CHAPITRE 42.2 * VICTORIA

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V.R.S.de.SC

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Mon regard balaie rapidement le bar alors que je m’assure que le service suit son rythme. Une première ronde dans les cuisines m’a permis de vérifier que les tapas sont prêts à sortir en continu, sans attente interminable. J’ai même piqué deux trois amuses-bouches au passage, histoire de vérifier la qualité, mais surtout de satisfaire un petit creux. Ces petites bouchées sont un délice, une explosion de saveurs parfaitement équilibrées, chaque garniture fondant délicatement sur la langue. Rien de tel pour s’assurer que tout est à la hauteur.

Les cocktails signature sont impeccablement exécutés, Baptiste et Clélia ne faiblissent pas : ils font un boulot d'enfer. Les alliances sont audacieuses, les couleurs flamboyantes, chaque verre devient une petite œuvre d’art. Les décorations flirtent subtilement avec le thème ange et démon et chaque coupe servi est un clin d’œil à l’ambiance du soir.

Je me permets un petit moment de pause et demande à ma barmaid de me préparer un Larmes d’Ange. Ce mélange à base de rosé prosecco, liqueur Saint-Germain, et un soupçon de limonade, est exactement ce dont j’ai besoin pour donner un coup de fouet à mes sens sans alourdir l’atmosphère.

Derrière le comptoir, Clélia est une vision de puissance et de sensualité. Avec son corset en cuir noir qui met en valeur ses formes, les chaînes et les clous métalliques, suspendus à son cou et à ses poignets, elle est parfaitement dans son élément. A vrai dire, ce look, c’est sa marque de fabrique habituelle, mais ce soir, elle fait partie intégrante du décor, comme une incarnation vivante du thème.Ma collègue ajoute les fleurs comestibles à mon cocktail avec une telle précision qu’on dirait qu’elle en fait un rituel. Lorsqu’elle me le tend enfin, je trempe mes lèvres dans le liquide pétillant et une sensation effervescente et rafraichissante envahit immédiatement mes papilles : aussi esthétique que savoureux, une vraie pépite ! Pour ce qui est de l’expérience gustative, tout est nickel.

Je saisis mon téléphone et capture ce moment pour les réseaux. Une pose rapide avec un angle idéal, un clin d’œil, un sourire et le tour est joué. Le ballet de lumières, la présentation parfaite du cocktail et l’intensité de l’instant sont tout simplement irrésistibles. Je publie la photo en deux deux avant de lever les yeux vers Clélia, qui me regarde avec ce petit air satisfait de celle qui sait que tout est sous contrôle. Quelques secondes de vidéo entre les vapeurs d’alcool et les néons, et c’est bon, de quoi enflammer les contenus de la soirée.

Verre en main, je me fraie un chemin parmi les invités, échange quelques mots par ci par là, et distribue des sourires complices pour faire naître des éclats de rires. C’est mon terrain, mon ambiance et je suis en parfaite maîtrise, captant chaque moment avec l’aisance d’une professionnelle qui sait quand laisser l’instant se dérouler et quand intervenir. Il n’y a rien de plus gratifiant que de sentir cette énergie circuler.

Je me dirige ensuite vers la cabine du DJ. Un rapide check-in pour être certaine que la playlist est prête à s’adapter au rythme des festivités. Je lui glisse deux mots pour lui rappeler le timing précis de la performance qui approche, et il acquiesce d’un sourire. La musique bat son plein, parfaite pour électriser la foule et je me permets un instant de relâchement, happée par les basses et le dynamisme de la piste.

Comme un réflexe bien ancrée, je vérifie l’état des publications. L’évènement est sur toutes les lèvres et sur les stories. Quelques likes, quelques commentaires, la machine est bien lancée. Mon esprit est déjà en mode réception, jonglant entre les tâches, mais je garde un œil discret sur les notifications, prête à ajuster si nécessaire. Mes doigts s’arrêtent inévitablement sur une phrase en particulier : “Tu es incroyable”.

Mon cœur rate un battement, un léger frisson me parcourt. La simplicité de ses mots, l’aisance avec laquelle il capte mon attention... C’est à la fois déstabilisant et enivrant. L’impatience monte en moi, comme un courant électrique que je peine à contenir. L’envie de le voir, de sentir sa présence près de moi, me saisit d’un coup. Ce message, si court, mais tellement significatif, me fait presque perdre le fil de mes pensées.

Un sourire malicieux se dessine sur mes lèvres. Je pense à sa provocation, à ce qu’il m’a fait faire, à ce qu’il a exigé. La pensée de ce petit acte, comme une promesse silencieuse de ce qui nous attend, me ravit. Mais la subtilité de sa demande m’obsède encore. Chaque seconde nous rapproche de l'inévitable, mais aussi de ma revanche.

James ignore encore que j’ai mes propres défis en réserve. Ce qu’il me fait subir, je vais le lui rendre au centuple, mais à ma manière. Ce sera à son tour de se glisser dans mon univers, et je vais le faire languir, comme il l’a fait pour moi. Quand il apparaîtra enfin, il n'y aura de place pour rien d'autre que cette tension qu'il a lui-même nourrie. Cette attente fébrile, ce supplice délicieux qu'il nous impose, aura un prix.

Je ne céderai pas tout de suite, même si chaque fibre de mon être me criera de le faire. Non. Le jeu se poursuivra. Ses avances seront repoussées juste assez pour qu’il en redemande, encore et encore. Chaque geste, chaque regard sera une invitation implicite, mais je resterai le parangon même de la désinvolture, un miroir insondable et énigmatique . Je le veux à ma merci. Et lorsqu’il n’en pourra plus, lorsqu’il aura totalement succombé à cette pression, je lui offrirai ce qu’il désire, mais avec la douceur torride d’un appétit qui n’a été que trop retenu dans l’ombre avant d’exploser dans la lumière de son impatience.

Soudain, une silhouette familière entre dans mon champ de vision : Leslie. Il est temps de mettre les choses au clair. Un échange s’impose, et cette fois, pas de demi-mesure.

Je descends de l’estrade et m’engage parmi les longues capes noires et les étoffes vaporeuses des fêtards, traversant les éclats de rires, les masques et les accolades. La musique bat comme un tambour sous mes pas, amplifiant cette résolution silencieuse qui m’habite. Je l’atteins enfin, assez proche pour qu’elle sente ma présence avant même de lever les yeux.

Quand elle pivote, nos regards se croisent, et je sais qu’elle comprend. Ce soir, il n’y aura pas de faux-semblants entre nous.

— Il faut qu'on parle, lancè-je d’une voix ferme mais basse.

Elle hausse un sourcil, feignant le détachement, mais je vois la lueur d'inquiétude passer dans ses yeux.

— Vraiment ? Ici, au milieu de la piste ?

— Tu as bien embrassé James devant tout le monde, non ? Ça ne semblait pas te gêner.

Elle soupire, détourne les yeux, comme pour esquiver la confrontation.

— N’en fais pas toute une histoire, s’il te plaît. Je n’aurais pas dû...

— Non, en effet, je la coupe sèchement.

Leslie serre les lèvres, et son expression placide vacille. Un instant, elle semble prête à répondre, à plaider sa cause peut-être, mais elle ravale ses mots.

— On ne va pas régler ça ici. On monte, me propose-t-elle.

Je la fixe mais ne proteste pas lorsqu’elle m’entraîne à l’étage, vers la mezzanine qui surplombe la salle. Elle nous mène jusqu'au fond, là où le bureau insonorisé de Mati nous isolera du tumulte ambiant. Une fois à l'intérieur, la porte se referme derrière nous, et un silence tendu s’installe. Je croise les bras, et m’adosse au grand meuble en bois sombre qui trône au centre de la pièce. Les souvenirs de mon étreinte avec James jaillissent dans mon esprit, mais je les repousse aussitôt.

J'observe ma meilleure amie. Il est temps de percer ses défenses.

Leslie me tourne le dos et se tient face à la baie vitrée qui offre une vue plongeante sur la piste de danse en contrebas. Les lumières stroboscopiques qui inondent la pièce de faiseaux rouges et bleutées confèrent à l'espace une atmosphère un peu clinique, comme si la réalité elle-même était filtrée à travers un prisme. Je décide d’allumer la lame de banquier dans mon dos pour tenter d'apporter un peu de chaleur cette ambiance polaire.

Elle ne dit rien, et moi non plus.

Dès que je l’ai vu revenir dans le club plus tôt, suivie de près par Mati, chacun arborant un air bourru et farouche, j'ai tout de suite su que quelque chose clochait. J'en ai déduis une énième dispute, comme à l'accoutumée. J’étais loin de me douter que ça me concernait directement. Ou James d’ailleurs. J’ai d’abord auguré que Mati avait peut-être répété le discours qu’il m’avait tenu dans son bureau, celui où il a évoqué une relation plus durable entre lui et moi. Mais en réalité, je sais que ce n’est pas un lien que j’aimerais tisser avec mon patron et ami.

Non, mon cœur s’est doucement, irréversiblement tourné vers James, et ce, depuis des mois déjà. L'homme qui occupe chaque recoin de mes pensées, celui dont la présence enivre mes sens et réveille en moi des aspirations auxquelles je n’avais même pas imaginé être sensible. Ces désirs, jadis invisibles, enfouis sous des couches de doutes et de peurs, sont désormais clairs, limpides. Aujourd’hui, l’évidence s’impose sans appel, comme si le destin lui-même, d’un souffle léger, m’avait révélé les pages d’une histoire à écrire à deux mains.Un engagement pérenne, un avenir incertain mais terriblement exaltant.

Moi, d’ordinaire si méfiante face à la moindre zone d’ombre, réticente aux écarts de prudence, si soucieuse de maîtriser chaque aspect de ma vie, je suis prête à me lancer, à abandonner cette sécurité qui m’a toujours guidée. Même si ça implique de m'aventurer sur un terrain instable, un chemin semé d’embûches, où tout peut basculer, j'irai. Parce que je l’aime, et être à ses côtés est tout ce que je désire. Mieux vaut prendre le risque que le perdre à tout jamais.

Mati a reçu ma confidence, Leslie la soupçonne. Ce soir, c’est à James de prendre connaissance de mes sentiments envers lui. Ce soir, je vais briser le silence et enfin lui révéler ce que mon cœur cache depuis trop longtemps. Et je n'ai plus aucune hésitation, aucune crainte. J'ai pris ma décision. Il est temps.

Toutefois, pour l’heure, c'est une toute autre relation qu'il me faut tenter de préserver : celle avec ma meilleure amie, l'ex pour qui Mati a toujours des sentiments profondément ancrés. S’il avait fait mention de notre conversation aurpès d’elle, Leslie me l'aurait déjà envoyé en pleine figure. Elle n’est pas du genre à contenir ses émotions. Quand il s’agit de laver son linge sale en public, elle n’y va pas de main morte. Sauf que si je décide de lui en parler, elle pourrait le recevoir comme une trahison de plus.

D’un côté, lui révéler cet échange, c’est lui prouver que je tiens à notre amitié, que je ne souhaite rien lui dissimuler. De l’autre, l’aborder sans y être obligée pourrait relancer des tensions inutiles, creuser davantage l’écart entre nous et entre Mati et elle. Et si je garde tout ça pour moi ? Alors, c’est moi qui m’enferme dans le mensonge, dans ce jeu de secrets qui finit toujours par empoisonner les liens les plus solides. J’ai toujours fait preuve d’honnêteté avec elle… Mais peut-elle vraiment comprendre, accepter, sans y voir une offense ? Entre sauvegarder ce qu’il nous reste ou risquer de le mettre en péril, le choix semble impossible.


Je décide de conditionner ma confidence à la transparence dont elle fera preuve face aux éclaircissements que je m'apprête à lui demander. Ce baiser avec James n’était pas une simple impulsion. Non, j’en suis convaincue. Ce geste avait une raison, une intention. Et il n'était pas uniquement destiné à Mati.


— Leslie, je crois que tu me dois des explications, lui lancè-je en brisant le silence.

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