gens fument, rient ou discutent tranquillement. Je sors une cigarette, en tire quelques bouffées avant de prendre une grande inspiration, essayant de calmer les battements précipités de mon cœur.

Le goût amer du tabac se mêle à l’envie désespérée qui se tapit dans mes entrailles. Je me dégoûte de pouvoir encore y penser. Comment ai-je pu en arriver là, à lutter contre ce besoin morbide d’un simple rail pour me sentir vivant ? La sueur froide qui perle sur mon front rend chaque respiration plus pénible, comme si l'air me manquait. J’ai beau inspirer profondément, rien ne semble suffisant pour apaiser ce feu intérieur.

— “James, je reconnais les signes avant-coureurs... on dirait que tu es sur le point de craquer. Ressaisis-toi”.

Son ton est ferme mais doux, comme si elle essayait de trouver le bon équilibre entre compréhension et autorité. Je la vois frotter nerveusement sa main contre son bras, un tic que je connais bien quand elle est en pleine réflexion.

— “Je t’ai dis que ça va !” je lâche précipitamment, sentant la colère gagner du galon, encouragé par mes presque un litre d’alcool dans le sang.

D’ailleurs, comment j'ai fait pour marcher jusqu'ici ? Un regain d’adrénaline ? Ma mâchoire se serre tandis que mon regard dévie encore.

Ma soeur me scrute plus attentivement, plissant les yeux.

— ““Tes pupilles sont dilatées.” remarque-t-elle sèchement.

Elle sait que ça pourrait être l'alcool, mais elle n’est pas idiote. Elle voit bien que quelque chose de plus profond me traverse. Je me rends compte que je me balance légèrement d’un pied à l’autre, incapable de rester immobile. Putain, arrête. Bouge pas.

— “On n’aurait jamais dû venir”, réplique ma jumelle en secouant la tête, l’air frustré. “Je le sais, pourtant, que ça circule facilement ici”.

— “C’est pas le club le problème, c’est moi. Et je t’ai dit que je gère, crois-moi”.

Une petite voix dans ma tête me susurre encore des promesses de répit temporaire, mais je la chasse d’un coup de tête. Mon regard balaie rapidement la rue, à la recherche d’une échappatoire.

L’air grave, ma sœur me lance :

— “James, tu parles de gérer comme si c'était facile. Je suis ta sœur, je t'ai vu lutter avant, et je sais que ce n’est pas aussi simple que ça. Je veux juste m’assurer que tu ne fais pas une erreur que tu pourrais regretter.”

Elle soupire, un éclat de désespoir dans ses yeux alors qu’elle cherche les mots justes pour exprimer son inquiétude. Elle passe rapidement une main sur son visage, comme pour essuyer un stress invisible.

— "Regarde-toi. Ce n'est pas juste l’alcool. Ou Victoria. Je ne veux pas que tu replonges.”

Je tire frénétiquement sur ma clope, mais elle ne m’offre aucun réconfort. Je la balance d’une pichenette, regardant la petite flamme grésiller avant de s’éteindre dans une flaque.

— “J’ai envie de te croire quand tu dis que tu veux gérer”, reprend-elle. “Mais, s'il te plaît, ne te laisse entraîner comme ça. Tu sais que c’est dangereux. Je ne suis pas prête à te voir tout foutre en l’air. C’est pour ça que t’es venu t’installer ici non ? On était d’accord. C’était le mieux à faire, t’éloigner de l’Écosse, de toutes les merdes dans lesquelles tu t’es fourré à nouveau...”

Je serre mes poings et les fourre dans mes poches, sentant mes ongles s’enfoncer dans ma paume, cherchant désespérément à me raccrocher à quelque chose de tangible. Tandis que ces paroles font échos sous mon crâne, l’envie de hurler me prend à la gorge, mais je me retiens. Mon corps est en alerte maximale, chaque sensation amplifiée : l’air frais mordant contre mon visage, le frottement de mes vêtements sur ma peau, le bruit lointain des conversations. Je perds pied. La sensation d’étouffement devient oppressante, comme si mon propre corps me trahissait.

— “C’est bon”, je la coupe brusquement, une note d’irritation dans la voix. “Je sais que tu veux m’aider, mais j'ai pas besoin de que tu me surveilles comme un enfant”.

— “Ah non ? Tu t’es envoyé combien de whisky James ? Quelques verres ? Une bouteille ? C’est toi qui fais le con et c’est moi qui dois rester là sans rien dire ?” fulmine-t-elle en levant les mains, impuissante. “Quand tu te comportes comme ça, tu mets tout en péril !”

Un silence pesant s’abat sur nous. Je sens mon cœur s’emballer encore plus et la colère bouillonne en moi. Mais au fond, je sais qu’elle a raison. Mon regard se trouble un instant et je m’échine à garder les pieds sur terre. Je n’arrive pas à me défaire de cette pensée : une rechute serait si facile.

— “Non”, lui dis-je sèchement. “Tu retournes à l’intérieur, Isy. Je reviens dans quelques minutes”.

Isla se fige un instant, son regard perçant plongeant dans le mien, comme pour évaluer si je suis réellement sérieux. Sa respiration est un peu saccadée et elle fait un pas en arrière.

— “Parfois, tu fais vraiment chier, James !”, lâche-t-elle, exaspérée, son visage rougi par l’émotion.

Elle serre les dents, ses bras toujours croisés devant elle, comme pour se protéger. Son ton est empreint de frustration, une combinaison de souci sincère et d’agacement. Je capte du coin de l’œil quelques têtes qui se tournent vers nous. Des curieux, chuchotant entre eux. Putain, voilà que je me donne en spectacle maintenant ! La honte me pique la nuque, me fait me redresser légèrement.

— “J’en ai marre de te voir te détruire et de devoir rester là, les bras croisés, à regarder. Tu as accepté mon aide, alors laisse-moi faire mon travail, au lieu de te rebeller contre tout ce que je dis ou fais !”

Sa voix se brise à la fin de sa tirade, et elle me jette un dernier regard lourd de reproches avant de tourner les talons. Elle s’éloigne, sa démarche rapide, son dos raide, ses épaules légèrement tremblantes, comme si elle portait tout le poids de cette situation sur elle.

Je reste planté là, seul dans la fraîcheur nocturne, entouré de l’indifférence de la foule. Je m’escrime tant bien que mal à reprendre le contrôle de mes pensées et à répudier les images tentatrices de la drogue qui me hantent. La nouvelle cigarette dans ma main se consume lentement, ses braises rougeoyantes m'hypnotisent, tout comme ce désir de m’effondrer qui couve sous ma peau. Une bouffée. Puis une autre. Chaque inhalation est un effort pour retenir ma colère, mon dégoût, ma fatigue, ma déchéance.

Avant que ma sœur ne s’engouffre dans le club, je la vois sortir son téléphone et taper quelque chose avec une expression de détermination sur le visage. Je devine qu’elle envoie un message à quelqu'un, probablement Antoine. Je me demande si elle lui explique ce qui se passe ou si elle lui demande de venir me chercher. Quoi qu'il en soit, je suis bien trop concentré sur ma propre bataille intérieure pour me préoccuper des détails.

Le froid de l’air nocturne se fait plus vif, et la cigarette entre mes doigts semble brûler plus fort que d’habitude, où alors ce sont les restes de ma volonté qui partent en fumée...

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